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Dominique Lefebvre, président de Crédit Agricole SA

« Ne pas s’interdire d’investir dans des acteurs en rupture »

« Quand une partie seulement d’une profession est remplacée, ce n’est pas bon signe »
« Quand une partie seulement d’une profession est remplacée, ce n’est pas bon signe »
© Crédit Agricole SA

Flambée des matières premières, portage du foncier agricole, fonds d’investissement, financement participatif... Dans un entretien accordé à Agra Presse le 9 décembre, le président de Crédit agricole SA (1) Dominique Lefebvre livre son regard sur quelques actualités de la finance agricole. Il précise que le fonds d’investissement d’un milliard d’euros pour l’agriculture et l’agroalimentaire, récemment annoncé pour 2022, devrait toucher les exploitations agricoles qui seraient dans la transformation. Et qu’il ne veut pas, par ailleurs, « s’interdire d’investir dans les acteurs de rupture », comme les fabricants de steak in-vitro.

Comment se porte financièrement la ferme France après deux ans de Covid, suivie d’une soudaine flambée des céréales ?

Dominique Lefebvre : L’agriculture a été très résiliente. Ce n’est pas une surprise, car les agriculteurs sont à la tête de structures qui s’adaptent très vite. Des productions restent toutefois plus impactées, c’est le cas par exemple de la filière du malt. Aujourd’hui, la situation débouche sur des cours mondiaux des céréales très élevés ; cette tendance risque de durer et met en difficulté plusieurs filières, je pense à la filière porcine notamment.

Ces niveaux historiques de prix vont nous amener à une année record en matière de crédits d’équipement, ce qui est évidemment le signe d’une confiance en l’avenir. Cette instabilité est assez perturbante pour notre activité qui a besoin d’investissement de long terme et de perspectives.

Dérégulation, dérive climatique, consommation changeante. Face à cette variabilité croissante, y voyez-vous clair dans la rentabilité future de la ferme France ?

D.L : Avec les instabilités de toutes natures, le besoin de protection est évident, et je pense à ce titre qu’il faut saluer l’avancée sur l’assurance récolte, qui a demandé beaucoup de volontarisme. Ce régime va offrir de bonnes solutions de prévention. Par ailleurs, les mouvements de société en termes de consommation sont difficilement gérables par les seuls agriculteurs. Ils ont également à leur disposition des outils d’épargne, qui leur permettent d’épargner durant les bonnes années et de réinjecter dans les moments plus difficiles. Et je suis favorable à toute mesure renforçant ce type de possibilité.

Je suis très confiant dans la capacité d’adaptation de l’agriculture française et européenne, car nos agriculteurs sont formés ; les choses ont beaucoup changé de ce point de vue. Leur première ressource est désormais celle de l’intelligence et de l’adaptation. Et il en faudra. Le rôle de nos conseillers dans ce paysage est en train de changer et la valeur du conseil se renforce.

Le renouvellement des générations, tout le monde a l’air pour, mais est-ce vraiment nécessaire ? L’agrandissement n’est-il pas aussi gage d’efficacité et de rentabilité ?

D.L : L’installation et le renouvellement des générations sont d’impérieuses nécessités. On dit que l’économie est la fille de la démographie. Quand une partie seulement d’une profession est remplacée, ce n’est pas bon signe. Cela veut dire qu’il y a moins de confiance. Et c’est la situation de l’agriculture depuis des décennies. Et pour répondre à votre question, parfois l’agrandissement est une solution, il est vrai que quand on veut produire des céréales sur le marché mondial, la surface est un des facteurs de compétitivité. Mais ce n’est pas le seul.

Cette accélération des départs que l’on vit actuellement, et qui va durer au moins une décennie, est-elle un péril pour l’agriculture française ?

D.L : Nous avons la conviction que nous devons mettre à disposition de ceux qui veulent s’engager dans ce métier encore plus de possibilités, de ressources, de financements... C’est le sens du projet sociétal que nous venons de présenter et qui comporte un volet agricole puissant.

