Concurrence entre pollinisateurs : pourquoi la filière apicole doit se saisir du sujet
Comment sommes-nous passés de « l’abeille intervient comme sentinelle et donne l’alerte pour les atteintes à l’environnement et la biodiversité » au « besoin d’harmoniser la cohabitation entre pollinisateurs domestiques et sauvages » en seulement huit années, période espaçant les deux programmes de l’État dont sont issues ces phrases ?
Comment sommes-nous passés de « l’abeille intervient comme sentinelle et donne l’alerte pour les atteintes à l’environnement et la biodiversité » au « besoin d’harmoniser la cohabitation entre pollinisateurs domestiques et sauvages » en seulement huit années, période espaçant les deux programmes de l’État dont sont issues ces phrases ?
La réponse provient probablement de l’évolution du front de connaissances : le nombre de publications sur les interactions entre abeilles domestiques et abeilles sauvages a augmenté de 47 % entre 2017 et 2021, et 68 % des 79 études sur la compétition pour les ressources, concluent à l’impact de l’abeille domestique.
1. L’actualité incite à l’action
Chacune et chacun peut observer le bouleversement des ressources florales : périodes de disette plus prononcées, plus fréquentes, miellées rarifiées ou plus courtes. Cette situation est aggravée par une densification de ruches dans certaines zones, générant des tensions.
Parallèlement, les initiatives locales visant à limiter, voire interdire, l’accès aux ruches se développent, en premier lieu dans les aires protégées (parcs, réserves, conservatoires), voire dans certaines villes (cf. tableau). La filière subit souvent ces mesures rarement co-construites avec elle. L’évincement de l’apiculture de ces aires induirait un risque de concentration dans les grandes zones agricoles, associée à la menace d’une intensification des pratiques (renouvellement, nourrissement) pour maintenir le cheptel, une raréfaction de certains miels typiques et des risques sur la santé de l’abeille, la qualité des miels et la conservation d’écotypes.
2. Inclure l’apiculture plutôt que l’exclure
Contrairement aux objectifs de certains scientifiques s’arrêtant à prouver la compétition, Inrae se distingue en recommandant de respecter une distance entre les ruchers lors de la miellée de romarin (par exemple, 2,5 km entre ruchers induit une surface « hors emprise apicole » de 53 % du territoire). L’UMT Prade poursuit le travail dans les Cévennes (thèse de Léo Mouillard-Lample) et en le complétant par l’analyse de la faisabilité de nouvelles pratiques. Plutôt que de réguler arbitrairement l’apiculture par un principe de précaution – face à l’incapacité à vérifier la compétition dans chaque aire à protéger - il est ainsi proposé de concevoir avec les apiculteurs de nouvelles organisations pour un usage raisonné des ressources florales.
3. L’apiculture doit être proactive
La filière apicole a démontré dans le passé son statut de cheffe de file de la protection des insectes pollinisateurs, grâce à ses alertes sur la toxicité des pesticides, bénéficiant aux espèces sauvages. Elle se doit de garder ce statut en définissant ses bonnes pratiques et poursuivre sa volonté de protéger tous les pollinisateurs. Pour cela, elle doit :
reconnaître l’existence d’une concurrence entre abeilles dans certaines situations, la nier reviendrait à s’engager dans une impasse, où la filière deviendrait incapable de reconnaître les réalités écologiques ;
Collaborer avec les producteurs des ressources florales pour augmenter la flore d’intérêt dans les parcelles agricoles, forestières et en milieu périurbain ;
Rappeler son rôle dans la surveillance des impacts sur les abeilles et dans le maintien du service de pollinisation.
Côté web
Article « Partage des ressources alimentaires » sur itsap.asso.fr
Conférence MidiSciences 2022, « Au-delà de la compétition, concilier apiculture et conservation des abeilles sauvages », par Léo Mouillard-Lample