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« Sur notre exploitation laitière, c’est toujours l’économique qui guide nos choix »

Le Gaec de l’Envolée, dans le Rhône, a misé dès le début sur une stratégie volume en intégrant les conditions de travail et la qualité de vie à la réflexion. La méthanisation s’imbrique parfaitement dans leur système qui vise à une plus grande autonomie.

Perché à 700 mètres d’altitude, dans les monts du Lyonnais, le Gaec de l’Envolée porte bien son nom. C’est l’histoire de trois anciens copains qui se sont installés pour prendre leur envol ensemble, hors cadre familial. Avec chacun en poche un BTS Acse et une expérience professionnelle à faire valoir, en tant que contrôleur laitier pour Florent Cellier, technicien génétique pour Mickaël Rageys et salarié agricole pour Sébastien Goutagny. « Même si nos parents respectifs disposaient d’une ferme, il nous tenait à cœur de monter notre propre affaire en terrain neutre », racontent les éleveurs avec enthousiasme.

Ils se sont installés en 2007 en fusionnant deux structures qui totalisaient alors 70 hectares et 500 000 litres de lait. Puis, l’exploitation a rapidement grossi au fil des départs en retraite des parents. Une nouvelle stabulation, largement autoconstruite sur un second site, a accueilli temporairement les génisses de 2011 à 2014, avant que les laitières n’y prennent leurs quartiers. « Notre chance, c’est que dès l’installation, nous avions en tête où nous allions et comment. Nous savions qu’à l’horizon de cinq ans, nous aurions doublé le volume à produire et nous savions sur quelle surface compter. Cela nous a aidés à nous projeter et à fixer nos priorités de façon optimale. » Les trois associés ont ainsi pu anticiper plus facilement la montée en puissance de l’exploitation et gérer leurs investissements en plusieurs étapes.

Une volonté de cohérence et d’anticipation

C’est aussi l’approche entrepreneuriale qui fait la cohérence et la réussite du système. En témoignent l’EBE et le revenu dégagé par la structure. « C’est toujours l’économique qui guide nos choix, martèlent-ils. Par exemple, nous avions conçu le nouveau bâtiment pour qu’il puisse accueillir des robots de traite, à terme. Mais nous ne voulions pas investir dans les robots sans être sûrs de pouvoir nous rémunérer correctement. La décision d’installer les stalles a été prise seulement quand nous avons eu la certitude de sécuriser le revenu avec le projet de méthanisation en 2014. »

 

 
Les deux robots n'ont été installés qu'après sécurisation des revenus de la méthanisation.
Les deux robots n'ont été installés qu'après sécurisation des revenus de la méthanisation. © E. Bignon
Au sein du Gaec, chaque question est débattue, en soupesant systématiquement le pour et le contre. « Pour chaque changement de pratique, chaque projet, nous nous demandons s’il y a un réel intérêt à le faire ou pas, en raisonnant sur ce que cela rapporte et coûte, en termes d’argent mais aussi de temps , insiste Mickaël Rageys. Nous faisons nos choix en connaissance de cause, et ce sont toujours les chiffres qui finissent par nous mettre d’accord ! »

 

Véritable ADN de l’exploitation, cette philosophie s’est renforcée avec la crise laitière de 2009. « Nous étions alors de jeunes installés en pleine phase d’accroissement de cheptel, se souvient l’éleveur. À ce moment-là, nous avons vraiment touché du doigt la fragilité du système. C’est là que l’idée de la méthanisation a commencé à germer pour diversifier notre activité. » Un choix éclairé qui constitue aujourd’hui la clé de voûte de ce système laitier intensif.

Opportunité d’une unité de méthanisation collective

Ce projet a mûri parallèlement à la réflexion menée à l’échelle de deux communautés de communes (33 communes, 35 000 habitants) désireuses de créer un territoire produisant plus d’énergie qu’il n’en consomme à l’horizon 2050. Suite aux études de faisabilité, une SAS s’est constituée en 2014, dont 51 % du capital est détenu par six exploitations agricoles dont le Gaec de l’Envolée, le reste revenant à des partenaires multiples (fonds d’investissement, région, syndicat d’économie mixte, etc.). Construite à 5 km de l’exploitation dans une zone artisanale, la structure produit aujourd’hui 125 m3/h de biométhane, directement injecté dans le réseau.

