Exportation de céréales : « La compétitivité de la France sur la Chine dépendra de la concurrence de l’Australie et de la Russie »
Krishnaraj Danaradjou, directeur général adjoint en charge du développement d’Haropa Port, revient les exportations céréalières du port de Rouen sur la campagne 2024-2025 et présente les perspectives de chargement sur l’actuel exercice commercial.
Krishnaraj Danaradjou, directeur général adjoint en charge du développement d’Haropa Port, revient les exportations céréalières du port de Rouen sur la campagne 2024-2025 et présente les perspectives de chargement sur l’actuel exercice commercial.

La Dépêche Le petit meunier : Quels sont les faits marquants de la campagne à l’exportation 2024-2025 du port de Rouen ?
Krishnaraj Danaradjou : Le premier élément à prendre en compte est le bas niveau de la récolte céréalière française en 2024. C’est la pire moisson de blé tendre et d’orge depuis quarante ans, avec des baisses de 10 Mt en blé tendre et de 2 Mt en orge par rapport à la moyenne quinquennale. Le faible disponible exportable a conduit à la chute de 40 % des exportations de grains du port de Rouen d’une campagne sur l’autre. Les quatre opérateurs rouennais - que sont Sénalia, Beuzelin, Soufflet (groupe InVivo) et Simarex (groupe Natup) - n’ont chargé que 5,21 Mt de céréales et oléoprotéagineux en 2024-2025, contre 8,72 Mt en 2023-2024 et 8,5 Mt en 2022-2023.
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Le deuxième fait marquant est l’amélioration de la part de marché d’Haropa Port, qui gère le port de Rouen, spécialisé dans les exportations de grains, par rapport aux ports de La Rochelle Pallice et de Dunkerque, qui ont également enregistré une décroissance en termes de tonnage de grains chargés.
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Dans cette configuration de mauvaise campagne, la part de marché d’Haropa Port s’améliore en 2024-2025, pour s’établir à 54 % des céréales françaises exportées par voie maritime (contre 52 % en 2023-2024). En volume, nous avons peut-être un peu plus limité le choc grâce à l’importance de l’hinterland du port de Rouen, qui s’étend vers les Hauts-de-France (Nord, Pas-de-Calais), le Grand Est (Moselle), la Bourgogne-Franche-Comté (Aube) et le Centre-Val de Loire. Le port de Rouen possède également des infrastructures qui lui permettent une massification des flux, conduisant à une baisse des coûts de manutention.
Parts de marché de la route, du rail et du fleuve dans l'acheminement des grains sur le port de Rouen | ||||
En pourcentage | Campagne 2020-2021 | Campagne 2021-2022 | Campagne 2022-2023 | Campagne 2023-2024 |
Route | 68,0 | 64,8 | 66,2 | 60,4 |
Fer | 8,6 | 10,2 | 7,8 | 10,6 |
Fleuve | 23,4 | 25,0 | 26,0 | 29,0 |
Source : Haropa Port, juillet 2025 |
Un troisième point à relever est le développement de l’intermodalité route-rail-fleuve sur le port de Rouen. C’est une tendance de fond, avec des fluctuations annuelles. La part modale de la barge a régulièrement progressé, passant de 23,4 % en 2020-2021 à 29 % en 2023-2024. Quant au train, on a une hausse globale, avec une part modale qui est passée de 8,6 % à 10,6 % dans le même temps. Et ce, grâce au volontarisme des opérateurs rouennais pour chercher à massifier leurs volumes par la voie d’eau et la voie ferrée. On peut citer par exemple les navettes fluviales de Sénalia et Soufflet. De son côté, Beuzelin qui a déjà mis en service une liaison ferroviaire va développer le transport fluvial dans les prochains mois. Si l’on a besoin de bateau ponctuellement, le bassin de la Seine possède une population de bateliers conséquente et une flotte dimensionnée pour le vrac céréalier.
L'EXPERIMENTATION DE LA DESCENTE DE LA SEINE EN BIMAREE VA ETRE RENOUVELEE
Le 7 mars 2025, le port de Rouen a expérimenté la descente de la Seine en bimarée, qui permet d’augmenter la capacité de chargement des navires les plus gros en profitant de deux marées hautes successive pour regagner le large. « Programmer une descente en deux marées, c’est permettre aux navires vraquiers les plus importants, notamment de type Panamax (225 m de long et jusqu’à 14 m de tirant d’eau), de sortir du chenal au moment le plus favorable de la marée et ainsi d’augmenter le tirant d’eau du navire de 30 à 50 cm, et même davantage selon les coefficients de marée. Le chargement peut en conséquence être augmenté de plusieurs milliers de tonnes et le navire est ainsi à l’optimum de sa capacité de chargement, ce qui peut éviter ou limiter les compléments de chargement dans un autre port », explique Haropa Port.
Au vu du succès de ce premier essai, une deuxième expérimentation est en cours d’organisation, pour une réalisation dans le courant de la campagne 2025-2026.
LD-LPM : Quels sont les principaux clients des céréales exportées ?
