Une transmission « catastrophe », ça existe !
Si les projets de transmission peuvent être des situations idéales pour s’installer, ils peuvent aussi mal se passer. Il est préférable d’avoir des exemples de situations en tête pour éviter de se retrouver dans une situation problématique. Dans cet article, Martine et Maya sont un portrait-robot d’apicultrices dont le projet de reprise/transmission se passe mal.



Cet article ne sera bien évidemment pas exhaustif concernant les problèmes rencontrés lors d’une transmission, mais sur la base de témoignages d’apiculteurs il illustre quelques situations anormales dans lesquelles on peut se retrouver dans ce genre de projet.
Martine a 35 ans, deux enfants, et a travaillé pendant dix ans dans l’industrie automobile. En 2020, elle a voulu changer de travail pour devenir apicultrice. Martine a le projet de reprendre une exploitation apicole pour ne pas tout démarrer de zéro et ainsi reprendre un système en marche et qui fonctionne. Elle fait alors l’heureuse rencontre de Maya, une apicultrice proche de la retraite qui souhaite transmettre son exploitation progressivement afin d’accompagner au mieux un potentiel jeune repreneur. Quelle aubaine pour Martine qui vient d’arriver dans la région et qui voit dans ce projet de transmission, la situation idéale pour s’installer. Elle pourra alors profiter des trente ans d’expérience de cette apicultrice pour apprendre le métier, connaître le territoire et se constituer un solide réseau.
Problème n°1 : un manque de communication et de tuilage qui noie très vite Martine
Mars 2020, Martine réalise son premier jour comme associée et future repreneuse de l’exploitation apicole. Arrivée dans la miellerie, du miel est en train d’être défigé, un autre est en cours de mise en pot, c’est d’ailleurs à cette tâche qu’elle sera destinée pour son premier jour de travail comme apicultrice. Martine est heureuse de ce nouveau projet de vie dans lequel elle trouve énormément de sens, mais très vite la situation se complique. Maya lui mène la vie dure. Des réunions sont programmées toutes les semaines pour faire le point sur l’avancée du travail et de la saison, mais au quotidien la communication entre les deux apicultrices reste très limitée. Maya fait comme si Martine avait toujours été présente sur l’exploitation et lui apporte très peu d’explications. Maya s’inquiète que Martine ne soit pas à la hauteur techniquement, pour s’occuper autant des ruches que de la miellerie, mais sans jamais demander à Martine comment elle se sent et sans jamais s’intéresser à elle. La repreneuse se retrouve alors vite noyée dans un système en marche qu’elle ne maîtrise pas et dans lequel elle n’est pas forcément à l’aise. Martine se renferme, essaye d’être coûte que coûte à la hauteur, autant à la miellerie que chez elle avec ses enfants en bas âge, en ayant malheureusement toujours l’impression de n’en faire jamais assez. Elle serre les dents et n’en parle pas à Maya, de peur d’être vue comme faible et de conforter l’image que Maya lui renvoie : « une personne issue du monde salarié et non issue du monde agricole ».
Martine se rend alors vite compte que reprendre un système qui marche peut faire peur. Si reprendre un système moyen peut être moins confortable aux premiers abords, il offre une perspective d’évolution et d’amélioration qui peut être satisfaisant pour le repreneur. Autant, reprendre un système qui fonctionne bien est difficilement améliorable et par contre plus facilement « détériorable ». Surtout s’il est basé sur un fonctionnement de vie différent entre la personne qui transmet et celle qui reprend ou sur un rythme de travail trop intense pour le repreneur. La moindre décision de changement peut donc avoir un impact sur la rentabilité économique de l’exploitation et donc sur le niveau de confiance du repreneur.
« La reprise ce n’est pas les bisounours. Reprendre c’est dur, reprendre un truc qui marche c’est dur, diminuer la cadence c’est dur, faire ses choix c’est dur ! »
« Si tu reprends une exploitation moyenne, c’est plus simple car tu peux voir que tu améliores les chiffres. Reprendre une exploitation qui économiquement est très rentable mais dont tu te rends compte qu’en charge de travail ce n’est pas tenable… ben souvent améliorer les conditions de travail ce n’est pas vu comme un réel objectif. C’est comme noyer un paquebot ! Et si tu dis je pensais que je n’allais pas y arriver en termes de charge de travail et bien c’est souvent vu comme un argument non valable. »
Problème n°2 : Maya habite sur place et travaille le week-end alors que Martine rentre chez elle et s’occupe de ses enfants
Maya, qui habitait sur le lieu de l’exploitation, avait toujours eu sa propre organisation en mélangeant vie privée et vie professionnelle. Si cette organisation lui convenait quand elle était seule à gérer l’exploitation, elle pouvait mettre Martine mal à l’aise. En effet, en ne vivant pas sur place et étant mère de deux jeunes enfants, Martine, partant à 18 h le soir et laissant Maya finir la journée seule, a l’impression d’être reléguée au statut de salariée. Le plus compliqué pour elle est de revenir le lendemain ou le lundi matin et de voir que des tâches avaient été réalisées en son absence et sans avoir été mise au courant. Elle a l’impression que l’exploitation avance à deux vitesses ou du moins, qu’elle a toujours un train de retard et qu’elle n’en fait jamais assez, tant à la miellerie que chez elle où son travail empiète de plus en plus sur sa vie de famille.
