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Chili : l’irrigation intelligente face à la pénurie d’eau

Contraints par le changement climatique, les arboriculteurs chiliens investissent massivement dans les moyens de gestion de la ressource en eau. « Une irrigation intelligente » qui peut aussi devenir un avantage commercial.

La réduction des précipitations frappe durement les productions fruitières chiliennes et plus largement toute l’agriculture. Dans la zone de production de fruits, située principalement dans le centre du pays, la sécheresse subie cette dernière décennie est sans précédent depuis mille ans. Aujourd’hui, la pluviométrie dans cette région représente entre 60 et 80 % de la moyenne historique. Les chutes de neige, qui procurent les ressources estivales d’irrigation sont de 15 % en dessous de la normale. Ainsi d’année en année, les principaux réservoirs sont à un tiers de leur capacité. La projection du débit des rivières est proche des minimums jamais comptés.

Problèmes de gestion de la ressource

Cependant, Water Scenarios 2030, qui rassemble 60 institutions publiques, privées, universitaires et ONG, a identifié que les causes du déficit et du risque de manque d’eau au Chili sont beaucoup plus liées à une mauvaise gestion des ressources qu’au changement climatique. Ainsi, selon Water Scenarios 2030, les trois principales causes de déficiences en eau proviennent à 40 % de problèmes de gestion de la ressource, à 17 % d’une augmentation de la demande et à 14 % de la pollution de l’eau. Pour faire face à la crise de l’eau, l’agriculture chilienne et principalement le secteur arboricole développent l’utilisation de moyens technologiques innovants en termes de gestion de l’eau. Au Chili, il existe donc une offre croissante d’entreprises qui proposent à la fois des équipements et des services pour la surveillance et le contrôle de l’eau.

Il s’agit de l’installation de capteurs qui se connectent sans fil pour envoyer des informations sur l’humidité du sol, la température et d’autres variables environnementales à partir de sondes. Ces données sont traitées par un logiciel et donnent des résultats affichés de manière conviviale. La capacité des puits ou des retenues, la mesure du débit, la consommation d’énergie, le niveau de ferti-irrgation et les données climatiques sont également pris en compte. Les systèmes sont également capables d’envoyer des alertes en cas d’incident d’exploitation ou d’alarme de problèmes météorologiques comme le gel. Ils ont également la possibilité de programmer et d’automatiser les opérations. Les utilisateurs accèdent aux services de la plateforme web sur ordinateur, tablette ou smartphone.

Des décisions avec des données réelles

Sur le terrain, ces avantages ont déjà séduit de nombreux utilisateurs. Ainsi, Eugenio Navarro, conseiller technique d’Aconcagua Foods (entreprises orientées vers les productions dédiées à la transformation, notamment les pêches de conserves) résume les principaux avantages de ces nouvelles technologies : « avec la technologie précédente, vous deviez câbler de la station d’irrigation à la vanne, mais les câbles étaient volés. Il était également difficile de trouver des responsables pour arroser le samedi et le dimanche, à Noël ou au Nouvel An. Maintenant, vous prenez le téléphone, vérifiez la disponibilité en eau, décidez de l’ouverture des vannes et vous pouvez commencer à arroser. »

 

Au-delà de l’efficacité technique, Aconcagua Foods estime que toutes les nouvelles plantations devraient avoir une gestion de l’irrigation pour montrer que l’agriculture ne gaspille pas de l’eau, car en cas d’arbitrage la priorité sera toujours à la consommation humaine. Bruno Margozzini, directeur général du groupe Margozzini, gère 800 ha de vignes, cerisiers, pommiers, poiriers, agrumes, kiwis et avocats. Selon lui, la technologie a permis de gagner en fiabilité de l’information sur ce qui se fait réellement dans chacun des domaines.

« Jusqu’alors je pouvais arriver un lundi dans une parcelle en supposant qu’elle avait été normalement irriguée le dimanche, et en la voyant sèche, décider d’augmenter la quantité des doses d’irrigation suivantes. Alors qu’en réalité, elle n’avait pas été arrosée. Mais aujourd’hui, nous prenons des décisions avec des données réelles, cela nous a beaucoup aidés à rationaliser l’utilisation de l’eau disponible, qui est de plus en plus rare », précise le responsable.

