Les anaplasmoses chez les bovins : être attentif et investiguer
Les tiques et les insectes hématophages sont les vecteurs de nombreuses maladies, les plus connues étant la piroplasmose, la maladie de Lyme ou la fièvre Q. On observe depuis quelques années en Creuse l’émergence de nouvelles maladies vectorielles. Nouvelles maladies ? Meilleur diagnostic ? La réalité est certainement un mélange des deux.
Ces nouvelles maladies vectorielles sont provoquées par une famille de bactéries, les rickettsies. Les deux plus importantes sont Anaplasma marginale, agent de l’anaplasmose bovine et Anaplasma phagocytophilum, agent de l’ehrlichiose granulocytaire bovine.
L’anaplasmose, la « piro blanche »…
C’est une pathologie endémique de certaines régions d’Europe, notamment dans le sud. La Sicile est un foyer connu de longue date. Avec le réchauffement climatique, le problème se déplace progressivement vers le nord, touchant l’Italie, la Suisse, l’Autriche. En France, des cas sporadiques sont décrits depuis les années 80 sur les bovins, les moutons, les chèvres et certains ruminants sauvages. Ce n’est pas une zoonose (maladie transmissible à l’homme). L’anaplasmose est transmise par plusieurs espèces de tiques : Dermacentor, Ixodes, Rhipicéphale… Une fois la maladie transmise par morsure, les symptômes apparaissent après 15 à 30 jours, en fonction de la charge infectieuse initiale.
… induisant une anémie avec un diagnostic analytique pour confirmer
Sur les laitières, une baisse de la production soudaine pendant l’été est un signe d’alerte. La clinique est dominée par une anémie, d’où son surnom de « piro blanche », une baisse de l’appétit et des douleurs articulaires. La bactérie attaque les globules rouges provoquant leur lyse. L’urine peut être brune, mais sans hémoglobinurie, à la différence de la piroplasmose. La maladie est d’autant plus grave que les animaux sont âgés. On observe alors des atteintes rénales, voire des troubles neurologiques conduisant à la mort. La maladie peut passer inaperçue, les vaches s’immunisant après quelques jours, mais le passage trans-placentaire de la bactérie peut déclencher un avortement. Le diagnostic repose sur les commémoratifs (bovin au pâturage en période d’activité des tiques), la clinique (anémie, hyperthermie, pas d’hémoglobinurie) et peut être complété par une analyse de laboratoire. L’examen direct de la bactérie dans les globules rouges est aléatoire. La sérologie ne sera intéressante qu’a posteriori, la séroconversion ne survenant que trois à quatre semaines après l’épisode clinique. La PCR est donc désormais l’examen à privilégier.
L’ehrlichiose granulocytaire bovine, la « fièvre estivale »…
C’est une zoonose. La diffusion géographique de la pathologie a été étudiée au début des années 2 000. On a pu mettre en évidence une distribution quasi nationale, ainsi qu’une liste d’espèces sensibles très importante : ruminants domestiques, chiens, renards, chevaux, petits rongeurs, faune sauvage. En 2011 en Creuse, 100 % des chevreuils d’un échantillonnage sérologique se sont avérés positifs. La bactérie est transmise lors de la morsure par une tique du genre Ixodes ricinus. L’inoculation de la bactérie se fait plus de 24 heures après la morsure et la durée d’incubation est de l’ordre de 48 à 72 heures. La maladie évolue alors en cinq à dix jours.
