Bruno Le Maire : "Je suis convaincu qu'il faut un plan d'urgence global qui touche toutes les filières"
Dans le contexte des crises agricoles et après les manifestations du 16 octobre à l'appel de la FNSEA et des JA dans les capitales régionales, le Ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire, explique sa politique et annonce un plan global pour toute l'agriculture.
Entretien exclusif à Réussir et Agra Presse, quelques jours avant les annonces de Nicolas Sarkozy.
Lundi 19 octobre, la Commission européenne débloquait 280 millions d’euros pour être distribués en aides directes aux producteurs de lait et acceptait l’essentiel des points de votre document sur la régulation. Que va-t-il se passer maintenant ?
La nécessité de la régulation des marchés agricoles est devenue une idée acceptée par la plupart de nos partenaires européens. Nous avons le soutien de vingt et un États membres, du Parlement européen qui s’est exprimé en faveur des propositions franco-allemandes et de la Cour des comptes européenne qui s’est également prononcée en faveur de cette régulation. La Commission européenne a, en effet, repris point par point toutes les propositions - à l’exception de l’une d’entre elles sur l’alimentation animale -, figurant dans le document des vingt et un Etats membres signé à Vienne. J’estime que la France a fait considérablement bouger les lignes et emporté une vraie victoire diplomatique en mettant le dossier de la régulation sur la table des discussions européennes.
Un chemin très important reste cependant à parcourir pour définir de manière plus large cette régulation à la fois dans le secteur du lait et dans les autres secteurs agricoles. Un groupe de travail de haut niveau, mis en place par la Commission, doit rendre ses conclusions en juin 2010. Mais je souhaite qu’il formule des propositions au fil des mois.
Juin 2010, c’est loin ?
Soit on veut bâtir quelque chose de grande ampleur, c’est-à-dire une régulation de l’ensemble des marchés agricoles européens et pas simplement du marché du lait : alors il faut s’interroger sur les instruments les plus efficaces ou les nouveaux instruments à mettre en place, sur le champ que l’on fixe à cette régulation. Cela prendra forcément du temps. Soit, au contraire, on fait du rafistolage et cela sera fait en quelques semaines. Je n’envisage pas cette solution, préférant que l’on prenne le temps nécessaire pour bâtir une vraie régulation solide de l’ensemble des marchés agricoles européens.
Les contours de la contractualisation devraient-ils être décrits dans la loi de modernisation agricole (LMA) ?
Je préfère parler de contrat et d’accord passé entre producteurs et industriels et éviter toute incompréhension sur l’objectif de cette nouvelle relation : il ne s’agit pas d’aller vers une intégration du producteur agricole dans les groupes industriels. Pour que ces contrats ou accords soient justes et équitables, il est important qu’il y ait un cadre général défini par la loi. Elle doit fixer un certain nombre de conditions indiquant ce qui doit figurer dans le contrat entre producteurs et industriels. Ensuite, la liberté de conclure ces contrats appartient, bien entendu, à chaque producteur et à chaque industriel.
Les interprofessions, à l’heure où la PAC voit son rôle se réduire, pourraient-elles devenir des instruments majeurs de régulation ?
Les interprofessions ont un rôle très important à jouer dans l’organisation du monde agricole et dans la définition d’un certain nombre de choix pour l’avenir. Dans les périodes difficiles comme celle que nous connaissons aujourd’hui, chacun doit exercer la responsabilité qui lui incombe.
S’agissant de la PAC, je ne partage pas l’idée selon laquelle elle devrait se retirer de la définition des grandes orientations politiques et laisser chacun libre d’exercer son activité à l’échelle nationale, sans perspective commune. Il est urgent de redéfinir les objectifs de la politique agricole commune. Je propose qu’on la rebaptise « politique alimentaire et agricole européenne », parce que je crois que l’alimentation doit devenir l’objectif politique numéro « un » de l’agriculture européenne. Cela veut dire : sécurité alimentaire, sécurité sanitaire totale et respect du développement durable…
Quel rôle aura la loi de modernisation agricole ? Préparer la grande réforme de la Pac de 2013 ?
