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60 ans de Limagrain : « les paysans sont encore les patrons ! »

La coopérative auvergnate est une sexagénaire des plus dynamiques, résolument tournée vers son avenir et l'ouverture au monde, avec toujours pour objectif de faire vivre les agriculteurs de Limagne. Entretien avec Sébastien Vidal, son président.

seb vidal président limagrain
© JulienBruhat

En 60 ans, Limagrain a connu un développement d'une rare ampleur pour une coopérative et un groupe. Quelles ont été les étapes clés de cette sucess story ?

S.Vidal : Tout commence avec la création de la coopérative en 1965, issue de la "coopérative de production et vente de semence sélectionnées du Massif Central". La culture du maïs est alors en plein développement et s'intègre de plus en plus dans l'alimentation animale. La question de retrouver une souveraineté alimentaire en France a également encouragé cet essor. La plaine de la Limagne n'avait pas toutes les autoroutes et routes qu'elle peut avoir aujourd'hui. La production agricole locale était isolée des grands bassins de production et des ports. Nous n'avions aucune chance d'être compétitifs. Les fondateurs de Limagrain avaient compris que pour maintenir le tissu agricole de Limagne, il leur fallait aller vers des cultures à hautes valeurs ajoutées. Ils ont donc positionné la coopérative sur la production de semence.

C'était un pari audacieux pour l'époque ?

S.V : Et qui a été relevé, grâce notamment à un partenariat avec l'Inrae de Clermont-Ferrand. La coopérative a travaillé sur la question de l'hybridation du maïs. L'Institut avait dans ses cartons une variété compliquée à produire en termes de semences. Le mâle et la femelle étaient très éloignés mais qui permettaient l'expression du phénomène d'hétérosis* le plus intéressant. Nous avons créé la variété LG11 qui est devenue un best-seller. Limagrain a connu son premier succès commercial. 

Les agriculteurs de l'époque auraient pu se dire : on se partage le gâteau ou on reste sur les grandes cultures. Ils ont plutôt fait le choix de diversifier l'activité de la coopérative et d'investir dans les semences potagères

Qui aurait pu avoir à l'idée de racheter une société comme Vilmorin en 1975, qui perdait de l'argent ? Là aussi c’était une décision visionnaire. Elle a retrouvé un équilibre économique depuis et nous prouve aujourd'hui que la persévérance paye (ndlr : entrée au capital du fonds souverain ADQ des Émirats Arabe Unis).

À lire aussi : Les Émirats Arabes Unis entrent au capital de Limagrain

Dans cette même orientation en 1983, le constat a été fait que la semence de maïs ne suffisait pas à maintenir un revenu décent pour les agriculteurs. Tous ne font pas de maïs semence et ce n'est pas la culture majoritaire de Limagne. Limagrain a fait le choix d’investir dans la maïserie pour être présent de la semence jusqu'aux clients. Ce fut la création pour Limagrain de sa première filière.

Il y a plus de 40 ans, les agriculteurs de Limagrain ont donc compris qu'il était primordial d'être présent sur un maximum de maillons de la chaîne pour faire perdurer leur activité. Là encore, c'était précurseur ?

S.V : Ils ont fait le même constat que nous aujourd'hui : si nous voulons capter un maximum de valeur ajoutée, il faut se rapprocher du client final. De plus, dans les années 1980, ils ont été portés par le marché en plein boom des corn-flakes.

Les agriculteurs ne se sont pas arrêtés à la simple mise en marché du produit final des adhérents. Ils se sont dit qu'il fallait aller plus loin. 

La grande vision a été de construire ce groupe Limagrain en parallèle de la coopérative. La coopérative est la maison mère du groupe mais avec l'ambition de lui donner une envergure d'abord européenne puis internationale. C'est ce qui a donné aussi une certaine attractivité à la coopérative pour attirer des talents (chercheurs…) qui ont participé à cet essor. C'était une logique entrepreneuriale qui à l'époque connaissait bien moins de freins que ce que l'on peut connaître aujourd'hui en France.

Grâce à ces premiers succès, Limagrain va poursuivre son développement sur la génétique semencière mais aussi la diversification de ses activités…

S.V : Limagrain a en effet investi dans la recherche génétique en 1986. En 1991, nous avons acquis Nickerson avec une génétique maïs très intéressante, qui a participé à la réussite de Limagrain sur le marché européen entre 1995 et 2000. La même année, la cave Saint Verny a été créée. C'était un dossier stratégique qui a fait progresser la coopérative. 

On ne peut pas avoir une coopérative faible et un groupe fort, et vice versa. 

C'était aussi l'idée de maintenir une autre production que les céréales et amener du revenu sur des parcelles de coteaux où l'irrigation est impossible. 

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En 1995, Jacquet a été racheté avec toujours cette idée de développer notre filière. Limagrain, contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, n’est pas une entreprise qui roule sur l'or. Nous avons mis 10 ans à obtenir des résultats positifs avec Jacquet. Nous avons construit l'usine, ici à Saint-Beauzire, pour donner de la valeur aux blés de Limagne. Elle transforme désormais 60% des blés de Limagne, livrés à Limagrain.  

Est-ce le rachat de Jacquet qui a orienté les cultures de blés de Limagne vers une spécialisation sur les variétés panifiables ?