 

 
Pour Mickaël Rageys, Florent Cellier et Sébastien Goutagny, « la méthanisation s’imbrique complètement dans notre système d’élevage. L’unité collective alimente en gaz 2 000 foyers et une station de bioGNV ».
Pour Mickaël Rageys, Florent Cellier et Sébastien Goutagny, « la méthanisation s’imbrique complètement dans notre système d’élevage. L’unité collective alimente en gaz 2 000 foyers et une station de bioGNV ». © F. Berthet/ GrDF
« La méthanisation s’imbrique complètement dans notre activité d’élevage, analyse Florent Cellier. Elle permet d’abord une économie d’engrais non négligeable, surtout à l’heure actuelle, et les apports interviennent toujours au moment le plus efficace pour la culture. »

 

La méthanisation au service de l’élevage

Autre avantage, le Gaec a pu nettement limiter l’investissement pour le stockage de ses effluents. « Quand la construction du nouveau bâtiment a démarré (en 2011), nous avons anticipé la création de l’unité de méthanisation collective et limité volontairement le volume de la fosse à 600 m3, alors qu’elle aurait dû être quatre fois plus grande », détaille Mickaël. En plus de cette belle économie, les associés sont dispensés de la corvée d’épandage puisque c’est la SAS qui assure le transport d’effluents et de digestats par camion de 12 000 litres ainsi que les prestations d’épandage sur dix-neuf fermes (800 ha). « Nous économisons 400 heures d’épandage par an ! », apprécie Florent.

 

 
Une première fosse (200 m3) stocke le lisier dix jours maximum avant qu'il rejoigne l’unité de méthanisation. La fosse au second plan (600 m3) accueille le digestat avant épandage.
Une première fosse (200 m3) stocke le lisier dix jours maximum avant qu'il rejoigne l’unité de méthanisation. La fosse au second plan (600 m3) accueille le digestat avant épandage. © E. Bignon

 

« La méthanisation a aussi été pour nous une façon de nous emparer de la problématique de la gestion des effluents en zone vulnérable où nous sommes contraints aux 170 UN », poursuit l’exploitant. Désormais, tout est carré, des analyses du digestat au plan d’épandage. « Fini le problème de fosses pleines ! Aujourd’hui, nous sommes devenus acteurs d’un cercle vertueux qui produit du biogaz et des fertilisants, tout en nous ancrant dans le territoire et l’économie. »

Le recours à l’ETA et au salariat s’intensifie

La mise en place de la méthanisation collective a eu d’autres répercussions en termes de main-d’œuvre sur le Gaec. Florent travaille désormais un jour et demi par semaine comme prestataire de la SAS (qui dispose par ailleurs d’un salarié à temps plein), et assure une permanence un week-end sur trois. « Nous aurions pu encaisser la surcharge de travail, mais nous estimons que ce ne sont pas les hommes qui doivent faire tampon », lâche Mickaël.

 

 
La nouvelle stabulation a coûté 630 000 euros en 2014 (hors subventions, robots inclus). Un coût limité grâce à l’autoconstruction. Elle est bien conçue (couloirs larges, bonne ventilation, nombreux points d’abreuvement).
La nouvelle stabulation a coûté 630 000 euros en 2014 (hors subventions, robots inclus). Un coût limité grâce à l’autoconstruction. Elle est bien conçue (couloirs larges, bonne ventilation, nombreux points d’abreuvement). © E. Bignon
Ainsi, depuis 2015, le Gaec préfère renforcer la délégation des travaux à l’ETA qui se charge désormais des labours, du pressage, de l’enrubannage, de l’élagage et des chantiers de fauche aussi parfois. « Déléguer le labour nous coûte un peu plus cher mais c’est un vrai confort en mai-juin, et cela libère du temps pour mieux suivre la qualité de l’herbe. »

 

Depuis 2019, le salariat aussi se développe (500 h/an), notamment sur les mois d’été et aux petites vacances. « Nous avons embauché en Tesa simplifié un jeune en CDD, rémunéré au Smic, précise Mickaël. Ce dispositif donne droit à un crédit d’impôt, ce qui rend le coût très raisonnable (4 €/h). »

Des vaches fonctionnelles qui valorisent bien leur ration

La technique n’est pas en reste sur l’exploitation. Le Gaec bénéficie de deux atouts de poids dans sa quête d’autonomie : une surface importante permettant de cultiver des céréales à paille (le surplus est d’ailleurs échangé contre du maïs grain servant à constituer la VL fermière) et l’irrigation de quasiment la moitié des surfaces en maïs (13-14 tMS/ha de rendement moyen). Le troupeau ne pâture pas. Sa ration se compose principalement de maïs ensilage, d’ensilage d’herbe, d’enrubannage de luzerne, de maïs épi, de tourteau de colza et de VL fermière.

