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Marché des céréales
Prix du blé/maïs : comment expliquer une telle volatilité  ?

Divers experts ont livré leur analyse sur les causes pouvant expliquer la forte hausse et la volatilité accrue des prix des grains ces dernières semaines. Parmi eux : Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux & Associés et président du syndicat de Paris du commerce et des industries des grains, Benoît Fayaud et Hémeline Macret, analystes et membres du Comité exécutif de Stratégie Grains, et Arthur Portier, analyste chez Agritel.

© Geralt (Pixabay)

Selon Stratégie Grains et Agritel, la principale justification de la forte volatilité actuelle des cours des céréales est liée aux fondamentaux mondiaux : les stocks se réduisent, tandis que la demande reste forte, et les fonds financiers n’ont qu’un effet d’accélérateur. « Au lieu d’avoir eu une hausse des prix sur six mois, on l’a eu en trois mois », renchérit Arhtur Portier, analyste d'Agritel. De plus, le contexte macroéconomique est favorable à une activité accrue des opérateurs financiers sur les marchés à terme agricoles, signale Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux & Associés et président du syndicat de Paris du commerce et des industries des grains.

Les matières premières agricoles, valeurs refuges pour les fonds de pension

Les politiques de « quantitative easing » des banques centrales dans divers pays offrent d’importantes liquidités aux fonds financiers en mal de placement. « Les matières premières agricoles font office de valeur refuge, spécialement aux yeux des fonds de pension [dont l’activité diffère des fonds spéculatifs traditionnels], qui ont toujours investi dans ces marchés. Aujourd’hui, avec la récente montée des taux longs aux États-Unis, agitant le spectre d’un retour de l’inflation, les fonds de pension se sont davantage positionnés sur ces marchés afin de réduire ce risque et de profiter des fondamentaux haussiers », explique Edward de Saint-Denis.

Les marchés agricoles ne sont toutefois pas les seuls « refuges » des fonds d’investissement. Les marchés des matières premières dits « hard », tels que les métaux, en font aussi partis, « mais les prix sont déjà élevés », souligne Edward de Saint Denis. Sans oublier le pétrole, mais là aussi, la pandémie de Covid-19 pénalise fortement la demande, et il est bien difficile d’imaginer quel sens vont prendre les cours dans le contexte actuel. « Reste le marché des grains qui présentent des fondamentaux porteurs : des stocks mondiaux faibles, un contexte géopolitique tendu, un retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris, une demande asiatique dynamique, particulièrement en soja et maïs, et des conditions climatiques incertaines », détaille Edward de Saint-Denis.

Le maïs à Chicago enfile le maillot jaune des marchés des grains

Ces éléments expliquent notamment pourquoi « les opérateurs non commerciaux à Chicago détiennent des positions longues historiquement élevées sur le contrat à terme maïs [cf. graphe ci-dessus] », rappelle Arthur Portier. Il précise qu’actuellement, le marché du maïs états-unien constitue le principal « driver » (fil conducteur) des marchés périphériques tels que le blé, le soja et l’orge notamment. Une vision que partage les analystes de Stratégie Grains pour lesquels ces marchés ne peuvent se permettre de gros incidents climatiques. « Le marché a déjà enregistré que les stocks mondiaux de grains, surtout de maïs, seraient tendus, non seulement en fin de campagne commerciale 2020/2021, mais aussi en fin de campagne 2021/2022 », complète Benoît Fayaud, analyste et membre du Comité exécutif de Stratégie Grains.

Si les financiers sont présents surtout sur le marché états-unien - notamment le contrat Maïs, le plus important), il ne faut pas oublier leur présence sur le marché à terme européen Euronext, dont le contrat le plus important est le blé. « Le rapport des Commitments of Traders (CoT) montre aussi une présence notable des fonds sur le contrat Blé tendre Euronext (cf.graphe ci-dessous) » signale Edward de Saint-Denis. Le spécialiste ajoute que les opérateurs observent actuellement les conditions climatiques adverses sur la prochaine récolte de maïs au Brésil.

Le Brésil souffre actuellement d’une sécheresse qui retarde les semis de la Safrinha (seconde récolte de maïs), qui pourrait entraîner un décalage du stade floraison sur la période mai-juin, période habituellement très sèche dans le pays, alors que les cultures de maïs seront à un stade sensible au manque d’eau, rapporte les analystes. Ainsi, « nous tablons sur une récolte sous les 100 Mt au Brésil pour cette année », déclare Arthur Portier, contre 109 Mt selon le dernier rapport de l’USDA. Sachant que les conditions de semis ne sont pas non plus idéales aux États-Unis, avec un temps trop froid sur la Corn Belt. « Il est encore un peu tôt pour s’en inquiéter, mais cela ajoute des incertitudes […] Les opérateurs sont actuellement très nerveux de toute façon », ajoute l’analyste d’Agritel.

