Conseil départemental : les considérations sociales changent la représentation géographique
Session extraordinaire, vendredi dernier, avec les interventions de Michel Klopfer et Christophe Guilluy... et la joute verbale entre le président Descoeur et le conseiller Calmette
Ce qui est presque certain, c'est que Christophe Guilluy n'ira pas travailler demain à l'Insee. Quoi que, on ne sait jamais. Vendredi, il a brossé devant les élus du Cantal un tout nouveau portrait du paysage français, s'appuyant sur de nombreuses cartes, mais avec d'autres critères. Surprenant, intéressant. Pour Christophe Guilluy, "aucune carte n'est objective. Elle est un point de vue subjectif". D'emblée, il explique qu'il n'a pas "la science infuse. C'est l'expérience de 25 ans de travaux divers et variés pour les ministères et les entreprises territoriales qui m'ont amené à définir cette nouvelle géographie sociale". Alors, à travers la représentation, la fragilité sociale et la cohésion nationale, il dessine une autre France.
"Vous représentez la majorité du pays"
"Quand je viens ici, je ne suis pas dans un village gaulois, isolé de tout... Alors effectivement, ils ne le disent pas comme ça, mais ils le pensent très fort dans les hautes sphères. Moi, je pense tout simplement que vous représentez la majorité du pays", sonne le géographe. Il montre alors la carte de France, celles des métropoles made in Insee. "La France, c'est ça ! On parle de 95 % de la population, de personnes qui vivent sous influence urbaine. Vous êtes donc dans les 5 % qui restent (rires). Je n'ai rien contre l'Insee, mais être urbain aujourd'hui, cela veut dire quoi ? Vivre à Charleville-Mézières ou à Paris, c'est pareil pour l'Insee. Et le péri-urbain, c'est quoi, celui vu des Yvelines ou bien de Guéret ? La diversité est forte, mais toujours calée entre une zone urbaine et une zone rurale. Moi, je me suis intéressé à l'ouvrir et l'employer à la majorité de la population active". Et hop, deuxième carte qui cette fois fait la part belle à la représentation sociale du pays. "Cette France des invisibles (les 5 %) est exactement le négatif de l'autre. De 1980 aux années 2000, il y a eu une évolution des catégories ouvrières dans l'espace. Il s'est passé un redéploiement des personnes, une logique de dispersion qui a vidé les métropoles des catégories modestes." Dans son déroulé, "Paris, Lyon et Rennes sont sur les mêmes logiques : plus on va en périphérie, plus les catégories modestes sont importantes. On trouve les cadres supérieurs dans l'hyper centre, puis les catégories moyennes, puis les modestes, puis les précaires car la logique foncière est là. C'est un véritable rouleau compresseur". Le technicien pense même que "c'est une dynamique qui va s'accroître. Le marché immobilier crée toujours la présence de la catégorie socio- professionnelle dont il a besoin. Le renchérissement du foncier contribue au renforcement des cadres supérieurs et ça continue. C'est une logique de mondialisation, mais aujourd'hui, l'éventail social des grandes métropoles est très inégalitaire. Au point même que le maire de Paris réfléchit à développer du logement social pour les catégories intermédiaires". Sans occulter le fait que les deux tiers du PIB sont produits dans les métropoles, le géographe avance que "l'on organise le territoire autour des zones les plus riches, qui créent le plus d'emplois et un pouvoir économique phénoménal à qui il ne manquait plus que le pouvoir politique. C'est ça la réforme territoriale. Mais faire disparaître la seule représentativité visible (les Départements) de la France invisible, ça me choque". Pour Christophe Guilluy, la France doit être un grand ensemble, "où la question sociale se pose partout. On veut opposer le rural et la banlieue, donner des priorités à l'un ou à l'autre. Non ! Tout est prioritaire. Il y a donc des questionnements de politique publique derrière". Toujours selon lui, il ne plus y avoir de France de la caricature : "quand on ne bouge pas on vieillit"; "le Cantal, mais tu y vas comment ?" ; ou encore "mais tu n'es pas un spécialiste du monde agricole". "C'est comme vous dire jeune égal banlieue, vieux égal rural." Et de poursuivre : "40 % de la population, moins pour d'autres, voilà la grande métropolisation. Cela veut dire qu'il y a 60 % de gens ailleurs. On a donc défini un indicateur de fragilité sociale, dont s'affranchit l'Insee. On ne parle pas de misère, mais de la France qui vit avec des revenus médians, qui a du mal à boucler les fins de mois, qui vit sur des territoires fragiles". Il invitait alors les élus locaux (les parlementaires) à se faire entendre, à porter la voix de cette France invisible, "cette France périphérique qui ne doit ni être urbaine, ni rurale. Elle est les deux. Je crois que la France périphérique c'est la majorité. Le Cantal, c'est la France. La question n'est pas qu'une spécificité rurale agricole. Elle dépasse cela. Pour la première fois, les catégories socio-professionnelles ne vivent plus où se créent la richesse. Il y a des atouts dans cette France périphérique, mais dont personne ne se sert".
Plus d'infos à lire cette semaine dans L'Union du Cantal.
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