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Présidentielle 2012 : les réponses des candidats
« Cesser de raconter des histoires à propos du monde agricole »

Au cours de votre visite au Salon international de l’agriculture, dimanche 26 février, vous avez déclaré vouloir être « la voix des agriculteurs ». De quoi souhaitez-vous vous faire écho en priorité concernant la profession ?
François Bayrou :
Je veux tout d’abord que l’on cesse de raconter des histoires à propos du monde agricole. La déclaration de Nicolas Sarkozy indiquant que le revenu agricole avait été multiplié par trois ces dernières années est une déclaration provocante pour un grand nombre d’agriculteurs qui, malgré des horaires de travail très importants et des investissements très lourds, n’arrivent pas à dégager le Smic avec leur exploitation. Je veux que l’on regarde en face la réalité, comme elle est. Il y a un deuxième point sur lequel on ne dit pas la vérité non plus et sur lequel je veux que l’on soit attentif : il s’agit des rapports agriculture/environnement. Les agriculteurs ont été vus pendant  longtemps – et à juste titre – comme « les défenseurs de l’environnement », jusqu’à devenir ceux, aujourd’hui, qui portent atteinte à ce même environnement. Il y a là quelque chose qui est dangereux. J’estime que la réconciliation entre l’environnement et le monde agricole, qui est en route parce qu’il y a beaucoup d’agriculteurs qui font de l’agriculture raisonnée, est un enjeu de société très important. Un enjeu d’image aussi pour les agriculteurs.

Est-ce à dire que le monde agricole véhicule, à son insu, une mauvaise image ?
F. B. :
C’est un problème en effet. On parle aussi des aides aux agriculteurs, mais ce ne sont pas des aides. Et sur ce point encore, les agriculteurs perdent la bataille de la communication. Ce sont en réalité des compensations qui ont été mises en place parce que les pouvoirs politiques ont choisi d’avoir des prix de l’alimentation le plus bas possible pour favoriser les consommateurs. Mais cette idée d’aide est très pénalisante pour le monde agricole qui devient dépendant des aides alors qu’au contraire, la direction à suivre sur le long terme est celle d’une agriculture qui vit de ses prix.

Quelle est votre solution pour que les agriculteurs « vivent de leurs prix » ?
F. B. :
Il faut favoriser l’organisation de la profession face notamment à la grande distribution. Bruxelles est intervenu plusieurs fois, et de manière choquante pour empêcher l’organisation de la production. Je pense que de ce point de vue là, il faut que le pouvoir public français défende les agriculteurs. Rien n’est plus normal que de voir le monde agricole s’organiser pour résister à la pression des grandes centrales d’achat et des grandes surfaces. Pour ce faire, je pense que la politique des contrats est une bonne politique, avec des quantités et des prix garantis contractuellement. Je veux d’ailleurs insister sur le fait que s’il y a un secteur d’activité dans lequel on est sûr que les prix doivent monter à long terme, c’est le secteur agricole, parce que l’augmentation de la demande – qui suit l’augmentation de la population humaine – va faire que les prix agricoles vont progresser. S’il y a un secteur d’activité dont on est sûr qu’il est un secteur d’avenir, c’est bien celui de l’agriculture.

Restent les problèmes de compétitivité par rapport notamment à l’Allemagne qui a désormais dépassé la France en matière d’exportation de produits agricoles. Que proposez-vous pour résoudre ce problème ?
F. B. :
Il y a eu des démentis ces derniers jours sur ce point-là : les déclarations de Nicolas Sarkozy concernant l’Allemagne et ses salaires beaucoup plus faibles qu’en France ont été infirmées par les syndicats allemands, sauf sur les abattoirs. Ce que je défends en la matière est que les règles qui s’appliquent aux uns doivent s’appliquer aux autres. Je défends une concurrence loyale. Les interdictions qui s’appliquent à ce qui est produit sur notre sol doivent aussi s’appliquer sur les produits qui entrent sur notre sol.

Pensez-vous qu’il faille obtenir un budget un peu plus ambitieux que celui proposé aujourd’hui pour la Pac ?
F. B. :
Il ne faut rien lâcher sur le budget. Il faudra mener la bataille à Bruxelles.
Sur le volet environnemental, il y a des objectifs nés du Grenelle de l’environnement qui visent à réduire les produits chimiques dans l’agriculture, qu’en pensez-vous ?

F. B. : Raisonner l’agriculture dans le sens d’une diminution des intrants, notamment des molécules qui sont dangereuses pour la santé, va dans le bon sens. L’ensemble du travail sur l’agriculture raisonnée en France a donné de très bons résultats ces dernières années. Il y a cependant un secteur dans lequel on peut faire mieux, c’est celui des nitrates. Je suis persuadé qu’on peut aller plus loin. J’ai moi-même dirigé une opération, dans les Pyrénées-Atlantiques, de digestion des nitrates dans les lisiers, pas chère, performante et, de surcroît, supprimant toutes les odeurs des lisiers. Simplement, il y a eu des réticences car c’était autant d’unités azotées que l’on n’apportait pas à la terre. Je pense que ce type de procédés doit être expérimenté.