 

 
L'investissement dans un repousse-fourrage a amélioré l'efficience alimentaire des vaches.
L'investissement dans un repousse-fourrage a amélioré l'efficience alimentaire des vaches. © E. Bignon
Aujourd’hui, les vaches sont très efficientes avec une bonne valorisation de la ration. L’arrivée du repousse-fourrage y a contribué. « Cet investissement de 8 500 euros a été rentabilisé en deux ans. Il nous a fait gagner 10 % de lait supplémentaire. Les vaches mangent plus et de façon régulière. »

 

Il y a deux ans, une réflexion a aussi été menée pour limiter les quantités de concentrés distribués, écrêter un peu le pic car les vaches étaient toujours sur le fil du rasoir avec des problèmes de repro. Aujourd’hui, avec les réajustements effectués, les éleveurs font davantage confiance à la ration de base. La production a un peu diminué, mais pas tant que cela car les vaches ingèrent beaucoup plus de fourrages et les bonnes conditions de logement (confort, ventilation) facilitent l’expression de leur potentiel.

Les vaches sont inséminées à partir de 65 jours après le vêlage. Le suivi repro est réalisé toutes les trois semaines avec le vétérinaire pour détecter tout retard d’involution et contenir l’intervalle vêlage-vêlage.

 

 
L’aire paillée de 700 m2 où logent les génisses aujourd’hui, a abrité les vaches jusqu’en 2014. Le Gaec a limité les investissements à ce qui resterait utile à terme (auge couverte et bétons).
L’aire paillée de 700 m2 où logent les génisses aujourd’hui, a abrité les vaches jusqu’en 2014. Le Gaec a limité les investissements à ce qui resterait utile à terme (auge couverte et bétons). © E. Bignon
Les génisses vêlent à 26 mois en moyenne. Leur croissance est suivie au ruban. Elles sont toutes génotypées. Les trois quarts sont inséminés en semences sexées, le reste en charolais. Leur nombre se limite à 40 génisses élevées par an pour respecter le chargement vis-à-vis de l’ICHN.

 

« Après quinze ans, nous avons trouvé un équilibre entre la vie professionnelle et l’exploitation », apprécient les éleveurs, qui s’accordent quatre semaines de vacances chaque année. À l’avenir, ils comptent profiter de leur outil de travail, tout en cherchant à s’adapter aux attentes sociétales, notamment en sortant les vaches à l’herbe. La mise en place d’un parcours de 5 hectares a été testée cette année.

Fiche élevage

3 associés et 0,3 UMO salarié
120 ha de SAU dont 23 de céréales à paille, 24 de maïs ensilage, 8 de maïs épi, 4 de luzerne, 34 de prairies permanentes, 27 de prairie temporaires
106 vaches à 10 680 l de moyenne économique
2 robots
2,8 traites/j/VL

Avis d’expert : Alexandre Batia, de Rhône Conseil élevage

« Une bonne vision de ce qu’ils veulent »

 

 
Alexandre Batia, Rhône Conseil élevage.
Alexandre Batia, Rhône Conseil élevage. © E. Bignon
« Les associés sont attachés à la cohérence de leur système. Ils ont des objectifs clairs : faire tourner un outil productif, dans un souci d’autonomie et de maîtrise du temps de travail. Ils disposent d’un troupeau de bonne souche laitière et leur projet bâtiment a été très bien mûri. Le confort et l’ambiance de la nouvelle stabulation contribuent à la bonne expression du potentiel des vaches. Le repousse-fourrage a encore permis de gagner en efficacité en respectant mieux le cycle de vie des animaux. Les éleveurs sont très animaliers. Ils préfèrent déléguer certains travaux sur les cultures et investir leur temps dans le suivi du troupeau. Le taux protéique (31,6 g/l) est le point faible de l’élevage et la vigilance reste aussi de mise sur la repro. À moyen terme, le maintien de l’autonomie fourragère avec l’évolution climatique reste un objectif majeur. »

 

 

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