QUESTION : Quel est le rôle du portage dans les dispositifs de financement de l’installation ?

D.L : Il va falloir être imaginatif et tester de nouveaux dispositifs. C’est un sujet qui restera toujours extrêmement important pour l’agriculture, et à propos duquel il faudra toujours innover. Nous avons déjà lancé avec les Safer régionales des dispositifs qui fonctionnent plutôt bien, pour porter entre 5 et 10 ans les terres des jeunes agriculteurs qui démarrent, et donc de sécuriser cette phase d’installation.

Vous faites partie des investisseurs institutionnels qui doivent abonder le projet de fonds de portage de foncier initié par la FNSafer. Qu’est-ce qui bloque actuellement ?

D.L : Tout d’abord, je veux rappeler qu’il s’agit dans notre esprit d’un test, car l’enveloppe prévue de 65 millions d’euros sur cinq ans est relativement modeste au regard de la taille du marché du foncier agricole. Elle n’a donc pas vocation à régler à elle seule la question du portage du foncier. Nous étudions néanmoins avec beaucoup d’attention le dispositif de fonds porté par la FNSafer. À ce stade, la rentabilité proposée est assez éloignée des standards du marché du capital-investissement.

Les acteurs du financement participatif sont désormais installés dans le secteur, avec une place en croissance mais qui reste modeste. Comment les voyez-vous évoluer ?

D.L : Nous participons à cette aventure, car c’est une innovation intéressante au coeur de nos préoccupations. Certains de ces acteurs ont des capacités d’adaptation et d’innovation. Dès lors que ces acteurs imaginent des solutions utiles à la réalisation de projets, alors nous ne pouvons que nous intéresser à ce qu’ils font. C’est pourquoi nous sommes ouverts à la prise de participation ou la collaboration avec certains d’entre eux.

Vous avez récemment annoncé le lancement d’un fonds d’investissement d’un milliard d’euros pour l’agriculture et l’agroalimentaire. Quelle est l’ampleur de l’effort que cela représente par rapport à ce que vous faisiez déjà ?

D.L : Il s’agira d’un fonds d’investissement privé non coté qui pourra contenir toutefois une partie de financement, et pourra intéresser d’autres partenaires financiers pour une part indéterminée. Ce fonds sera doté de ressources du Crédit Agricole mais pas seulement. Nous ne pouvons pas dire à ce stade dans quelle proportion. Les cibles iront de l’agriculteur qui a un projet de transformation, jusqu’à un industriel de l’agroalimentaire. Il visera tout ce qui touche de près ou de loin à l’agriculture.

Votre partenaire pourrait être Rothschild qui a annoncé le lancement d’un fonds de 250 M € sur le même périmètre au lendemain de votre annonce ?

D.L : Pourquoi pas. Le fait que des établissements dont ce n’était vraiment pas la spécialité s’y intéressent est un signe extrêmement positif pour l’agriculture. Tout le monde a compris l’importance stratégique de l’agriculture que l’on avait pourtant délaissée depuis deux décennies.

Parmi ces nouveaux investisseurs, il y a Xavier Niel, dont d’aucuns craignent qu’il n’aime pas beaucoup l’élevage. De votre côté, allez-vous financer les steaks in-vitro ou autres imitations végétales ?

D.L : Mon opinion personnelle est que le Crédit Agricole ne doit pas s’interdire d’investir dans des acteurs en rupture, comme nous pouvons le faire dans le domaine financier. C’est d’ailleurs une façon de progresser plus vite. Par ailleurs, dans le domaine de l’alimentation, c’est souvent le client qui a le dernier mot, indépendamment du regard que nous pouvons porter sur ses choix.

(1) Le groupe Crédit agricole est actionnaire de la société Agra Investissement, majoritaire au capital d’Agra SAS

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