De quelle façon voulez-vous inciter les agriculteurs à faire ces efforts dont vous parlez ?
F. B. :
Il faut que la profession prenne ses responsabilités. L’État doit être incitateur, il doit convaincre, il doit fédérer. Il faut comprendre que la plupart des éleveurs de porcs, puisque ce sont d’eux essentiellement qu’il s’agit, en ont marre d’être regardés comme des pollueurs. Si on trouvait d’autres procédés que ceux très chers et très pénalisants qui existent à l’heure actuelle, je suis sûr qu’ils seraient heureux au moins de les expérimenter.

Quelle est votre approche sur la culture des OGM, et notamment sur le maïs Mon 810 ?
F. B. :
Il y a des OGM indiscutables, par exemple ceux, qui produisent des antibiotiques, ceux qui permettent, à partir de plantes, de produire de l’insuline… Ce sont pour moi des OGM nécessaires parce qu’ils sauveront des milliers de personnes de la mort. Et puis il y a ceux qui sont à discuter, ceux qui s’appliquent à des secteurs où l’on n’est pas frappé par l’urgence de leur apparition. Je suis pour que l’on prenne les plus grandes précautions s’il y a risque de dissémination. On a raison d’être prudents devant un certain nombre de semences OGM. Donc il faut poursuivre les recherches et faire attention quand il y a des risques de contamination. Il faut aussi créer une autorité objective, indépendante, qui tranche sur ces questions.

Quelle est votre position en matière de biocarburants ?
F. B. :
C’est un débouché de l’agriculture qui me semble intéressant pour une raison simple : la sécurité alimentaire de l’humanité exige en raison des fluctuations climatiques, que l’on ait des productions excédentaires certaines années. Et les agrocarburants ont cette chance formidable qu’ils peuvent absorber les surplus. Ils permettent ainsi de réguler la production.

Cela peut aussi faire monter les prix...
F. B. :
Lorsque les céréales qui servent en particulier aux biocarburants sont prélevées sur le stock de l’alimentation humaine, ça n’est pas juste en effet et cela fait monter les prix. C’est d’ailleurs une illustration de plus de l’insuffisance de la loi du marché en agriculture. D’où la nécessité de rendre obligatoires la gestion et la régulation des marchés.

Pensez-vous qu’en matière de régulation des marchés justement, le G20 de l’an dernier soit allé assez loin ?
F. B. :
Je considère que pour l’instant les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes.

Alors que proposez-vous pour mieux réguler ces marchés ?
F. B. :
Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage ! L’humanité en viendra à la gestion des matières premières agricoles pour éviter une catastrophe humanitaire. Et pour fixer des populations des pays pauvres dans l’activité agricole. Dans certains pays pauvres importateurs, les habitants des bidonvilles sont livrés à une déculturation absolue. Ils perdent leur identité, leur tradition, leur langue, et vivent dans une misère déplorable. Ils mériteraient de retrouver leur enracinement dans une agriculture plus productrice.

Certaines populations des PVD nous reprochent d’exporter chez eux ?
F. B. :
Ils ont raison, s’il est un lieu où il faut du protectionnisme, c’est dans les pays pauvres contre des exportations à trop bas prix en provenance des pays riches.

Vous seriez prêt à remettre en question la vocation exportatrice de la France en blé par exemple ?
F. B. :
Je pense qu’il faut trouver des moyens de régulation pour que les pays pauvres puissent développer leur agriculture.   

Vous insistez beaucoup sur la maîtrise des dépenses publiques. L’agriculture étant un secteur avec de fortes dépenses d’argent public, qu’allez-vous changer dans ce sens ?
F. B. :
L’agriculture rapporte à la nation plusieurs milliards tous les ans en exportant. Il faut tenir compte de cet apport de l’agriculture à la nation. C’est un des rares secteurs exportateurs de l’économie française. Il est injuste de le présenter comme un secteur qui consommerait goulûment de l’argent public.

Votre volonté de rigueur dans les dépenses publiques sera modérée concernant l’agriculture compte tenu de ce quelle apporte ?
F. B. :
C’est la politique de la nation qui a baissé « artificiellement » les prix agricoles. C’est cela qu’on a imposé aux agriculteurs. En échange, on leur a apporté un certain nombre de compensations qui ne sont pas des aides mais la contrepartie d’efforts. Il ne manquerait plus qu’on la leur supprime. Mais je vous dis qu’à long terme ma politique à moi, ce sont les prix. C’est-à-dire qu’il n’y ait plus besoin de compensation.

Pensez-vous que le consommateur puisse supporter cela ?
F. B. :
Mais de toute façon il le paie en tant que contribuable. C’est un leurre, c’est une manipulation. Il est bon de rappeler que tout le monde paie des impôts. Comme vous le savez, en France, la progressivité de l’impôt sur le revenu est plutôt parmi les plus faibles en Europe. C’est pourquoi j’ai proposé qu’on relève à 45 % et à 50 % les tranches marginales de l’impôt sur le revenu, sans aller jusqu’à des aberrations du type 75 %.

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