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AOP salers : une dynamique réensemencée

2022 restera marquée d'une pierre noire pour l'AOP salers, contrainte à une interruption de production par la météo. Ce qui n'a pas empêché la filière d'avancer sur de nombreux dossiers.

Laurent Lours, président de l'AOP, a incité ses collègues à grader le maximum de pièces.
Laurent Lours, président de l'AOP, a incité ses collègues à grader le maximum de pièces.
© Duroux

C'est tout le paradoxe : on n'a jamais autant parlé ces dernières années dans les médias nationaux et internationaux de l'AOP salers qu'à l'été 2022, en raison d'une interruption de production de l'appellation fermière contrainte et forcée par le manque de fourrages. Un focus médiatique et une décision dont les producteurs de la seule appellation française fromagère 100 % fermière se seraient bien passés. "Cela a été compliqué mais je pense qu'on a pris les bonnes décisions", a assumé vendredi dernier Laurent Lours, président de la section salers du Cif réunie en assemblée générale à Vic-sur-Cère, soucieux de garantir aux consommateurs une production conforme à son cahier des charges : "En termes d'image et de sérieux pour la filière, je pense que ce sera bénéfique pour l'avenir."

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Conséquence de cette interruption de la transformation laitière des 78 exploitations de l'AOP pendant un bon mois : un manque à gagner certain, et des tonnages produits amputés de 13 % soit 161 tonnes de moins. En 2022, seules 1 076 t de salers ont été fabriquées contre une moyenne de 1 150 t ces cinq dernières années. En moyenne, chaque producteur a fabriqué 328 fourmes de salers (contre 350/an depuis 2018). Avec pour corollaire, dans les caves des affineurs, des stocks bien moins garnis (10 000 t fin février 2023, soit 3 000 t de moins qu'un an auparavant), une situation bienvenue à l'heure où les ventes marquent le pas : les tonnages commercialisés depuis novembre sont en effet en recul de 16 % par rapport à la période novembre 2021/février 2022. Avec deux explications possibles et cumulables : l'inflation qui peut freiner les consommateurs face à une appellation dont les prix atteignent 20 EUR/kg mais aussi une production plus faible : "Peut-être s'est-il aussi moins vendu de fromages parce qu'il y en avait moins...", questionne Laurent Lours, qui croise les doigts pour une campagne 2023 plus clémente sur le front climatique.
S'ils ont impacté les trésoreries et le moral des producteurs l'été dernier, ces aléas (climatiques, rats taupiers...) n'ont cependant pas entamé la dynamique et l'attractivité  retrouvées de l'appel-
lation : trois nouveaux producteurs vont faire leur entrée dans la filière cette année, qui pourraient être imités par trois autres, portant ainsi à 80 l'effectif de l'AOP salers, finalement pas si éloigné de celui des années 80, note Laurent Lours. "Des gens motivés, qui croient dans la filière", salue Ludovic Machaix. À l'image de Laurent et Béatrice Roux, qui ont façonné leurs première fourmes il y a bientôt 20 ans et qui étaient mis à l'honneur vendredi dernier comme trois autres collègues(1) pour leurs performances : 99,6 % de fromages gradés avec une note moyenne de 14,7. "Grâce à l'AOP salers, on se sort deux salaires et on finance nos investissements", s'est réjoui Laurent Roux.

"Gradez, gradez, gradez !"
"Gradez, gradez, gradez !" : un message seriné par le président de la section à l'issue de la présentation de la mise en oeuvre officielle de la RRO (règle de régulation de l'offre) en blanc. "On vit des années compliquées, entre le Covid, la guerre en Ukraine, l'inflation,..., on ne sait pas comment va évoluer le comportement du consommateur. La seule façon de tirer notre épingle du jeu, c'est de miser sur la qualité", assure le président de l'appellation.
Basées d'une part sur leur historique, les références individuelles pour la prochaine campagne seront ainsi également indexées sur le pourcentage de fromages gradés et la note de ces gradages, ont expliqué Stéphanie Gardes et Ludovic Machaix. Des données qui seront définitivement connues au 30 juin prochain, une fois la campagne de gradage achevée, sachant qu'on devrait atteindre
97 % de la totalité de la production gradée. Très bien mais encore perfectible pour les représentants de l'AOP.
La filière est par ailleurs dans l'attente des premiers retours de l'Inao (potentiellement avant l'été) sur son projet de révision de décret, déposé en décembre dernier, une révision dont on sait qu'elle peut prendre plusieurs années. D'autres chantiers, internes, sont également sur le feu, dont celui visant à améliorer les conditions de travail en oeuvrant sur l'ergonomie des différentes étapes de fabrication. L'obtention de financements a enfin permis à l'appellation de passer à une phase de prototypage confiée à la société Mécatheil dont les premières moutures de bascule-gerle et presse-tome sont jugées perfectibles, des améliorations sont donc attendues pour 2023, 2024 étant dédiée à l'étape de broyage-salage.

La gerle en bois révèle ses secrets
Ces supports à la transformation n'enlèveront rien à la typicité de cette dernière, garantie par la gerle en bois. Un acteur incontournable dont le rôle a été attesté de façon plus approfondie par des études scientifiques conduites par l'Inrae. Si ces recherches ont conclu à
l'absence d'impact de la taille de la gerle sur l'acidification du lait, en revanche, elles ont explicité les interactions entre la gerle et le microbiote du lait et montré qu'il était tout à fait possible de réensemencer la gerle à partir de tome congelée, broyée et mélangée à du lait (dès lors que l'innocuité sanitaire est vérifiée). Une alternative appréciable aux ferments achetés en début de campagne par exemple, permettant de conforter la flore autochtone attachée à chaque exploitation, a relevé Alain André.
"Cette étude montre pour la première fois le rôle spécifique de la gerle, c'est très important, cela nous sécurise pour l'avenir", a fait valoir Laurent Lours, qui compte bien valoriser ces résultats pour sanctuariser l'utilisation de la gerle et en promouvoir la singularité auprès des consommateurs. Ces derniers étant encore nombreux à ignorer les spécificités de l'AOP salers, dont ce recours à la gerle en bois. Cette dernière pourrait d'ailleurs postuler au patrimoine immatériel de l'Unesco.

(1) La Gaec des fleurs bio (98,8 % de fromages gradés, note de 15,6), le Gaec Breuil (100 % et 14,9), le Gaec Coste Maury (98,4 %, 14,9).

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