C’est d’abord une étape majeure pour sortir de la crise, donner les moyens à l’agriculture et à la pêche française de redémarrer dans les meilleures conditions. Le deuxième objectif est de préparer les agriculteurs à passer le cap de 2013. Pour cela, j’ai voulu concentrer les travaux autour de cinq grands axes. Le premier est celui de l’alimentation. Cette loi doit être le moyen de définir une politique publique de l’alimentation. Cette politique n’a jusqu’à présent jamais été définie. Nous devons passer à une politique publique d’alimentation plus structurée avec au moins trois objectifs. Le premier consiste à fixer des objectifs nutritionnels. Deuxième objectif : une meilleure information sur l’alimentation pour l’ensemble des Français. Le troisième est d’ordre social : ne serait-il pas logique de valoriser davantage l’effort collectif au service de l’alimentation des plus démunis ?
Et sur le plan plus agricole ?
Le deuxième axe est, justement, la question du revenu des agriculteurs et de la compétitivité de l’agriculture française. Nous devons prendre des décisions en améliorant le dispositif assuranciel actuel. Il faut aller plus loin aujourd’hui. Ce qui existe est insuffisant pour garantir la stabilité des revenus des agriculteurs. Les exploitants connaissent des fluctuations et des pertes de revenus trop importantes. Gagner en productivité, cela veut dire aussi avoir une meilleure organisation des filières et résoudre un certain nombre de problèmes comme le coût du travail occasionnel. Celui-ci atteint le double de ce qui existe dans certains pays européens. En apportant une réponse à cette question, nous permettrons à l’agriculture française de mieux se battre par rapport à ses concurrents européens. Troisième grand axe de la loi, la gestion des territoires agricoles. Cette gestion est insuffisante par rapport à l’enjeu stratégique que représente la préservation des meilleures terres agricoles. Ce sera l’objet de certaines mesures de la loi de modernisation.
La FNSEA a conçu une « plateforme » de demandes et l’a soutenue par sa manifestation du 16 octobre. Elle se chiffre à 1,4 milliard d’euros dont 575 d’aides d’urgence. Est-ce crédible ?
On ne peut jamais ignorer une manifestation quand elle a été massive, et quand elle suit un certain nombre de mouvements agricoles comme la grève du lait. Ces actions traduisent un malaise. Il doit être pris en compte.
Je suis convaincu qu’il faut, aujourd’hui, un plan d’urgence global qui touche toutes les filières et qui permette d’éviter les dégâts que provoquera la crise économique. Ce plan d’urgence doit notamment permettre de soulager la trésorerie d’un certain nombre d’exploitants, comme les jeunes et ceux qui ont récemment investi. Ils se retrouvent avec des remboursements d’emprunts extrêmement lourds à payer. Il doit aussi permettre de relancer l’agriculture en lui donnant des perspectives, financières entre autres. Je proposerai au président de la République et au Premier ministre que ce plan ait deux volets. À la fois alléger l’année 2009 qui restera comme une année calamiteuse pour les filières et en même temps relancer une dynamique d’investissement.
Le plan de soutien concernera-t-il toutes les filières ?
La crise laitière est un symbole des difficultés du monde agricole. Si j’ai consacré autant de temps à cette crise c’est aussi que, au-delà du lait, il y a l’agriculture qui souffre dans son ensemble. C’est vrai de l’élevage, notamment porcin, mais aussi des fruits et légumes, de la viticulture. Toute l’agriculture souffre. En grandes cultures, nous sommes passé d’une situation avec des prix de l’ordre de 300 euros la tonne à 120 euros aujourd’hui et avec des rendements moindres que ceux des années passées. Cette situation économique appellera une réponse. Le plan global concernera tous les secteurs.