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"Bruxelles est en train de sortir du monde des bisounours !"

Éleveur de limousine et président du groupe viande du Copa, l’Aveyronnais Dominique Fayel
a témoigné devant ses homologues de la FDSEA 15 des signaux de l’amorce d’un virage européen.

Dominique Fayel : “Il y a une fenêtre de tir plus favorable pour poser la place de l’élevage dans le futur de l’agriculture européenne.”
© P. Olivieri

Avez-vous le sentiment que le mouvement inédit de contestation agricole qui s’est répandu début 2024 comme une traînée de poudre à travers de toute l’Europe a fait bouger les lignes au sein des  
institutions européennes, à commencer par la Commission ?
Dominique Fayel, président du groupe viande du Copa, invité vendredi 19 avril au conseil fédéral de la FDSEA 15 à Salins : “On observe des signaux : un paquet “simplification” a été adopté, accolé à un acte délégué sur la BCAE(1) 1 (relative au maintien des prairies, NDLR), le tout dans le cadre d’une procédure accélérée plutôt inhabituelle au niveau européen où le rythme est plutôt l’inertie... Ce ne sont certes que des points techniques qui, pour nous paysans, n’ont rien de spectaculaires, mais qui sont révélateurs qu’un certain nombre de fonctionnaires et de politiques ont percuté.”

Pour autant, le logiciel agricole européen est-il selon vous en passe d’être reprogrammé ?
D. F. : “Oui et non. Le virage politique était sans doute antérieur aux manifestations de début 2024. Jusqu’en 2019, l’Europe croyait la paix et la prospérité acquises, la disponibilité des biens agricoles n’était pas un sujet... Il n’y avait que deux grands enjeux européens : l’influence économique et politique de l’UE et l’environnement. Sauf que le Covid, la guerre en Ukraine et, aujourd’hui, l’embrasement du Moyen-Orient rebattent les cartes. On découvre qu’on ne sait plus fabriquer des obus à grande échelle, que la question du potentiel agricole et de la souveraineté alimentaire, jadis jugées secondaires, sont de véritables enjeux géopolitiques : on voit le jeu de Poutine en Afrique... On sort du monde des bisounours et la réalité vient percuter le monde imaginaire, naïf, utopique dans lequel les dirigeants bruxellois et nationaux pensaient évoluer. 
Pour l’agriculture, ce virage s’est traduit depuis un an par une série de textes dont les votes ont été beaucoup plus difficiles ou qui ont été retirés : ça a été le cas avec le retrait du règlement SUR (qui visait à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030), le recul sur la directive IED (émissions industrielles), le texte sur le bien-être animal n’est sorti qu’en partie, celui sur la stratégie protéines n’est pas sorti du tout, idem sur le projet de restauration de la nature... Ça ne veut pas dire que l’environnement n’est plus un sujet à Bruxelles mais la Commission comme l’ensemble des formations politiques ont compris que ça coinçait vraiment sur le Green Deal.”

Retour douloureux à la réalité 

Cette amorce de virage agricole résistera-t-il aux élections européennes ?
D. F. : “Au-delà du contexte global, c’est vrai que les députés européens se mettent au diapason de leur électorat à l’approche des élections, avec un monde agricole qui a vivement et massivement exprimé son ras-le-bol. Même si les sondages ne font pas une élection, on peut imaginer qu’une nouvelle couleur politique s’impose au Parlement européen, plus à droite, voire une droite dure. 
Mais quelle que soit la couleur politique, les questions stratégiques vont revenir sur le devant de la scène, notamment tout ce qui touche à la défense et la sécurité. L’agriculture a de fortes chances d’être considérée comme stratégique mais reste à savoir sous quel angle : est-ce que la souveraineté signifiera produire local pour couvrir les besoins fondamentaux de la population européenne ? Ou bien diversifier le porte-feuilles de fournisseurs pour être moins dépendants d’un seul ? Pour l’instant, on est plutôt sur la deuxième définition. La question environnementale sera, elle, toujours présente, mais probablement traitée différemment.
Et puis va se poser la question financière avec des États membres qui ne vont pas davantage cracher au bassinet, se posera peut-être la question d’une ressource propre de l’UE avec une fiscalité adaptée, le tout dans un contexte d’élargissement avec le gros morceau de l’Ukraine, un grand pays en termes de surfaces, de nombre d’habitants et qui deviendrait le premier pays agricole de l’UE. Si je ne pense pas que l’adhésion se fasse à moyen terme, il n’empêche que l’Ukraine a accès au marché européen, avec des répercussions.”

