Analyse
Le marché du blé tendre «à un moment de bascule»
Des analystes ont dû revoir leurs perspectives de niveau de prix du blé tendre sur Euronext, suite à leur récent repli.

En janvier 2019, le marché tablait encore sur une hausse des prix du blé tendre sur Euronext et en Fob Rouen (et ce, depuis l’été 2018), avec un pic entre février et mai 2019. Ce renchérissement a bien eu lieu jusqu’à janvier. Mais mi-février, les cours sur le marché à terme européen ont connu un mouvement de déprime, passant sous la barre des 200 €/t sur le rapproché. Certains analystes ont, depuis, mis de l’eau dans leur vin. « Le marché est à un moment de bascule. L’évolution des prix jusqu’à la fin de la campagne commerciale 2018/2019 va se jouer sur des éléments très techniques », observe Gabriel Omnès, analyste de Stratégie Grains. Agritel voit, aujourd’hui et à court terme, les cours sur Euronext difficilement passer la barre des 202-203 €/t, alors qu’il tablait sur un pic à 210-215 €/t précédemment sur 2018/2019. À l’inverse, Renaud de Kerpoisson, dirigeant du cabinet d’analyse Offre et demande agricole (ODA) n’exclut pas de voir « les prix s’enflammer sur la seconde partie de campagne 2018/2019 ».
Hausse de l’offre russe, vent de panique sur les marchés
Plusieurs éléments ont justifié la baisse des cours sur les semaines 7 et 8. Stratégie Grains évoque la révision à la hausse de l’offre russe, tout comme les bonnes conditions météorologiques actuelles dans le monde. Ce dernier estime désormais les expéditions russes à 35 Mt, contre 33 Mt en octobre 2018 (37 Mt, selon l’USDA). Agritel est d’accord avec le chiffre de Stratégie Grains, un peu moins sur l’explication de la baisse des prix. Michel Portier, son dirigeant, évoque une psychologie du marché actuellement baissière, en se basant sur l’analyse chartriste. « Lors des semaines 7 et 8, la zone de support des 200 €/t a été brisée, créant un vent de panique. Des ventes techniques sur Euronext sont survenues. Par ailleurs, le marché à terme européen reste très corrélé à Chicago. Et ce dernier a connu un net repli ces derniers jours, mouvement de baisse amplifié lui aussi par des ventes techniques. » Conséquence, les agriculteurs français sont ressortis ces dernières semaines, précise-t-il. Michel Portier rappelle que l’affolement du marché a comme point de départ le “shutdown” aux États-Unis. « Le manque d’informations a plutôt tendance à avoir un effet baissier sur les prix. » Le cabinet d’analyse ODA a fourni les mêmes justifications qu’Agritel concernant la baisse des prix, mais y voit un accident temporaire. Renaud de Kerpoisson s’attend à des exportations russes à seulement 32 Mt sur 2018/2019, et voit les fondamentaux du marché haussiers. « Bien que les conditions météorologiques soient actuellement favorables aux cultures, le ratio stock/consommation dans le monde (en excluant l’Inde et la Chine) entre 2018/2019 et 2019/2020 ne devrait évoluer que de 16,2 % à 16,4 %, car les possibles bonnes récoltes en 2019 viendraient seulement compenser les moins bonnes de 2018, et la demande progresse. »
Les exportations françaises s’accélèrent
Gabriel Omnès voit comme principal “driver” du marché le prix au départ de la Russie (Fob Novorossiysk), et ne s’attend pas à une volatilité exacerbée sur la seconde partie de la présente campagne. Mais il estime tout à fait possible une certaine tension sur les cours du blé tendre courant mars-avril sur Euronext. « La volatilité des prix devrait être comprise entre - 5 €/t à +10-15 €/t. Les exportations françaises redémarrent, et n’ont pas encore été “pricées” », ajoute Stratégie Grains. ODA confirme l’accélération des chargements hexagonaux, en direction notamment de l’Algérie, la Tunisie, l’Afrique subsaharienne et le Yémen. « Notre compétitivité est excellente. Un bateau était même en partance pour l’Indonésie, mais a été annulé il y a quinze jours […] Nos prix ne peuvent rester bas pendant longtemps », estime Renaud de Kerpoisson. Stratégie Grains table sur des exportations hexagonales 2018/2019 sur pays-tiers à 9,3 Mt, et ODA ne serait pas étonné de les voir à 9,5 Mt. FranceAgriMer misait, le 6 février, sur 8,85 Mt.