Carburants d’aviation durables : quel débouché pour les cultures oléagineuses françaises ?
L’augmentation progressive des mandats d’incorporation – 2 % d’incorporation à 4,8 % horizon 2030 émanant de ReFuel EU Aviation- des biocarburants dans les combustibles destinés à l’aviation pourrait plutôt bénéficier aux pays exportateurs d’huiles de cuisson usagées, graisses animales et aux producteurs d’oléagineux en Amérique du Sud.
L’augmentation progressive des mandats d’incorporation – 2 % d’incorporation à 4,8 % horizon 2030 émanant de ReFuel EU Aviation- des biocarburants dans les combustibles destinés à l’aviation pourrait plutôt bénéficier aux pays exportateurs d’huiles de cuisson usagées, graisses animales et aux producteurs d’oléagineux en Amérique du Sud.
Le marché des carburants d’aviation durable (SAF, sustainable aviation fuels) est pour l’instant totalement dirigé par les mandats d’incorporation. Ceux-ci doivent représenter une part de 2 % des carburants livrés aux aéroports dans l’Union européenne (UE), et cette proportion devrait augmenter progressivement à horizon 2035 pour atteindre 20 %. L’UE, de concert avec le Royaume-Uni, a en effet adopté une réglementation ambitieuse sur l’incorporation de carburants durables dans l’aviation, et représente le premier débouché dans le monde pour ceux-ci. « En 2023, les législateurs européens se sont mis d’accord sur une troisième version de la directive sur l’énergie renouvelable, qui a revu les ambitions d’incorporation à la hausse », rappelle Tom Hughes, spécialiste du marché des carburants d’aviation durables pour FastMarkets. « Les carburants d’aviation durables représenteront un vrai marché d’ici 2030-2035 », renchérit Fabien Hillairet, fondateur de Greenea, un cabinet de courtage et de conseil spécialisé dans les biocarburants. Une nouvelle liste de matières premières pour la fabrication de ces carburants a vu le jour : celle-ci inclut en premier lieu les déchets, comme l’huile de cuisson usagée (UCO), mais a été élargie aux cultures dérobées et toutes les matières disponibles dans l’annexe IX-A de la directive européenne 2018/2001. Le but étant de ne pas provoquer de changement d’usage des terres agricoles.
Les cultures d’oléagineux destinées à la production de carburants d’aviation sont balbutiantes en Europe
« On manque de données publiques sur les nouvelles cultures destinées directement à la production de biocarburants pour l’aviation », déplore Tom Hughes. En effet, si les initiatives pour développer la production de cameline fleurissent, celles-ci restent pour l’instant au stade expérimental.
En effet, si les initiatives visant à développer la production de caméline ou de tournesol en culture dérobée se multiplient, elles demeurent pour l’instant à un stade expérimental. Les volumes disponibles sur le marché ne dépassent que rarement quelques milliers de tonnes, et les prix affichent une prime de plusieurs centaines d’euros par rapport aux huiles végétales conventionnelles. Au-delà des coûts de transformation (notamment le raffinage), les agriculteurs perçoivent aujourd’hui des primes plus attractives sur les graines issues de cultures conventionnelles. De plus, les coûts logistiques — stockage, collecte et raffinage — demeurent élevés, en raison des faibles volumes actuellement produits.
Les cultures dérobées figurent dans la liste autorisée des matières premières destinées aux carburants d’aviation, « mais leur définition ou la méthodologie du calcul des gaz à effet de serre n’est pas figée » signale Fabien Hillairet. « Le gisement disponible en oléagineux autorisés dans les carburants d’aviation n’est pas énorme en France et en Europe » précise-t-il. « Nous estimons à 1,5 million d’ha la surface à cultiver en tournesol dérobé ou 4 millions d’ha celle de cameline pour couvrir les besoins français en carburants d’aviation durables juste sur le court-terme. C’est impossible à atteindre » renchérit le fondateur de Greenea.
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Le tournesol en interculture, un potentiel limité ?