S.V : Oui et non. Oui parce que la Limagne a toujours été une zone favorable pour les blés améliorants (climat difficile…). Nous ne sommes pas une région à forts rendements mais elle apporte de la protéine dans les blés. Dans notre recherche industrielle pour faire nos pains et bâtir notre diversification (buns…), nous avions besoin d'une certaine typologie de farine. Comme nous sommes acteur dans la sélection variétale et la production, et que nous détenons aujourd'hui les moulins, nous sommes en mesure de répondre très précisément aux attentes de nos usines.

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Le dérèglement climatique risque-t-il de rebattre les cartes en étant défavorable à la qualité des blés améliorants ?

S.V : Nous attendons les premiers résultats de la campagne. L'an dernier, nous avons eu la chance d'être préservés des excès d'eau. La qualité s'est maintenue, nous permettant de répondre à la demande de Jacquet et de nos autres clients. Oui, le changement climatique a un effet sur la production de blé notamment sur les rendements. 

Nous n'avons pas de gain. Ça devient compliqué. 

Les années sont bien différentes les unes des autres. Cette année en est la preuve. Nous sommes passés d'un printemps favorable à un mois de juin avec un coup de chalumeau !

En 60 ans, l'enjeu pour les coopérateurs a-t-il été aussi de maintenir un équilibre entre la coopérative et le groupe ?

S.V : Oui, à la fois pour une question de revenu sur les exploitations et de fierté. Le groupe est un pilier. Il apporte des moyens pour permettre à la coop d'être innovante, de mobiliser des chercheurs sur des programmes spécifiques comme la sélection de blés pour la Limagne. Je ne connais pas beaucoup de semenciers qui établissent un programme de recherche précis pour quelques hectares.

Le groupe donne pourtant l'impression de prendre le devant de la scène par rapport à la coopérative. Limagrain est-elle encore réellement une coopérative ?

S.V : La coopérative n'a jamais autant recherché de solutions pour les agriculteurs. Elle n'a jamais autant défendu les moyens de productions de ses adhérents, sur le sujet de l'eau notamment. Nous avons une coopérative connue et reconnue sur son territoire qui investit au sein même de ce territoire. Le groupe Limagrain ne peut exister sans la coopérative. 

Sans la volonté des agriculteurs administrateurs, un certain nombre d'investissements n'auraient pas été faits ici. 

En 2022, nous avons investi 24 millions d'euros dans la construction du moulin dans lequel 14 millions d'euros ont été réinvestis pour l'agrandissement. Les agriculteurs doivent être fiers. C'est bien leur coopérative, ils en sont les usufruitiers ! Avec les parts sociales, c'est un droit d'utiliser la coopérative et tout ce qu'elle a développé pour tirer un revenu sur les fermes. Notre devoir est aussi de la transmettre.

Même si Limagrain est devenue une grosse machine…

S.V : Je peux garantir une chose, ce sont encore les paysans les patrons ! Nous avons une direction générale dont les 1 300 agriculteurs adhérents de Limagne sont leur souci, avant le chiffre en bas du tableau.

Limagrain est-elle une sexagénaire active, avec des projets en ligne de mire ?

S.V : C'est une sexagénaire en période d'adolescence, avec beaucoup de projets.

À Ennezat d'abord, où on réinvestit dans l'unité de séchage et de stockage de maïs semoulier qui date de 1983. Les outils arrivent en bout de course. C'est à peu près 30 millions d'euros. On va améliorer le triage pour remédier à certaines problématiques comme les graines de datura. On lance aussi un investissement de 30 millions d'euros pour le stockage et l'expédition avec une technologie plus actuelle.

On se pose aussi la question sur l'usine d'Ennezat où 100 à 120 variétés sont traitées par campagne. On doit imaginer une usine plus souple et fluide pour gagner en temps et qualité. Les décisions ne sont pas encore prises. Il y a aussi une problématique de main-d’œuvre avec la difficulté à chaque campagne de trouver des saisonniers pour le tri.

La diversification est un enjeu essentiel. On teste le retour et la progression de certaines cultures comme l'ail. On recherche des hectares de vignes. Nous avons d'autres choses qui avancent à la vitesse de projet comme Vif Systems (production de micropousses). Ça fonctionne très bien, nous comptons 11 containers dans le Puy-de-Dôme, mais le marché en est à ses débuts.

À lire aussi : L'agriculture verticale arrive en Limagne avec Vif System et Limagrain 

À l'échelle du groupe, nous avons bien sûr le fonds souverain des Émirats Arabe Unis, ADQ, qui nous rejoint dans la branche des semences potagères, avec notamment la création d’un partenariat R&D.

On poursuit les investissements chez Jacquet Brossard dont le parc industriel est vieillissant. On veut continuer d'innover et d'améliorer la qualité de vie de nos collaborateurs. On modifie la ligne de Saint-Beauzire pour faire du brioché et diversifier nos produits. 

La grande innovation sera Lifywheat, une farine qui permet l'apport de fibres dans les tartines petit déj’ qu'on va multiplier sur des nouvelles gammes.

Ces 3 dernières années, nous avons investi 130 millions d'euros par an dans nos outils, sur le Puy-de-Dôme.

*désigne l'augmentation des capacités et/ou de la vigueur d'un hybride par rapport aux parents

 

 

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