K. D. : On observe une diversification des destinations des céréales de l’hinterland rouennais, avec de grandes variations de tonnage d’une campagne à l’autre. La Chine, qui était la principale destination durant la campagne 2023-2024 avec 2,48 Mt (principalement du blé tendre), se retrouve de fait en troisième position sur le dernier exercice, avec 380 000 t importées (essentiellement de l’orge fourragère). Le tout, en raison du contexte géopolitique international : la campagne dernière, les relations entre la Chine et l’Australie se sont ainsi améliorées.
Le Maroc, quant à lui, passe de la deuxième à la première place du podium, en raison d’importants épisodes de sécheresse consécutifs, avec un tonnage de 1,3 Mt en 2024-2025 (dont 950 000 t de blé tendre, et le solde en orge fourragère), contre 2,1 Mt la campagne précédente.
Quant à l’Algérie, en troisième position en 2023-2024 avec 1 Mt chargées, elle n’a importé qu’un bateau de 30 000 t de blé tendre au tout début de la dernière campagne céréalière, pour des raisons diplomatiques connues.
La deuxième destination en 2024-2025 revient au Portugal, avec 700 000 t (dont 391 000 t de blé tendre et 200 000 t de blé fourrager). Les clients d’Afrique de l’Ouest sont de plus en plus nombreux, avec principalement la Côte d’Ivoire (230 048 t) et le Sénégal (84 000 t). D’autres pays, plus exotiques pour certains, complètent ce tableau, comme la Thaïlande (100 000 t), la Tunisie (100 000 t), l’Arabie saoudite, la Libye et la Jordanie.
LD-LPM : Qu’en est-il des importations de grains sur le port de Rouen ?
K. D. : La place portuaire rouennaise offre des moyens de stockage en produits agricoles pour les industriels de l’agroalimentaire locaux et plus largement le marché français. En 2024-2025, ce sont 43 000 t de céréales qui ont été déchargées.
Pour moitié, il s’agit de blé dur pour les pastiers Panzani et Lustucru Rivoire & Carret. Le solde correspond à des volumes, peu significatifs, d’orge de brasserie, de maïs et de blé tendre, en fonction des opportunités de marché.
LD-LPM : Comment se présente la campagne 2025-2026 ?
K. D. : Les bonnes perspectives, en quantité et en qualité, de la récolte 2025, avec notamment une hausse de 27 % de la production nationale de blé tendre (après la baisse de 30 % l’année précédente) vont permettre au port de Rouen de retrouver, en cette campagne 2025-2026, un objectif à l’exportation en droite ligne avec la moyenne décennale, soit de l’ordre de 7 Mt à 8 Mt. La moisson, qui a trois semaines d’avance par rapport à d’habitude, présente un taux protéique assez bon et des poids spécifiques relativement importants, quelque chose de différenciant sur le marché international.
En termes de destinations, l’Afrique du Nord restera un débouché important, notamment le Maroc. Victime de la sécheresse, le pays aura indéniablement besoin de blé tendre. Quant à la compétitivité de la France sur la Chine, elle dépendra du contexte international, notamment de la concurrence de l’Australie et de la Russie.
LD-LPM : Qu’en est-il de ce début d’exercice commercial ?
K. D. : La campagne de commercialisation 2025-2026 commence dans un contexte de prix proposés trop élevés par rapport aux attentes des pays importateurs. Les choses se débloquent habituellement en fin d’année, voire en début d’année suivante, par le jeu de l’offre et de la demande. Pour l’heure, nous vivons une période d’attentisme, entre des opérateurs qui ne veulent pas baisser leurs prix et des acheteurs qui restent sur leurs positions.
Exportations céréalières sur les deux premiers mois des quatre dernières campagnes | ||||
Campagne 2022-2023 | Campagne 2023-2024 | Campagne 2024-2025 | Campagne 2025-2026 | |
Juillet | 903 585 t | t888 279 | 617 254 t | 526 660 t* |
Août | 1 088 421 t | 621 488 t | 310 526 t | n. c. |
Total Campagne | 8,5 Mt | 8,7 Mt | 5,2 Mt | 7-8 Mt** |
*du 1er au 23 juillet 2025 / **Objectif d'exportation / n. c. : non communiqué | ||||
Source : Haropa Port, juillet 2025 |
Reste que, du 1er au 23 juillet 2025, 526 660 t ont été chargées, soit 24,3 % de plus que l’an dernier sur la même période (423 869 t).
INVESTISSEMENT SUR LE QUAI DE PETIT-COURONNE DU PORT DE ROUEN
Le 4 octobre 2024, le groupe BZ a posé la première pierre d’un second silo sur le quai de Petit-Couronne, qui sera coupler à son terminal Maison Bleue, mis en service en 2016. Opérationnel en 2026, cette nouvelle infrastructure, d’un montant de 30 M€, permettra de quasiment doubler la capacité de stockage du site, qui passera de 75 000 t à 130 000 t. Pour rappel, le groupe BZ a également mis en service, au début de l’été 2024, un nouveau portique, d’une capacité de 1 200 t/h, doté d’une tête antipoussière avec un système d’accumulation de poussières. Le groupe BZ envisage d’installer son nouveau siège social à Petit-Couronne.
De son côté, Haropa Port, qui a déjà allongé le quai de Petit-Couronne pour permettre une augmentation des trafics, a lancé, en début d’année 2025, une nouvelle phase de travaux avec le rempiétement sur 260 m afin de permettre l’accueil de navires de 11,3 m de tirant d’eau (contre 10,6 m auparavant).