Guère d'inquiétude quant aux nouveaux cas de peste porcine africaine en Chine

Et ce, alors que la demande chinoise reste très dynamique en maïs, malgré de récents cas de peste porcine africaine. « Nous ne sommes pas très inquiets quant à l’effet baissier sur la consommation chinoise de grains en alimentation animale suite aux récents cas détectés de peste porcine africaine. Ces dernières semaines, les prix du maïs et du tourteau de soja ont monté sur le marché physique chinois, signe d’une forte demande. Les investissements dans les productions de viandes sont très importants, avec des normes sanitaires plus drastiques. Ainsi, si des foyers réapparaissent, ils peuvent être mieux maîtrisés », explique Hémeline Macret, analyste et membre du Comité exécutif de Stratégie Grains.

Bien que les autorités chinoises aient récemment recommandé l’usage d’autres produits en alimentation animale que le maïs et le soja, « les besoins restent très forts, et ces matières ne sont pas toujours remplaçables, car l’offre en autres produits est également limitée », soutient Hémiline Macret, notamment le blé ou l’orge.

Pour faire face à cette forte demande internationale en maïs, il faut une augmentation de l’offre et donc des surfaces. Ce qui est certes attendu entre 2020 et 2021 aux États-Unis par l’USDA, tablant sur une sole nationale à 91,14 millions d’acres (Ma) dans un rapport trimestriel publié fin mars 2021, contre 90,82 Ma l’an dernier, « mais cela ne sera pas suffisant pour reconstituer les stocks », prévient Benoît Fayaud.

Par conséquent, alors que Stratégie Grains pariaient sur des prix du maïs à Chicago un peu moins élevés en 2021 qu’en 2020, « ils pourraient en réalité se retrouver à un niveau similaire. Le principal facteur à observer est le Brésil actuellement », souligne Benoît Fayaud.

Le maïs, le marché au plus fort potentiel de hausse

Pour toutes ces raisons, Agritel et Stratégie Grains estiment que le maïs comprend les facteurs les plus haussiers des marchés des grains, et le maintien à un haut niveau des prix jusqu’à la fin (au moins) de la campagne 2021/2022 est de mise. « Les fortes positions acheteuses des fonds en maïs à Chicago peuvent constituer un élément potentiellement baissier, en cas de ventes massives. Les fonds peuvent en effet être incités à vendre massivement en cas de récolte meilleure qu’espéré au Brésil, provoquant une chute temporaire des prix. Néanmoins, ce n’est pas notre scénario actuel, au vu des mauvaises conditions climatiques dans le pays », tempère Arthur Portier. Edward de Saint-Denis incite à davantage de prudence : « à toute forte hausse, forte baisse. Si l’arrivée des fonds a été rapide, leur départ, pour des raisons parfois exogènes à nos fondamentaux, peut entraîner le marché dans un excès inverse ».

Un marché mondial du blé moins tendu mais…

Le marché du blé tendre est lui jugé plus confortable, avec un peu plus d’offre disponible dans le monde. « Le blé monte car le maïs monte », soutient Arthur Portier. Les récoltes sont pour le moment attendues bonnes en Ukraine, en Europe, aux États-Unis et en Russie, avec toutefois des inquiétudes climatiques. En France, le manque d’eau commence à engendrer des craintes, après le passage de basses températures. En Russie, « les conditions de culture de blé d’hiver sont bonnes dans la pointe sud du pays, mais pas dans la zone centrale. Ensuite, les semis de blé de printemps sont perturbés par les pluies et l’excès de froid […] Il n’est pas sûr que nous atteignions les 80 Mt de blé en Russie en 2021 », témoigne Benoît Fayaud. Aux États-Unis, « l’USDA revoit de semaines en semaines à la baisse les conditions de cultures de blé », soulève Edward de Saint Denis.

Ensuite, si les prix du maïs deviennent trop élevés, ou si les volumes sont insuffisants, les fabricants d’aliments pour animaux se tourneront vers le blé. Ainsi, le marché du blé est lui aussi jugé plutôt haussier par les analystes Agritel et Stratégie Grains.

Une volatilité qui affecte les opérateurs physiques et notamment français

Soulignons l’effet collatéral de ces forts mouvements de prix. Cette volatilité fait que les opérateurs sont d’autant plus exposés « aux risques de contrepartie sur les marchés physiques, ce qui renforce actuellement les contrôles des services de gestion des entreprises », témoigne Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux & Associés et président du syndicat de Paris du commerce et des industries des grains. Il alerte sur « le risque de base [différence de prix entre le marché physique et le marché à terme Euronext] qui est tout aussi important pour la préservation des marges des producteurs comme des industriels. Or, les primes encore positives il y a quelques semaines en blé et en orge sur les places portuaires sont devenues négatives, marquant une amplitude de 8 à 10 €/t » !

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