Brasserie
Chine : la bière monte en gamme
Longtemps considéré comme un eldorado, le marché chinois de la bière marque le pas avec une consommation en baisse. Mais pour certaines niches, la progression est exceptionnelle car la montée en gamme semble s’installer dans la durée.
À Shanghai, Michael Jordan, maître brasseur de Boxing Cat Brewery, une microbrasserie pionnière de l’empire du Milieu, est témoin des mutations rapides du marché de la bière. « Aujourd’hui, je pense que nous avons une majorité de clients chinois. Mais il y a encore six ans, nous ne servions que des expatriés », explique-t-il. Fortes de leur succès, les brasseries artisanales génèrent un engouement sans précédent. Elles ne sont peut-être que 200 à 400 – suivre le rythme des ouvertures à l’échelle de la Chine s’apparente à une mission impossible – mais elles témoignent de l’incroyable montée en gamme du marché chinois. « Les jeunes Chinois sont très ouverts à la nouveauté et à l’international. Ils boivent moins mais mieux, surtout dans l’est de la Chine », résume François Sonneville, analyste chez Rabobank. Sur la période 2006-2015, la consommation de bière en Chine a augmenté de 73 % (+ 20 000 millions de litres) (source Canadean 2016 via Rabobank), celle des bières sous licence de marque étrangère de 170 % (+ 935 millions de litres), avec une croissance régulière, et celle des bières importées très premium de 1 000 % (+ 300 millions de litres), avec une envolée des volumes inouïe depuis 2013. Alors que la consommation globale de bière a diminué de 5 % en 2015, à 47,4 milliards de litres, selon Euromonitor, les bières du haut du marché ne se sont jamais aussi bien portées.
Quels débouchés pour la France ?
Pour les pays qui exportent de l’orge brassicole en Chine, et dont la France fait partie, se pose légitimement la question de l’évolution de ce débouché à l’avenir. « La Chine importe en moyenne 3 Mt d’orge de brasserie chaque année. En 2015/2016, environ 2 Mt sont venues d’Australie, environ 1,5 Mt de France et 950 000 t du Canada. Pour la campagne, en cours, la France va nécessairement subir les effets de la dernière récolte, mais certains grands industriels s’intéressent déjà à la prochaine. Nous sommes l’un des trois premiers fournisseurs de la Chine, et c’est devenu un débouché régulier », indique Li Zhaoyu au bureau de France Export Céréales à Pékin. De fait, la dépendance aux importations d’orges brassicoles semble bien installée. « La Chine produit à peine plus de 10 % de ses besoins en orge de brasserie. Ce n’est pas une culture stratégique, les surfaces baissent et peu de travail est mené sur la qualité », analyse Romain Chiron, directeur achats matières premières de Malteurop Groupe, qui exploite une usine en Chine (malts standards et malts spéciaux, à base de blé notamment). Si la Chine n’est plus l’eldorado qu’elle a été, le secteur est amené à se consolider, ce qui pourra créer des opportunités. En outre, l’essor des microbrasseries, s’il se confirme, pourrait faire l’affaire des malteurs. Il faut en effet trois fois plus de malt pour produire une bière artisanale qu’une bière industrielle.
Vers une révolution à l’américaine ?
Alors que certains observateurs s’enthousiasment sur le potentiel de la bière artisanale en Chine, Romain Chiron préfère rester prudent. « Nous pensons que la bière artisanale va progresser en Chine, mais il est encore trop tôt pour savoir quelle sera l’ampleur de cette tendance », résume-t-il. À chaque bonne idée, la frénésie fait rage en Chine. Après les pionniers occidentaux, les Chinois sont donc nombreux à se lancer dans l’aventure de la bière artisanale. « Le souci, c’est que beaucoup de gens oublient qu’il faut faire de bonnes bières pour gagner de l’argent ! », commente Jimmy Selent, en charge de la communication de Great Leap Brewing à Pékin. Il faudra donc sans doute attendre un peu avant de savoir si une révolution de la bière artisanale se trame vraiment en Chine, à l’instar de celle observée par les États-Unis. Outre-Atlantique, elle pèse 12,2 % du marché en volumes et 22 % en valeur, selon les statistiques de l’Association des brasseurs américains.
Le handicap de l’embouteillage
En Chine, il faut embouteiller la bière sur une ligne d’une capacité d’au moins 12 000 bouteilles à l’heure (le seuil varie selon les endroits) pour obtenir une licence de distribution. C’est pourquoi la plupart des brasseries artisanales se développent autour de pubs et restaurants. « La réglementation est adaptée aux grandes brasseries industrielles et nous, on n’entre pas dans ce cadre là », note Jimmy Selent. À Shanghai, Boxing Cat Brewery veut lancer des bières en bouteille prochainement. « Au départ, nous sous-traiterons l’embouteillage car cela représente un investissement d’au moins 1 million de dollars », explique Michael Jordan. Chez Rabobank, François Sonneville est optimiste : « Quand la qualité générale s’améliorera, la régulation évoluera pour s’adapter à la réalité ». Mais dans le domaine réglementaire, les prévisions sont toujours difficiles en Chine.