Varroa et acaricides : mesurer la sensibilité pour mieux lutter
Depuis plus de quarante ans, varroa destructor reste l’ennemi numéro un des colonies. L’efficacité des traitements diminue avec le temps, posant la question-clé : comment mesurer la sensibilité du parasite aux acaricides et adapter les pratiques pour limiter les résistances ?
Pour comprendre les enjeux actuels, il faut revenir sur l’histoire du varroa en France et sur l’évolution de la sensibilité de ce parasite face aux traitements disponibles.
Un parasite qui s’adapte aux traitements
Présent en France depuis les années 80, le varroa destructor est un parasite majeur des colonies d’abeilles. La première colonie infestée a été découverte en Alsace, le 1er novembre 1982. En se reproduisant dans le couvain de manière exponentielle, le varroa affaiblit les ruches et peut même, sans intervention de l’apiculteur, entraîner la mort de la colonie. La lutte contre ce parasite constitue depuis plus de quarante ans un enjeu central pour la filière apicole et la problématique évolue avec le temps, obligeant une adaptation constante des apiculteurs dans leur pratique de lutte.
La perte de sensibilité du varroa à certains acaricides représente ces dernières années un défi central pour la filière apicole (Giraud et al., 2025). Pour lutter contre l’infestation des ruchers par varroa destructor, les apiculteurs français disposent, en 2025 selon l’Anses, de six molécules actives ayant reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM). Parmi ceux-ci, l’amitraze reste la molécule la plus utilisée, représentant la majorité des traitements appliqués par les apiculteurs (plateforme ESA, 2024). L’efficacité initiale de l’amitraze était supérieure à 95 % pour la réduction du varroa, mais elle tend à diminuer avec le temps : elle se situe aujourd’hui autour de 90 % (Florentine Giraud et al., 2025). Cette baisse s’explique notamment par l’apparition progressive de perte de sensibilité chez le parasite.
Le traitement Apistan, dont la molécule active est le tau-fluvalinate, a été le premier traitement à recevoir une AMM en 1989 afin d’apporter une alternative à l’amitraze, utilisé alors dans des conditions non réglementées qui pouvaient exposer les apiculteurs à des risques sanitaires. Le tau-fluvalinate a très rapidement présenté des signes de perte d’efficacité liée à une résistance des varroas aux acaricides. Confirmée dès 1995 par une première publication scientifique (Faucon et al., 1995), cette découverte a conduit à la recommandation d’utiliser la molécule en alternance une fois tous les cinq ans.
Molécules disponibles et alternatives biologiques
En apiculture biologique, trois molécules acaricides sont autorisées en France : l’acide oxalique, l’acide formique et le thymol (Interapi, 2023). Ces substances, principalement d’origine organique, sont privilégiées par les apiculteurs bio comme alternatives aux acaricides de synthèse. Leur utilisation est de plus en plus fréquente face à la montée des résistances du varroa aux molécules conventionnelles. Cependant, le recours accru à ces alternatives organiques soulève le risque d’une nouvelle forme de monothérapie. En effet, la répétition d’un traitement unique pourrait favoriser l’émergence de résistances, comme cela a été observé dans le cas des acaricides de synthèse. À ce jour, aucun cas de résistance à l’acide oxalique n’a été officiellement rapporté mais cette question devient un sujet de recherche central pour les années à venir. Afin d’éviter la monothérapie, la lutte intégrée, couplant plusieurs approches et méthodes de luttes comme les luttes populationnelles (retrait de couvain, encagement), peuvent renforcer l’efficacité des traitements médicamenteux (« Lutte contre varroa : vers des solutions combinées », Flash’Abeilles n°63, ADA Grand Est).
Sensibilité ou résistance : de quoi parle-t-on ?
La sensibilité désigne la capacité d’un organisme à réagir à une agression ou stimulation d’un agent pathogène. Dans le cas de varroa destructor, elle reflète la capacité de survie du parasite face aux médicaments utilisés. Il convient toutefois de distinguer sensibilité et résistance. Contrairement à une idée reçue, la résistance n’est pas forcément totale ou immédiatement visible. Elle peut être progressive et masquée par des mécanismes biologiques complexes. C’est pourquoi on parle de plus en plus de perte de sensibilité, un terme plus représentatif de la réalité observée sur le terrain (Almecija et al., 2021). La sensibilité peut être mesurée par une échelle standardisée proposée par Almecija et al. 2021, permettant de classer les populations de varroas selon leur taux de mortalité lors des tests de sensibilité :
- sensible : taux de mortalité supérieur à 75 % ;
- modérément sensible : taux de mortalité entre 40 % et 75 % ;
- faiblement sensible : taux de mortalité inférieur à 40 %.