… avec des troubles respiratoires, de gros paturons…
À la différence de l’anaplasmose, l’agent de l’ehrlichiose s’attaque aux globules blancs. La maladie se manifeste le plus souvent initialement par une forte baisse de la production laitière, voire une agalaxie complète, d’où son identification plus facile en élevage laitier qu’en élevage allaitant. La clinique est dominée par de la fièvre généralement supérieure à 40 °C et des troubles respiratoires, ce qui lui vaut son appellation de « fièvre estivale ». Compte-tenu de la saison, les symptômes peuvent évoquer un épisode de strongylose respiratoire, les deux pouvant être simultanés. Il peut aussi être observé de gros paturons entraînant une démarche ébrieuse, mais ce signe caractéristique de la maladie ne se manifeste que sur 10 % des animaux. Des avortements peuvent intervenir. L’ehrlichiose peut évoluer de façon plus insidieuse, moins visible ou de manière asymptomatique dans les élevages avec une immunité bien installée et entretenue par des contacts réguliers. La maladie peut, par contre, apparaître sur de nouveaux animaux non-immunisés introduits ou à la suite d’un stress physiologique chez les animaux du troupeau (vêlage, maladie intercurrente, parasitisme, alimentation insuffisante ou déséquilibrée…).
… d’où une maladie à suspecter lors de contexte épidémiologique particulier
La suspicion repose sur un contexte épidémiologique particulier : saison, changement de pâturage, introduction d’animaux ou regroupement de troupeaux sur une parcelle infestée sur laquelle le troupeau « autochtone » ne présente pas de signes d’ehrlichiose. Les signes d’appel sont la fièvre, la chute de production laitière, les signes respiratoires et, parfois, les avortements. Le recours au laboratoire s’avère donc indispensable pour établir un diagnostic de certitude. Dans la phase initiale de la maladie (les trois premiers jours), la détection de la bactérie peut se réaliser par PCR sur le sang ou sur les organes d’animal mort ou d’avorton. Dans la 2e phase de la maladie (soit après une semaine d’évolution minimum), chez des animaux convalescents ou chez les vaches d’un lot ayant avorté, la sérologie permet de mettre en évidence le « passage » de la bactérie et est donc à interpréter avec précaution en intégrant le contexte clinique et épidémiologique. En effet, de nombreux bovins sont sérologiquement positifs et on ne peut pas raccorder systématiquement l’avortement à cette maladie.
Deux maladies, une même gestion
Du fait de la sensibilité d’anaplasma aux antibiotiques de base comme l’oxytétracycline, ou à l’imidocarbe (Carbesia ND) de nombreux animaux sont traités sans que l’on ait identifié précisément l’agent pathogène. Dans tous les cas, une intervention rapide permet une guérison sans dommage majeur. Le traitement de référence reste l’administration d’oxytétracycline pendant 5 jours (prescription par votre vétérinaire). Pour la prévention, aucun vaccin n’est disponible en Europe. Le maintien d’un niveau de pression infectieuse maîtrisable par les défenses immunitaires demande une limitation des contacts hôte-vecteurs grâce à des mesures agroenvironnementales : débroussaillage raisonné, recul des clôtures électriques avec nettoyage des zones entre la clôture et la haie ou le bois… Il est cependant illusoire, et même peu souhaitable, d’éviter toute contamination. En effet, les jeunes sont beaucoup plus résistants à la maladie et s’ils se contaminent, ils s’immunisent durablement. En revanche, en cas d’apparition de la maladie, la prévention en urgence passera par le traitement de tout le lot avec un produit efficace sur les tiques. Ensuite, ne seront traités que les animaux à risque, notamment les nouveaux introduits.
En conclusion, être attentif et investiguer
Les rickettsioses peuvent avoir un impact conséquent dans un élevage. Leur mise en évidence demande une surveillance étroite de vos animaux en raison de la discrétion des premiers symptômes en élevage allaitant (chute de production laitière). Une prévention efficace passe par une connaissance précise de l’épidémiologie locale de ces maladies. La lutte contre les tiques peut être à l’origine d’une rupture d’équilibre du système, elle peut être nécessaire en urgence mais ne doit pas être systématique et demande une prudence importante lors de son utilisation. L’ehrlichiose et l’anaplasmose sont des « maladies des biotopes ». Toute modification des milieux conduit à l’émergence et la résurgence de telles pathologies. Pour plus d’informations, sur gdscreuse.fr, consultez le paragraphe « Tiques » du chapitre « Parasitisme » de l’onglet « Boîte à Outils – Bovins ». Votre vétérinaire et nous-mêmes sommes à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.