Les pays Brics s’en prennent aux quatre géants du commerce du grain
Après un sommet à Rio de Janeiro peu concluant, les pays Brics reprennent l’initiative en matière de système d’échanges des produits agricoles.
Après un sommet à Rio de Janeiro peu concluant, les pays Brics reprennent l’initiative en matière de système d’échanges des produits agricoles.

Ce n’est pas du sommet des pays Brics, qui s'est tenu les 6 et 7 juillet à Rio de Janeiro en l’absence physique de la Russie (ce qui était attendu) et de la Chine (une petite surprise selon les spécialistes de la géopolitique), qu’est venu la critique sur l’organisation du commerce mondial des matières premières agricoles végétales mais d'une déclaration d'Alexeï Ivanov, directeur du Centre législatif et de politique de la concurrence du bloc, le 16 juillet.
Un sommet Brics+ décevant mais pas que...
Le président de la Russie, via une vidéo diffusée lors du sommet le 6 juillet, a rappelé la création, et le développement, d’une plateforme commune aux membres du bloc Brics+, depuis la déclaration de Kazan en 2024, pour faciliter l’échange des grains entre les membres qui en ont besoin. Il a souligné que cette plateforme opère sans agent intermédiaire, donc « sans spéculation » mais par des déclarations directes sur cet outil des besoins et des offres des différents membres en matière de blé, de maïs et de soja. Vladimir Poutine a souligné l’importance de ce système notamment pour l’Egypte.
La puissance des Brics+, selon Vladimir Poutine, vient du fait que ses pays membres représentent :
- 1/3 des terres de la planète,
- 50 % de la population mondiale,
- 40 % de l’économie mondiale.
Ce qui a provoqué la réaction de Donald Trump sur la « dédollarisation » des échanges commerciaux mondiaux - via l'annonce d'une taxation douanière supplémentaire des pays Brics qui avanceraient sur ladite dédollarisation des échanges commerciaux - se situe dans une autre partie de la déclaration de Vladimir Poutine. A savoir qu’au fur et à mesure que les relations et les échanges entre pays Brics+ se développent, « l’utilisation des devises nationales pour régler le commerce entre les membres associés s’accroît régulièrement », précisant même que la bourse des grains commune ne peut fonctionner correctement que si elle permet le règlement en devise locale entre les participants, sous-entendu sans utiliser une monnaie tiers (« au hasard » le dollar) et un système de compensation passant par des banques nationales ou fédérales.
Les principaux pays de ce bloc (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont réagi de façon institutionnelle et relativement convenue (« nous sommes des nations souveraines, nous n’avons pas besoin d’un empereur » selon le président brésilien ; « l’organisation des pays Brics n’est pas dirigé contre les pays tiers » selon Moscou ; « la Chine ne recherche pas une confrontation avec les Etats-Unis », a-t-on déclaré à Pékin…). A noter désormais que l’acronyme Brics est devenu Brics+ avec l’arrivée de cinq nouveaux membres (Iran, Egypte, Emirats arabes unis, Indonésie et Ethiopie).
Concentration dans le secteur des échanges de grains
L’offensive des Brics+ a repris post sommet, le 16 juillet précisément, lorsque Alexeï Ivanov, directeur du Centre législatif et de politique de la concurrence du bloc, a déclaré : « Les pays Brics doivent coopérer pour mettre en place une politique antitrust et une législation antitrust étant donné la tendance actuelle à la consolidation qui s’opère dans le secteur du commerce du grain et les entreprises globales du secteur alimentaire devraient faire l’objet d’une attention très étroite de la part des autorités antitrust ». C’était lors de la 9e Conférence des Nations-Unies sur la concurrence et la protection des consommateurs à Genève.
Il n’a évidemment pas manqué de citer la fusion entre Bunge et Viterra comme un élément démontrant la prééminence sur le commerce mondial des grains des quatre entreprises principales que sont AMD, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus, dénommés le groupe ABCD, tout en constatant « qu’aucune mesure pour limiter l’influence de cette opération sur la chaîne de valeur globale » n'a été décrétée. Alexeï Ivanov a même comparé la puissance des entreprises du commerce du grain à celle des mastodontes du secteur numérique. Il appelle également à un comportement raisonnable des entreprises lorsqu’il apparaît sur les marchés mondiaux des pics de prix, des catastrophes naturelles ou encore des volumes d’offre insuffisants, tout en respectant les règlements de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)et en accord avec les besoins de base des nations concernées. Rappelons que les quatre structures, évoquées lors de cette conférence, assurent entre 70 % et 90 % du commerce des grains (un chiffre souvent avancé par leurs détracteurs pour montrer leur trop grande prégnance sur le commerce mondial des matières premières) , en fonction de ce que l’on intègre dans ce périmètre (commerce du grain uniquement ou aussi transformation, ventes de produits finis, logistique et transports…).
« 70 % des transactions sur les marchés de matières premières aux Etats-Unis et en Europe sont d’ordre spéculatif par nature et déconnectés de l’économie réelle », selon Anastasia Nesvetailova.
Cette conférence a été également l’occasion pour Anastasia Nesvetailova, responsable des politiques macroéconomiques et de développement de la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), de rappeler l’influence croissante de la financiarisation des marchés mondiaux de matières premières alimentaires. « La domination du groupe ABCD » est une problématique et, selon elle, trois de ces quatre entreprises « ne publient pas d’information suffisantes », « rendant ce secteur hautement opaque et faiblement régulé ». Toujours pour Anastasia Nesvatailova, « 70 % des transactions sur les marchés de matières premières aux Etats-Unis et en Europe sont d’ordre spéculatif par nature et déconnectés de l’économie réelle ». Elle pose le principe que la puissance financière des traders de matières premières s’accroît, « se comportant comme des institutions financières non bancaires avec des influences systémiques pas seulement sur les marchés de matières premières mais aussi sur la stabilité financière globale ». Pour elle, la situation est comparable à celle de 2007, lorsque les positions financières liées à des obligations sur les marchés de dettes se réglaient largement en dehors de tout système de régulation, aboutissant à la défaillance du système bancaire états-unien avec des conséquences sur le système mondial ensuite.