Si l’huile de colza ne peut pas être utilisée pour la fabrication de carburants d’aviation, le tournesol cultivé en tant que culture dérobée pourrait être une option. D’ici au mois de décembre, on devrait être fixé sur son inclusion ou non dans la liste des matières premières autorisées pour la fabrication de biocarburants destinés à l’aviation. « Le principal problème de cette culture, c’est son besoin d’irrigation après les semis et au moment de la floraison pour garantir un minimum de rendement » explique Fabien Hillairet, dont le cabinet a publié une étude sur la question. « Sans irrigation et avec le risque grandissant de sécheresse l’été, on peut s’attendre à un rendement entre 0 et 1 tonne à l’hectare. Si l’on irrigue, celui-ci peut monter entre 1 et 2 tonnes à l’hectare », révèle-t-il. « Le contexte français qui se caractérise par beaucoup d’émotionnel autour de l’irrigation est un autre paramètre à prendre en compte », ajoute-t-il. Du côté des semenciers, des recherches ont déjà été conduites pour développer des variétés de tournesol à développement plus rapide.
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Quel marché pour le tournesol en culture intermédiaire ?
Selon le courtier en biocarburants, la culture est toujours en phase de test. « Un gros acteur s’est déjà engagé à acheter les récoltes », révèle l’expert. « Cela prend la forme d’une prime appliquée à la culture par rapport au tournesol conventionnel », déclare Fabien Hillairet.
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L’Amérique du Sud pourrait bénéficier des nouveaux mandats d’incorporation européens
« En Argentine et au Brésil, des projets sont déjà en cours pour étudier la viabilité des cultures intermédiaires à destination des biocarburants d’aviation », explique Tom Hughes. L’huile de ricin produite en Amérique du Sud pourrait aussi représenter une matière première potentielle, de même que celle de moutarde et de carthame issues d’autres origines. Des pétroliers ont ainsi prévu de lancer un projet en Afrique. « Si le tournesol en interculture ne figure pas dans la liste des huiles autorisées, tous les besoins européens risquent de basculer sur l’Amérique du Sud », met en garde le fondateur de Greenea.
Faire l’impasse sur les huiles de cuisson usagées chinoises semble irréaliste
Pour le moment, les carburants d’aviation durable sont principalement fabriqués à partir d’huiles de cuisson usagées. Et cela, alors que des suspicions de fraude pèsent depuis longtemps sur la réelle nature de ces huiles. « Certains producteurs chinois ont été disqualifiés, et les contrôles sont désormais plus stricts », tempère Fabien Hillairet.
« Les matières premières résiduelles, qui figurent dans la liste mise en place par l’Union européenne, sont importées à hauteur de 70 à 80 %. Plus la population est importante, plus le gisement de matières premières résiduelles est important », explique l’expert. « On ne peut pas dire non à la Chine, sinon les usines de production de biocarburants ne fonctionneront pas. La filière européenne dépend encore largement de ces volumes », avance-t-il.
« La filière européenne a besoin des importations d'huiles usagées », indique Fabien Hillairet, fondateur de Greenea
« Les huiles de cuisson usagées ont l’avantage de présenter une dynamique de prix plus claire »
Pour Tom Hughes de Fastmarkets, les dynamiques de prix des huiles de cuisson usagées sont beaucoup plus faciles à comprendre, étant donné que c’est un marché ouvert. « Il faudrait des outils pour établir les prix des cultures intermédiaires destinées à l’aviation, et un marché ouvert », appelle-t-il de ses vœux.
Le contrôle et la certification des cultures intermédiaires, un autre défi
Dans l’Union européenne, les cultures dérobées destinées aux carburants d’aviation doivent présenter un document comme « preuve de durabilité ». Pour l’instant, les choses sont encore floues. « Mais ce n’est pas très compliqué à mettre en place, la filière biocarburants sait déjà le faire. Le cadre devra être mis en place pour les cabinets d’audit », estime Fabien Hillairet. Reste encore la question de la certification des éventuelles matières premières importées.