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« Le gouvernement russe entretient la non-transparence sur le marché des céréales, affectant même les opérateurs russes »

Philippe Mitko, chargé des relations extérieures de Soufflet Négoce by InVivo, a accepté de nous donner sa vision des marchés des céréales en marge du Salon international de l'agriculture 2024.

Philippe Mitko, chargé des relations extérieures de Soufflet Négoce by InVivo, lors du Salon international de l'agriculture 2024.
© Kévin Cler

La Dépêche Le petit meunier (LD LPM) : La forte concurrence émanant de la Russie a plombé les prix des céréales ces derniers mois, et le marché continue de la subir, sachant que le pays est accusé de manquer de transparence, quelle est votre opinion ?

Philippe Mitko : La perte de transparence sur les marchés des céréales organisée par la Russie trouve en réalité son origine avant le début de l'invasion généralisée de l'Ukraine, soit bien avant le 24 février 2022. Je mets le point de départ lors de l'instauration des taxes à l'export par le Kremlin, dans le but d'accroître son pouvoir sur le commerce international des grains et de limiter l'inflation intérieure à l'époque, selon des règles peu claires pour les opérateurs, qu'ils soient internationaux ou russes. Ces taxes limitent les anticipations des opérateurs, car il est très difficile de prévoir leurs niveaux d'une semaine sur l'autre, et affectent les cours au départ des ports russes. Puis est venue l'invasion russe de l'Ukraine, qui a eu pour conséquence le départ des multinationales de Russie courant 2023, incluant Viterra, Louis Dreyfus Company, etc. Toutes ces grandes structures ont été remplacées par de petites entités russes, n'ayant pas les mêmes moyens. Le Kremlin a ensuite essayé de défendre ses intérêts en instaurant un prix minimum en base FOB (Free on Board). Mais les opérateurs russes, voyant qu'ils ne pouvaient pas vendre à ces prix planchers dans un marché baissier, se sont adaptés, en modifiant par exemple leurs prix de la base FOB à la base CAF à destination des marchés privés. Et le Kremlin a été obligé de revoir plusieurs fois son prix plancher. Pour résumer : méthodes floues d'instauration de taxes à l'export, mise en place selon une méthode peu claire de prix planchers, départ du pays de grandes sociétés dotées de moyen d'analyse puissants, qui apportaient davantage de transparence sur le marché russe, font que les opérateurs privés russes subissent en réalité eux aussi la situation engendrée par leur gouvernement, tout comme nous. Désormais, il est très difficile pour tout le monde de comprendre les cours au départ de la Russie, qui est la première origine sur le marché mondial du blé

Lire aussi : "« La consommation atone pèse sur les prix des céréales au même titre que la concurrence russe et ukrainienne », déclare Jean-François Lépy"

LD LPM : Du coup, la tendance baissière risque de se poursuivre ?

P. M. : Il est difficile aujourd'hui de parier sur une hausse des prix des céréales, tant les réserves en Russie sont abondantes. Ce pays pourrait se retrouver en fin de campagne 2023-2024 à peu près au même niveau de stocks que celui observé fin 2022-2023, soit entre 12 et 14 Mt au 30 juin prochain. Nous avons également la situation en mer Rouge qui renchérit le coût du fret vers les destinations asiatiques dont la Chine, l'Indonésie... contrecarrant significativement les flux naturels. Il ne faut pas non plus oublier l'effet des monnaies. Le rouble et la hryvnia ont dévissé par rapport au dollar états-unien ou à l'euro, faisant que le décrochage des prix a été moins violent pour les producteurs russes et ukrainiens. De leur côté, les pays importateurs, tels que l'Égypte, ont eux aussi vu leurs capacités financières reculer, limitant leurs capacités d'achats. En réalité, dans un marché baissier, tout se passe comme si l'agriculteur aux États-Unis ou en France devait financer en partie sur ses exportations ces impacts monétaires ! Néanmoins, je pense que nous sommes proches d'avoir atteint un plus bas. En effet : bon nombre de producteurs dans le monde ne gagnent pas d'argent à ces prix, et il faudra bien que cela s'arrête.

LD LPM : On parle de la responsabilité de la Russie dans la baisse des cours mondiaux, mais l'Ukraine est également accusée de créer des distorsions... Quelle est votre opinion ?

Je pense que c'est en partie un mauvais procès fait à l'Ukraine. Il ne faut pas oublier que même sans l'Ukraine, les fondamentaux des marchés étaient lourds. Je prends l'exemple du maïs. Guerre ou pas guerre, l'UE aurait eu de toute manière besoin d'en importer, à hauteur de 22-23 Mt. Si nous instaurions des restrictions à l’importation sur le maïs ukrainien, nous devrions nous tourner vers d’autres origines. Ainsi, ce maïs viendrait massivement du Brésil ou d’ailleurs, sachant que le réal brésilien a lui aussi un peu reculé récemment, redonnant de l'attractivité à leurs marchandises. Il faut enfin se rappeler que les agriculteurs ukrainiens vendent à perte : en panne de trésorerie pour implanter les nouveaux semis, ayant énormément de mal à recourir au crédit, la logistique étant rendue très compliquée et onéreuse, ils sont forcés de vendre coûte que coûte. Un maïs départ ferme Ukraine s'échange actuellement à 105-110 $/t ! Pour le blé, il est vrai que la pression émanant de l'Ukraine nous pénalise davantage. Depuis le début de la guerre, l'UE a fortement augmenté ses importations en provenance d'Ukraine en supprimant les quotas, ce qui a bénéficié tout particulièrement à l'Espagne, laquelle avait une récolte de céréales catastrophique en 2023. Cette campagne, l'UE importera environ 9 Mt de blé dont une majeure partie viendra d’Ukraine en qualité fourragère, contre environ 10 Mt lors de la précédente, et environ 4 Mt avant la guerre. Il n’est pas faux de dire que ceci se fait au détriment des autres pays exportateurs de l’UE : la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, et dans une moindre mesure la France. Mais là aussi, il ne faut pas oublier que l'Ukraine vend à perte, et n'a pas d'autre choix que de vendre au prix du marché, d’autant que les perturbations en mer Rouge compliquent encore plus les sorties de Méditerranée, s’il en était besoin ! Nous cumulons donc aujourd’hui les effets d’un ensemble de facteurs défavorables.

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