Des méthodes de mesure encore en construction
Plusieurs protocoles permettent de mesurer la sensibilité de varroa destructor aux traitements acaricides. Ces tests restent néanmoins récents et des améliorations et adaptations de protocoles seront probablement envisagées, afin d’optimiser les résultats et de se rapprocher toujours plus de la réalité du terrain.
Test de sensibilité en boîte de Petri : réalisé dans des conditions proches du terrain, ce test expose des varroas prélevés dans le couvain de plusieurs ruches fortement infestées à des doses d’amitraze tau-fluvalinate. Le taux de mortalité observé permet d’estimer leur niveau de sensibilité (Apinov., 2025).
Test de Pettis : il évalue la sensibilité des varroas phorétiques (hors-couvain) en exposant un échantillon d’abeilles infestées à chaque molécule testée lors d’un traitement pendant une durée donnée (6 à 24 heures). Le pourcentage de mortalité permet d’établir la réponse au traitement (Pettis et al., 1998).
Test Apiarium (version améliorée du test de Pettis, 2023) : ce protocole utilise des pots en plastique au lieu de pots en verre et applique une double exposition au traitement (exposition de bandelette en double face) pour optimiser les conditions de test comparativement à Pettis (Bahreïni et al. 2023). Il est expérimenté en 2025 par plusieurs ADA (Grand Est, Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté) et l’Itsap – Institut de l’abeille.
Analyses moléculaires et enzymatiques : En complément, les scientifiques réalisent des recherches afin d’identifier les mécanismes biologiques de résistance, notamment via des enzymes de détoxification et des mutations génétiques. Une mutation (L925V) a déjà été associée à une résistance partielle au tau-fluvalinate (InterApi. 2023). Une mutation (N87S) tend à montrer la perte de sensibilité à l’amitraze (Hernandez., 2025).
Résapi en première ligne
L’Itsap et certaines des ADA composant le réseau Résapi travaillent plus en détail sur les pertes de sensibilité des varroas aux acaricides. Avec le soutien d’Interapi, l’ADA Aura, en collaboration avec Apinov et l’Adapi, a rédigé un premier guide sur les résistances en 2023, faisant un état des lieux et une synthèse des connaissances et des méthodes sur la problématique. Pour 2025, plusieurs ADA et l’Itsap testeront aussi la mise en place de tests phénotypiques de type Apiarium et réaliseront un travail collaboratif d’analyse de données et une mise en commun du protocole dans le cadre d’un groupe de travail dédié.
En 2023, l’ADA Grand Est a commencé en autonomie le projet Alternance, effectuant des tests de sensibilité dans les ruches de plusieurs apiculteurs en région Grand Est afin de mieux comprendre les échecs de traitements subis par certains apiculteurs et d’étayer les suspicions de résistance au tau-fluvalinate et à l’amitraze. Ce projet vise à suivre les niveaux d’infestation avant et après traitement, évaluer et surveiller l’évolution de la sensibilité des varroas aux acaricides, pour affiner les recommandations sur l’alternance des molécules et limiter l’apparition des résistances.
Le projet se poursuit en 2025 avec de nouvelles analyses. Les premiers résultats révèlent une grande variabilité des niveaux de sensibilité des varroas au sein d’un même rucher. Cela peut expliquer les incohérences dans l’efficacité du traitement à l’amitraze entre les colonies d’un même rucher (Rinkevich, 2020), certaines populations varroas étant plus « résistantes » que d’autres. Par ailleurs, des infestations résiduelles élevées après traitement s’expliquent parfois non par une résistance, mais par un traitement trop tardif ou une infestation initiale trop forte, soulignant la nécessité d’un suivi régulier et d’une intervention précoce (Retour sur le projet Alternance 2024 en Grand Est, Flash’Abeilles n° 63, ADA Grand Est).
Vers une lutte intégrée contre le varroa
La baisse de sensibilité du varroa aux traitements est une tendance observée à l’échelle mondiale, avec des niveaux de sensibilité très variables selon les molécules, les ruches, les ruchers et l’environnement. Ces constats remettent en question les stratégies actuelles, souvent centrées sur la monothérapie. Face à cela, la lutte intégrée (Integrated Pest Management) apparaît comme un modèle alternatif d’avenir. En combinant méthodes chimiques et mécaniques, elle permet d’optimiser l’efficacité des traitements tout en limitant le développement des résistances (« Lutte contre varroa : vers des solutions combinées », Flash’Abeilles n°63, ADA Grand Est). L’objectif est d’assurer différents niveaux de vigilance en optimisant les pratiques apicoles afin d’accroître l’efficacité du médicament. La mise en place en amont de fondations solides, de méthodes de suivi et prévention contre varroa et de bonnes pratiques apicoles permettent d’optimiser l’efficacité du traitement une fois que celui-ci est administré à la ruche.
Côté biblio
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