Idées reçues sur le nourrissement en apiculture
Le nourrissement suscite de nombreux préjugés. Entre les bons ou mauvais sucres, la qualité et le stockage des sirops, et la charge financière, il est temps de faire le tri entre mythe et réalité.


1. Tous les sucres sont bons pour l’abeille
Faux
Afin de déterminer si un sucre est bénéfique pour les abeilles, on doit en priorité vérifier la manière dont il affecte leur survie. Un certain nombre d’articles scientifiques ou techniques a pu établir que les abeilles vivent plus longtemps en consommant du saccharose, leur sucre de prédilection. Une étude a d’ailleurs mis en évidence une corrélation positive entre l’acceptation des sucres par les abeilles et leur survie. À l’inverse, on a pu constater que leur durée de vie est raccourcie lorsqu’elles consomment la longue liste des aliments sucrés suivants : le galactose, le lactose, le raffinose, le stachyose, l’arabinose, le xylose, le mélibiose, le mannose, l’acide glucuronique (dérivé du glucose), les pectines (polysaccharide acide), l’acide galacturonique (composant principal des pectines), l’acide polygalacturonique (produit de la dégradation des pectines), les mélasses, le sucre roux, les sodas, les sirops de raisin ou de datte, ainsi que le miellat, contenant beaucoup de minéraux.
Indigestes, voire toxiques pour les abeilles, ils provoquent des dysenteries, conduisant à la mort dans certains cas. Cependant, dans les conditions de terrain où des nectars récoltés vont diluer ces sucres néfastes pour la santé des abeilles, des conséquences négatives sont rarement observées à l’échelle des colonies. Des problèmes surviennent plutôt lorsque celles-ci sont nourries avec des sirops contenant ce type d’aliment et ne bénéficient pas de la récolte de nectars en parallèle.
2. Les sirops du marché sont tous de qualité équivalente
Faux
Bien que l’offre de sirops proposée sur le marché français soit de qualité correcte, il existe des différences notables en matière de qualité. Pour estimer la qualité d’un sirop, il faut se procurer sa fiche technique où l'on retrouve sa composition.
Premièrement, il faut comparer la nature et la quantité des sucres présents dans le sirop. Il est conseillé de tendre vers des sirops composés majoritairement de sucres présents dans le nectar, c’est-à-dire : glucose, fructose et saccharose. Ces sucres sont naturellement digestes par l’abeille. À l’inverse, certains sirops issus de sucre de céréales contiennent une part de sucres dits « complexes » ; c’est-à-dire difficiles, voire non digestes par l’abeille. Ces sucres n’ont pas ou peu d’intérêts pour l’abeille, ils sont donc à éviter. Aussi, certains sucres, sont néfastes pour les abeilles, tels que l’amidon, le galactose ou le lactose, par exemple.
Le deuxième critère important est la quantité d’eau présente dans votre sirop. Il sera plus intéressant économiquement, à prix égal, de choisir un sirop qui comporte moins d’eau et donc plus de sucres pour un même volume. Pour cela, il faut regarder le taux de matière sèche (ou extrait sec) du sirop, il correspond au pourcentage de matières qui ne sont pas de l’eau.
D’autres critères sont aussi à prendre en compte en fonction de l’utilisation du sirop : fluidité, appétence et stabilité du sirop dans le temps. Au-delà de la qualité du sirop, des apiculteurs sont aussi de plus en plus sensibles à la provenance des sucres pour des notions de bilan carbone notamment.
3. La qualité du sirop n’est pas altérée par le stockage
Faux
Au cours du stockage du sirop, la concentration en hydroxyméthylfurfural (HMF) peut augmenter du fait de la dégradation de certains sucres. Au-dessus d’une concentration de 40 mg/kg en HMF, le goût, la couleur et les bienfaits du produit sont modifiés.
Au niveau des abeilles, ces molécules d’HMF peuvent provoquer une ulcération intestinale, entraînant une dysenterie et un affaiblissement. Un taux supérieur à 40 mg/kg peut entraîner la mort des abeilles, et ce, d’autant plus que la quantité d’HMF augmente. Aussi, il est conseillé d’avoir une concentration en HMF la plus basse possible dans les sirops ou le miel donné comme aliment aux abeilles.
Lors de la fabrication et de la conservation des sirops « faits maison », là encore, il faut veiller aux quantités d'HMF. Pour limiter leur synthèse, voici une liste des choses à ne pas faire : utiliser du fructose (qui serait 40 fois plus réactif que le glucose dans la formation des HMF) ou du sucre roux, acidifier le pH du sirop et chauffer le sirop à plus de 25°C au cours de sa confection.
Par la suite, s’il est conservé dans un contenant hermétique, il peut être stocké 6 à 12 mois entre 10 et 15 °C sans risque de modifications importantes de ses paramètres physico-chimiques.
4. Les sirops invertis sont néfastes pour la santé des abeilles
Vrai et faux
Invertir un sirop est une opération qui permet de transformer du saccharose en glucose et fructose, sucres simples plus faciles à digérer. L’abeille réalise naturellement cette inversion, grâce à une enzyme appelée invertase. Dans les sirops, cette inversion du saccharose peut être accélérée par deux processus : chimiquement, en acidifiant le sirop, ou par ajout d’invertase.
D’après la littérature scientifique, les sirops invertis par l’acidité peuvent être néfastes pour la santé des abeilles en endommageant les cellules de l’intestin des abeilles, voire en augmentant le taux de mortalité des abeilles. Les sirops invertis par voie enzymatique n’ont pas montré d’effet néfaste pour les abeilles, mais cette opération a un coût important. Enfin, l’intérêt d’invertir le sirop de saccharose n’est pas clairement démontré, dans les publications scientifiques, aucun effet positif comme négatif n’a été prouvé.
5. Le nourrissement représente une charge financière importante pour les exploitations
Vrai, mais avec une variabilité importante entre les exploitations
Les charges liées au nourrissement représentent en moyenne 10,4 % du total des charges des exploitations (hors amortissements et frais financiers). Cette moyenne cache de fortes variabilités entre exploitations, qui dépendent notamment de la région et des pratiques de nourrissement. La quantité de nourrissement distribuée est liée à la stratégie de l’exploitation (productions, élevage, transhumances…) et aux conditions climatiques de l’année.
En moyenne, 9,4 kilos équivalent sucre* sont apportés par colonie hivernée par an avec un minimum de 0,2 kilo et un maximum de 20,8 kilos. Ces variations modifient directement les charges : par exemple, 4 kilos de sucre en plus par colonie hivernée représentent une augmentation de charges d’environ 2 750 € TTC pour un cheptel de 400 colonies gérées en conventionnel (estimation basée sur le prix moyen au kilo du sucre cristal, soit 1,70 € TTC/kg fin novembre 2023).