Priorité : réhabiliter l’élevage

Quelles sont les revendications prioritaires du groupe viande du Copa ?
D.F. : “La réhabilitation de l’élevage. Même si dans aucun document stratégique, il n’a été écrit noir sur blanc qu’il fallait réduire l’élevage,pas un seul texte ne poussait pas dans cette direction. Cette volonté de faire reculer l’élevage, notamment des ruminants, était implicite, motivée par deux vecteurs : réduire les émissions carbone des bovins et remettre en question la place de la viande (quelle qu’elle soit) dans l’alimentation humaine. On a vécu ces cinq dernières années avec cette double volonté délibérée de l’Union européenne. 
Mais là aussi les chiffres sont en train de leur exploser à la figure avec une décapitalisation des cheptels dans tous les pays de l’UE quasiment sans exception, et pas qu’en viande bovine. Un phénomène devenu structurel sans que personne ne voit de levier pour l’inverser, tant et si bien que même les fonctionnaires de la DG Agri(1) se disent que le balancier est allé beaucoup plus loin qu’ils l’avaient imaginé. Les mêmes commencent aussi à se rendre compte que c’est antagoniste de vouloir à la fois conserver les prairies et réduire le cheptel, d’où d’ailleurs la réforme de la BCAE 1, mais il a fallu des années pour les percuter là-dessus. Plus largement, ils voient bien qu’il y a des zones inconvertibles - typiquement la nôtre, sans alternative -, où la disparition de l’élevage serait la disparition du principal vecteur économique des zones rurales. Au moment de la guerre en Ukraine, ils plaidaient aussi pour moins d’engrais chimiques (dont le principal producteur est la Russie, NDLR) et plus d’engrais organiques. Mais comment on fait avec moins de bétail ? Ils voulaient une agriculture plus diversifiée mais la réduction du cheptel bovin et de l’élevage en général conduit à une spécialisation sur le végétal. 
Tous ces clignotants sont en train de s’allumer et je pense que le futur commissaire de l’Agriculture trouvera sur sa table des documents écrits par son administration qui devraient reposer la question de l’élevage, on l’espère sur des bases plus saines. Donc oui, il y a une fenêtre de tir plus favorable pour poser la place de l’élevage dans le futur de l’agriculture européenne.”

Libre-échange : une idéologie encore prégnante

Pourtant jusqu’à ces dernières semaines, la Commission reste arcboutée sur ces velléités de libre-échangisme commercial avec la ratification fin février d’un accord avec le Chili par exemple...
D. F. : “Si dans les têtes, les choses commencent à bouger, cela ne se traduit pas encore dans les actes. Le libre-échange est l’un des points durs de l’idéologie européenne. L’Europe a vécu pendant 30 ans avec la croyance qu’avec le libre-échange, on allait porter à travers le monde le développement économique, la paix, la démocratie et nos valeurs. On se retrouve aujourd’hui avec une démocratie qui recule, une paix menacée et on n’est pas loin d’ailleurs d’imaginer un scénario de bascule vers un conflit généralisé... 
L’Europe reste encore accrochée à cette idée que malgré tout le commerce nous permettra de jouer un rôle à travers le monde, or l’Europe est en train de régresser en termes de poids économique, démographique, politique. On peut passer des accords avec la terre entière, ce n’est pas pour ça qu’on sera plus puissants et influents ! L’UE court après le Mercosur pendant que Lula continue lui de courir derrière Poutine et Xi Zinping, c’est ridicule ! Ceci dit, dans le débat politique qu’il y a eu sur le Ceta, être opposé aux accords de libre-échange comme nous le sommes, ce n’est pas être opposés aux échanges mais à ce type d’échanges. Donc sur le commerce, le virage n’est clairement pas encore pris et l’enjeu, vraiment, va être de les convertir idéologiquement.”

(1) Bonnes conditions agricoles et environnementales, conditionnalité de la Pac.
(2) La DG Agri est chargée des politiques de la Commission européenne concernant l’agriculture, le développement rural et la Pac.

Copa, Quezàco ?

 Éleveur de vaches limousine à Senergues dans l’Aveyron, Dominique Fayel a succédé à Jean-Pierre Fleury à la présidence du groupe viande du Copa. Il a été président de la FDSEA 12, administrateur de la FNB sur plusieurs mandats, au bureau de la FNSEA en charge du dossier montagne. Le Copa, que préside la Française Christiane Lambert, regroupe près de 80 organisations agricoles issues de 27 pays, c’est la principale organisation représentative des agriculteurs à Bruxelles. Les principaux acteurs de la production de viande bovine européens sont la France, l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, la Pologne et l’Allemagne dans une moindre mesure sachant que “la règle la plus répandue en Europe est que la viande bovine est un dérivé de la production laitière”, a rappelé Dominique Fayel, ajoutant que la politique “anti-élevage” menée à Bruxelles cette dernière décennie a resserré les rangs des représentants de l’élevage européen.
 

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