Exportation
Quelle stratégie la France doit-elle adopter face à l’essor de la production de blé en mer Noire ?
Selon les spécialistes présents à la table ronde organisée par Sénalia lors de son assemblée générale en janvier, les opérateurs nationaux auraient tout à gagner à diversifier leur source pour valoriser au mieux les blés hexagonaux.
« Nous ne pouvons pas laisser la zone mer Noire développer sa production de blé – et ce n’est pas fini car les moyens de la Russie, de l’Ukraine et du Kazakhstan sont considérables – sans regarder éventuellement des alliances en termes d’exportation, car il ne faut pas oublier que nous avons les mêmes clients à servir », a déclaré Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales (l’association professionnelle qui finance France Export Céréales), en conclusion de la table ronde dédiée à “La planète Blé” organisée par Sénalia lors de son assemblée générale le 6 janvier à Paris. « Certaines entreprises françaises le font déjà, et c’est très bien. Il ne faut pas avoir peur d’avoir des partenariats, ne serait-ce que sur des questions de complémentarité de qualité pour fournir ses clients », a-t-il insisté. Et Jean-Jacques Hervé, consultant chez Agri Audit JJ, d’ajouter : « Face au potentiel d’exportation de plus de 100 Mt de la zone [cf. encadré] et à la résilience des opérateurs à encaisser une baisse des prix, je pense qu’il faut réfléchir à des accords donnant-donnant pour faire du multisource et du multirégional. Cette campagne actuelle serait une très bonne occasion, pour ne pas perdre nos clients traditionnels, de pouvoir ajouter dans nos cargaisons des produits moins chers. »
Un potentiel de croissance encore conséquent
« En Ukraine, par exemple, le quart des terres reste en friche faute de moyens de production », souligne Sénalia. Avec des taux d’emprunt compris entre 20 et 25 %, « les entreprises agricoles sont limitées en matière de volume d’intrant », explique Jean-Jacques Hervé. De même, « les blés ukrainiens, de bonne qualité intrinsèque, sont souvent déclassés car contaminés par des insectes », selon et alia, faute de conditions de stockage adéquates. Mais la situation évolue dans le bon sens, d’après Jean-Jacques Hervé, « avec un changement de la réglementation concernant le traitement des grains, qui va vers une amélioration de la qualité, et la poursuite de l’initiative de grandes entreprises qui se dotent, en Ukraine comme dans l’ouest de la Russie, d’installations modernes, avec de nouvelles technologies ». Ces dernières « gagnent ainsi en coût de production : plusieurs d’entre elles annoncent des marges nettes (Ebitda) entre 350 et 550 $/ha, poursuit-il. Ce qui implique qu’elles possèdent une capacité de résistance à une fluctuation baissière des cours largement supérieure à celle de leurs compétiteurs occidentaux. » Quant aux infrastructures et à la logistique portuaire ukrainiennes, « les capacités budgétaires de l’État étant limitées, elles sont majoritairement gérées par des groupes multinationaux, indique Sénalia. Les capacités de stockage de grains sont ainsi supérieures à 65 Mt et, tout comme les capacités de chargement, en avance sur le potentiel d’exportation ukrainien. » Et ce d’autant que « les grands opérateurs privés continuent d’investir massivement, déclare Jean-Jacques Hervé. Quelque 3 Md$ ont déjà été investis en Ukraine depuis 2013. »
La mer Noire, à la conquête du monde
« La mer Noire est le point où aboutissent actuellement, par la voie de chemin de fer et les fleuves, les productions de 220 Mha de terre en Russie, de 40 Mha en Ukraine et quelques millions d’hectares au Kazakstan [alors que l’UE totalise un peu moins de 100 Mha arables, selon Agreste] », explique Jean-Jacques Hervé, consultant chez Agri Audit JJ, avec une production de blé qui va s’accroissant (cf. graphique). « Quant aux capacités d’exportations, de quelques millions de tonnes il y a une dizaine d’années, elles se rapprochent de la centaine de millions de tonnes aujourd’hui, avec une vision mondiale, continue-t-il. La mer Noire, un diverticule de la Méditerranée, donne de fait accès aux marchés traditionnels de l’Europe et aux pays tiers. » Et au vu des potentialités de ces trois pays, les productions et disponibles exportables ne peuvent que s’accroître dans les prochaines années, à condition que les infrastructures suivent le rythme.