Problème n°3 : Maya a du mal à lâcher les rênes de son exploitation et à imaginer qu’on peut faire autrement
Martine, en tant que nouvelle associée, essaye tout de même de faire des propositions afin d’améliorer certains points qui lui semblent indispensables pour mieux vivre son quotidien, au cœur de cette exploitation apicole et imaginer de nouvelles perspectives. Cependant, à chaque tentative elle se confronte à un mur. À chaque fois que Martine propose de nouvelles idées ou propose de nouvelles pratiques à tester Maya se montre réticente, voire fermée. Les décisions restent entre ses mains, sans réelle consultation et sans possibilités d’évolution. Martine a le sentiment de piétiner et d’être reléguée à un rôle flou, sans reconnaissance, ni statut, ni perspectives. Chaque initiative est découragée ou reprise en main par Maya, comme si cette dernière ne parvenait pas à envisager une autre manière de faire que la sienne. En plus d’empêcher Martine de tenir certaines rênes du « paquebot », elle ne l’intègre pas de manière active dans la gestion de l’exploitation. Maya continue de coordonner seule les visites sanitaires, de gérer les ventes aux distributeurs et de piloter les transhumances, sans y intégrer Martine de manière active.
Problème n°4 : un tarif qui rend le projet de reprise impossible
À son arrivée sur l’exploitation, Martine a racheté la moitié des parts de Maya pour ainsi devenir associée de l’exploitation, avant de racheter l’intégralité des parts au moment du départ en retraite de Maya trois ans après. Les deux apicultrices s’étaient également mises d’accord pour que Martine rachète la maison de Maya dans laquelle se trouvait la miellerie. Maya devait quitter la maison rapidement pour que Martine s’y installe avec son compagnon et ses enfants. En réalité, Maya a mis deux ans à déménager et perdant espoir, Martine a acheté une autre maison dans le village. Au bout de trois ans de travail à deux, la quantité de miel produit avait augmenté, ainsi que le prix du miel. Au moment du rachat de la seconde moitié des parts, Maya a voulu renégocier leur montant. De plus, le prix du bâtiment avec la maison après le covid avait très largement augmenté. Dans ces conditions, l’exploitation devenait inachetable pour Martine, car le montant intégrait également le rachat de la maison dont elle n’avait plus besoin. Les choses auraient pu se passer autrement mais à ce stade il était devenu très difficile pour les deux apicultrices de s’entendre et de trouver un juste compromis.
Aussi, pour le projet de transmission, Martine et Maya avaient pris la même juriste. Selon Martine, cela ne permettait pas une négociation équitable et elles auraient dû avoir chacune leur propre juriste pour défendre leur intérêt personnel. Notamment, un contrat de mise à disposition de la miellerie avait été établi au lieu d’un bail au moment de l’installation de Martine. Avec un bail, au départ de Maya, Martine aurait pu lui louer sa miellerie. En revanche, avec ce contrat de mise à disposition, au départ de Maya, légalement, Martine ne pouvait plus utiliser la miellerie.
L’histoire ne dit pas si Martine est encore aujourd’hui apicultrice ou si elle est retournée salariée dans l’industrie automobile. Mais peut-être que l’histoire de Martine et Maya nous invite à prendre soin de l’humain dans un projet de transmission et à s’y intéresser. Si transmettre la technique apicole est indispensable, s’intéresser aux relations humaines et à l’humain l’est tout autant. Cette histoire invite aussi les cédants à s’interroger sur les priorités à avoir dans un projet de transmission : est-ce servir ses intérêts ou faire en sorte que le projet de transmission fonctionne ? Elle invite les repreneurs à s’interroger sur le modèle d’exploitation qu’ils souhaitent et qu’ils sont prêts à reprendre. Elle nous rappelle encore une fois que la communication est indispensable et qu’un accompagnement extérieur peut être un plus. Un projet de transmission est un projet engageant, qui peut mettre à l’épreuve les deux parties avec des personnes qui peuvent être dans certains cas en souffrance et prises de doutes.