La miellée de callune : une fin de saison en beauté
Trois apiculteurs de trois territoires, pris par la même fièvre qui pousse chaque année à redoubler d’efforts avec l’espoir d’atteindre le graal de la fin de saison : la miellée de callune.



Dans ce témoignage croisé, Angela Mallaroni, productrice au Pays basque, Thierry Fedon apiculteur en Haute-Vienne et Lénaïc Lecrénais en Gaec dans les Landes, nous partagent leur relation particulière avec les landes à callune et leur amour pour ce miel rare.
La poésie de ces paysages au goût de callune et la peur de les voir disparaître
« Sur le vaste territoire landais, les surfaces d’éricacées sont importantes ; mais cela ne garantit pas une miellée, tant s’en faut. Les peuplements de callune se trouvent plutôt en lande sèche, où le sol est le plus loin de la nappe phréatique. Là, sous les pins maritimes, le sous-bois se couvre, à la mi-septembre, de grandes étendues rose pâle, que les fougères passées et les ajoncs nains en fleurs viennent ponctuer de roux et de jaune. C’est un superbe tableau impressionniste que ces paysages d’automne nous donnent à voir ! Toutefois, il nous faut souvent chercher de nouveaux emplacements, pour compenser la régression des couverts de callune due à « l’entretien forestier » des sous-bois. » Lénaïc
« Depuis quelques années, non contente de l’unique récolte tardive de callune landaise, je suis aussi allée chercher celle de haute montagne dans les Pyrénées, une montée au ciel des ruches au 15 août, l’Assomption version apicole. La perspective de ce goût est dans l’air quand on décharge les ruches de la remorque, au petit matin, avec la brume du plateau qui lentement s’évapore vers le ciel lumineux et que les géants de pierre nous font lever les yeux. Les pentes rocheuses ont commencé à rosir et nos avettes ont un petit mois pour se délecter du précieux nectar. » Angela
« Aujourd’hui, celui qui viendrait découvrir la floraison des callunes en août, sur le plateau granitique de Millevaches, aux confins des trois départements limousins, serait déçu de n’en trouver que bien difficilement, tant la raréfaction est bien réelle. Pourtant, jusqu’à la fin des années 70, Millevaches fut un haut lieu de l’apiculture française puisqu’on estimait alors à près de 50 000 le nombre de ruches en août, entre les nombreux ruchers sédentaires mais aussi et surtout, avec ceux issus des transhumances, des plaines du Poitou, du Berry, du Sud-Ouest, d’Auvergne et, parfois, de plus loin. Aujourd’hui, ce chiffre est peut-être à diviser par 50. Actuellement, on voit une disparition pure et simple des landes de bruyères, soit en raison de l’accroissement des plantations de douglas, soit à cause de l’extension des prairies pour l’élevage de limousine. Mais aussi en raison de la diminution rapide des troupeaux ovins qui, jadis, entretenaient et régénéraient les landes. » Thierry
La callune, un amour peu raisonnable et exigeant, sur les ruchers comme en miellerie
« Mais alors, pourquoi s’acharner à vouloir malgré tout produire ce miel ? J’y vois un vrai défi, une sorte de graal à atteindre avec un certain panache de fin de saison, et dont les quelques centaines de kilos de miel récoltés, au mieux, m’apportent finalement beaucoup plus de plaisir et de satisfaction, permis il est vrai, par les dizaines de tonnes du reste de la saison. Si j’y mets tout mon savoir-faire, tous mes atouts et transhume les colonies les mieux choisies, c’est que j’estime que le jeu en vaut la chandelle. » Thierry
« Dans le massif landais, la miellée de callune se déclenche le plus souvent autour du 20 septembre. Un été indien est propice à la production de ce miel, mais des pluies suffisantes et régulières, notamment dans les premiers jours de septembre, sont la condition sine qua non d’une possible récolte. Si les températures baissent trop ou s’il pleut au moment de la pleine floraison, il n’y aura pas de miellée significative et l’on peut ranger les hausses. Malgré tout, contrairement à ce que l’on peut lire dans certains grimoires apicoles, des ruches qui hivernent sur une miellée de callune se portent à merveille au printemps, et n’auront pas besoin, ou si peu, d’un nourrissement. » Lénaïc
« Depuis que je suis installée, la callune est la fleur qui m’a obligé à modifier mes choix stratégiques, aussi bien pour la gestion des ruches, que mes choix de matériel de miellerie et les emplacements, évidemment. Pourtant la quantité de miel finalement produit chaque année et depuis quinze ans est fort modeste, mais c’est comme si ce potentiel de « miellée de la dernière chance » était symboliquement si fort qu’il pèse plus que son poids en miel dans les choix qui ont été faits depuis mon installation. D’ailleurs, la première machine de miellerie que j’ai achetée est une picoteuse d’occasion. L’apiculteur savoyard qui transhumait jusqu’en Sologne est heureux de savoir qu’elle connaît une seconde vie avec la callune landaise. Car ce miel c’est aussi le « picotage » cadre à cadre, puis passé dans un extracteur avec très bonne force centrifuge (tangentiel de préférence), puis repompé afin de pouvoir être filtré (au repos il redevient gélatineux), pour au final récupérer 70 à 85 % du miel des hausses, suivant les années, l’humidité du miel et la température de la miellerie… » Angela
« Ensuite, il y a la récolte (rapide), la chambre chaude (fortement conseillée), la déshumidification (vivement recommandée), la fameuse picoteuse (indispensable), l’extracteur tangentiel (non optionnel), le filtre rotatif (préférable), la mise en pot (méticuleuse et avec savoir-faire) jusqu’aux consommateurs. » Thierry
« Malgré le picotage, il reste toujours trop de miel à mon goût dans les hausses à l’issue de l’extraction, et son obtention prend au moins le double de temps comparé à un autre miel… » Lénaïc
Bel et bien le « caviar du miel »
« En montagne, la bruyère vagabonde (Erica vagans) apporte un parfum tourbillonnant à la forte assise aromatique de la callune. Un dessert en soi, accompagné de noix ou d’amandes. » Angela
« Quand par miracle, la miellée se veut au rendez-vous, il n’y a pas de meilleure récompense que la vue de ces cires blanches sur des cadres gonflés par la magie de cette miellée si aléatoire, aux effluves si prégnantes. Un miel d’exception, pour ce qu’il est et pour ce qu’il représente. » Thierry
« C’est un miel qui se mérite, et qu’on aimerait néanmoins pouvoir apprécier plus souvent. Recherché par notre clientèle, friande de ses saveurs de caramel et délicatement épicé. » Lénaïc
En conclusion…
« C’est la cerise sur le gâteau des saisons longues et difficiles, mais quand on a fini de l’extraire, parfois début novembre, on a juste envie de tout planter là et ne revenir qu’en février ! », Angela
« Comme me disait un collègue définitivement subjectif : « Objectivement, il n’y a pas de plus belle miellée. » Il suffit de l’avoir vécu pour en être convaincu, d’année en année, en espérant revivre ces instants précieux, et qu’au final, au gré des hauts et des bas, une carrière se passe. » Thierry