« Nous visons l’empreinte eau »

Dans le groupe Hijuelas, qui compte 1 000 noisetiers et 55 ha de cerises au sud du Chili, Vicente Goycoolea, directeur pour cette région, souligne que l’utilisation de sondes d’humidité a permis d’économiser 25 % d’eau, réduisant aussi les quantités d’engrais et d’énergie dépensées. « Nous avons modifié la durée et la fréquence de l’irrigation pour obtenir un bulbe plus actif sans avoir d’excès ou de carence, ce qui est essentiel », précise-t-il. En charge de plus de 1 500 hectares d’avocats, César Chávez, directeur agricole d’AvoAmerica Chile, trouve également beaucoup d’intérêt aux nouveaux modes de pilotage de l’irrigation. « Nous avions besoin de 85 irrigants, c’était un déploiement énorme. Aujourd’hui, nous avons 45 personnes dans cette tâche », confie-t-il. « Notre prochaine étape est de tout automatiser », assure-t-il. Ces avancées ont contribué à une certification avec Spring, le programme complémentaire d’irrigation et d’utilisation durable des eaux souterraines de Global GAP. « Nous visons l’empreinte eau », reconnaît César Chavez.

Toute la gamme de matériels

 
Raúl Pinochet dispose de tous les moyens pour maîtriser l'irrigation de ses myrtilles en conteneur. © F. Fabres
Sur sa première plantation de 2,5 ha de myrtilles, Raúl Pinochet, directeur Agrícola Independencia a enregistré beaucoup de pertes de plants. Un spécialiste de l’irrigation a indiqué la cause : asphyxie racinaire due à un excès d’eau. Depuis, il dispose d’un contrôle et d’une surveillance à distance de l’irrigation, d’une injection automatique proportionnelle d’engrais liquides, d’une surveillance de l’humidité du sol avec des sondes, de stations météorologiques à l’extérieur et l’intérieur des abris, d’une alarme de gel, d’une alarme de déficit de pression de vapeur dans les tunnels, plus l’élaboration de rapports de consommation d’eau pour chaque variété, état phénologique, etc. En bref, presque toute la gamme de matériels possibles dans ces domaines pour cultiver aujourd’hui 17 ha de myrtilles en conteneur.

 

Les avantages de « l’irrigation intelligente »

 

Dr.Rodrigo Callejas chiffre d’importantes économies d’eau allant jusqu’à 40% ainsi que des économies d’énergie électrique. © F. Fabres
Dr. Rodrigo Callejas*, spécialiste de  l’« irrigation intelligente » dans les arbres fruitiers, de l’Université du Chili et directeur d’UchileCrea, estime que la gestion de l’irrigation connaît une évolution profonde et beaucoup plus rapide que prévu. Selon lui, la meilleure gestion de l’irrigation avec un bon équilibre d’eau et d’oxygène a permis d’augmenter la densité des racines et d’obtenir des rendements plus élevés. Mais aussi une qualité du fruit supérieure avec une meilleure efficience de la fertilisation. Il chiffre d’importantes économies d’eau allant jusqu’à 40 % ainsi que des économies d’énergie électrique en abaissant le volume d’eau mobilisé à un compte-gouttes, de l’ordre de 200 à 450 US$/ha par an. Les économies d’engrais peuvent aller jusqu’à 45 % d’engrais. Il recommande de profiter de ce gain pour ajouter de la matière organique dans de plus grands volumes pour améliorer la structure du sol et contribuer à la régénération. Selon l’universitaire, les enregistrements qui permettent d’évaluer ce qui a été fait et de répéter le schéma des bons résultats contribuent à l’amélioration de la gestion des ressources. Ils permettent ainsi de déterminer un « coefficient de culture spécifique » au site (sonde Kc) comme valeur de référence.

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