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« La production de grains européenne est en réalité très déficitaire »

La Dépêche-Le Petit Meunier : Lors de votre congrès vous avez défendu une hausse de la production agricole française et dans le même temps vous dénoncez la vocation exportatrice de la France. Comment expliquez vous cette position ?
Nicolas Jacquet : On dit depuis 40 ans que l’agriculture est le pétrole vert de la France. On a flatté trop longtemps les agriculteurs par le fait qu’ils rapportaient des devises. Mais ils en ont perdu le prix de leur production. Car pour pouvoir exporter, les prix ont dû baisser. De plus, il y a un an, l’agriculteur a vu toutes ces révolutions dans les pays arabes. Or tous ces pays en manque de démocratie, sont précisément nos clients en céréales. Il est choquant que l’on ait réussi à établir ce courant d’affaires qui n’apporte pas grand chose aux producteurs céréaliers, en complicité avec des états en profitant de leur faiblesse géopolitique pour les alimenter. La grande incohérence du discours actuel, c’est de justifier sans cesse ces exportations vers le sud du bassin méditerranéen, du Proche-Orient et vers l’Afrique sub-saharienne. Il faudrait nourrir ces populations et si possible à bas prix pour éviter les émeutes de la faim. En fait, nous détruisons surtout l’agriculture de ces pays. D’autant que sur l’ensemble de la production de grains en Europe, la situation est très déficitaire en réalité. Pour les céréales, oléagineux et protéagineux, le déficit en surface est de 25 Mha, dont 17 Mha pour le soja. Donc ce flux d’exportations est artificiel. Il n’est permis que parce qu’il y a des importations. En cas de forte baisse de la production mondiale de soja, les prix seront multipliés par deux ou par quatre car à la différence des céréales, les principaux importateurs de soja dans le monde sont des pays riches comme la Chine, l’Inde et l’UE, qui n’hésiteront pas à payer pour nourrir leur élevage. Des politiques de développement des cultures protéiques seront alors mises en place, gagnant des hectares sur les céréales. Et d’un seul coup, les volumes de blé exportés par le passé se tariront. Comment réagiront nos clients importateurs ?

LD-LPM : Les élections présidentielles peuvent-elles jouer un rôle sur ces questions ?
N.J. : Non, car le débat de la présidentielle est très creux. Il y a de bonnes intentions mais personne n’a vraiment envie de changer les choses. Le FN propose une politique agricole française à la place de la Pac, ce qui ne peut nous convenir. Puis, entre le programme du PS et la position de Bruno Le Maire il n’y a pas de volonté de reprendre les commandes de l’UE. Le ministre ne cherche pas à rétablir des barrières tarifaires ni à réorienter les cultures.
En 2009, toutes les exploitations étaient en déficit. La situation était catastrophique avec une majorité d’exploitations céréalières dans le rouge, à part celles qui ont pu profiter de contrats signés 6 mois à l’avance et donc de bons prix. Si on ne change rien, on va se diriger vers des prix de plus en plus instables et des aides qui vont diminuer fortement. La situation ne sera pas sécurisante pour que l’agriculteur réalise des investissements, ni même pour la recherche qui ne progressera pas dans un univers instable.

LD-LPM : Pensez-vous que le choix du prix de marché plutôt que du prix moyen soit profitable au producteur ?
N.J. : Un agriculteur agréé organisme stockeur peut être présent sur le marché toute l’année et profiter de certaines opportunités. Une coopérative alimente des usines d'aliments du bétail, de bioéthanol ou des silos portuaires dans lesquels elle a des intérêts capitalistiques, donc différents. L’agriculteur doit aussi se préoccuper de son coût de production qui se situe actuellement autour de 180 €/t aides comprises. Il y a deux ans, on accusait l'agriculteur de faire de la rétention. Mais on ne peut le blâmer de refuser de vendre s’il enregistre des pertes. Mieux vaut attendre quelques mois et peut-être vendre son lot à meilleur prix. Les agriculteurs qui s'intéressent au marché valoriseront davantage leur blé seul que par l’intermédiaire du prix moyen. Bien entendu, le marché libre n’est pas sans risque, l’agriculteur peut y perdre aussi. Mais s’il se fixe un prix de référence correct, et qu’il suit bien ses affaires, il va y gagner. Le marché à terme peut lui permettre de sécuriser des positions. De toute façon, le prix moyen a atteint de tels niveaux de médiocrité que l’agriculteur ne perd pas grand chose à vendre sa récolte au prix du marché.

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