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Changement climatique
« L’agriculture n’est pas un problème, elle est source de solutions »

Fils d’agriculteur et professeur de stratégie et de gouvernance à l’Université de Clermont-Auvergne, Bertrand Valiorgue a théorisé le principe de l’agriculture régénératrice, dans son ouvrage « Refonder l’agriculture à l’heure de l’anthropocène ».

Bertrand Valiorgue : « On ne peut pas espérer une refondation de l’agriculture sans repenser la logique de fonctionnement des filières agroalimentaires ».
© BV

C’est une voie singulière que celle de Bertrand Valiorgue. A l’heure où beaucoup font de l’agriculture la source de tous les maux, lui, estime qu’elle recèle une mine d’or : la capacité de se réinventer. Fort de ses multiples travaux sur le secteur agricole et nourri de ces échanges multidisciplinaires, il trace un nouvel horizon : « Refonder l’agriculture à l’heure de l’anthropocène ».

Que recouvre la notion un peu barbare d’« anthropocène » ?

Bertrand Valiorgue : La question de la production de nourriture et de son accès peut paraitre saugrenue pour de nombreux Occidentaux qui ont accès à une nourriture abondante, variée à des prix modérés. Mais un bouleversement d’une ampleur considérable est train de rebattre les cartes en rendant cette pratique beaucoup moins aisée. Nous avons basculé dans une nouvelle ère géologique baptisée l’Anthropocène, qui déstabilise grandement l’activité agricole. L’histoire de notre planète bleue n’est pas linéaire. Depuis la naissance de la Terre, des périodes géologiques se sont succédées avec des épisodes plus chauds et plus froids. En 2000, Paul Crutzen, prix Nobel de chimie a théorisé la fin de l’Holocène, débuté il y a plus de 10 000 ans, qui a laissé la place, selon lui, à l’Anthropocène, autrement dit l’âge géologique de l’homme. Si depuis cette publication, il n’y a pas eu de reconnaissance officielle du principe de changement d’ère, le comité international de géologie se penche très sérieusement sur le sujet.

On ne traverserait donc pas seulement une crise climatique et environnementale…

B.V. : Pour la première fois de son histoire, les activités humaines ont un impact négatif sur les différentes composantes du système Terre. Cet impact est massif et pluridimensionnel. Nous ne traversons pas une simple crise environnementale, nous vivons une transformation géologique qui va bouleverser notre façon d’être au monde. L’agriculture et nos systèmes alimentaires, tels qu’ils sont pensés et construits depuis le milieu du XXème siècle, participent pleinement à cette bascule dans l’ère de l’Anthropocène, tout en étant les premières victimes (moins d’eau, plus de lumières, plus de CO², plus d’évènements extrêmes qui rendent les résultats beaucoup plus chaotiques…). Il y a d’ailleurs tout un courant philosophique qui estime que l’agriculture est la pire erreur de l’humanité, et qui propose d’en sortir à partir des biotechnologies portées par des fonds d’investissements, des start-ups. Ces dernières années, des ONG, des membres de la société civile ont orchestré la critique sociale de l’agriculture, qui tend de plus en plus à se radicaliser. De mon point de vue, ce n’est pas le chemin à suivre, au risque de déstabiliser encore davantage le système.

En quoi l’agriculture peut-elle être source de solutions ?

B.V. : Une chose est sûre, le statu quo n’est pas possible. L’agriculture doit continuer à nourrir les hommes et en même temps réparer la planète. Les comportements des animaux et des végétaux sont en train d’évoluer. Les pratiques agricoles méritent d’être repensées pour être plus en phase avec les aléas climatiques et biologiques. Une nouvelle ère d’incertitude s’ouvre à nous. Dans trente ans pourra-t-on toujours faire du blé panifiable en Limagne de manière rentable ? Cette question ridicule il y a trente ans, est pertinente aujourd’hui.

 

Quelles trajectoires empruntées pour maintenir cet équilibre entre production et réparation ?

B.V. : La trajectoire est celle d’une agriculture régénératrice, qui fournit des denrées alimentaires tout en préservant et en augmentant l’intégrité des biens communs que sont l’air, l’eau, les sols et la biodiversité. On ne peut pas s’adapter sans atténuer ni l’inverse. C’est pourquoi, je propose notamment de redéfinir l’activité agricole dans le droit au titre d’une activité essentielle qui entretient des liens forts avec les biens communs naturels et culturels. L’agriculture n’est pas un acte productif comme un autre. Parce qu’elle engage le plus fondamental des besoins humains et les conditions de vie sur Terre, l’agriculture nécessite une approche et une résolution en commun. En effet, on ne peut pas demander aux agriculteurs de refonder leurs pratiques si les consommateurs refusent de mieux rémunérer certains produits alimentaires.

Y-a-t-il selon vous des signaux qui démontrent que le monde agricole est prêt à basculer dans cette nouvelle ère ?

B.V. : Je ne suis pas agronome, et je n’ai nullement l’intention de créer une nouvelle discipline. Beaucoup d’acteurs se sont déjà emparés de ces sujets. L’agroécologie est une piste à suivre. Des solutions pratiques sont déjà expérimentées par des agriculteurs, d’autres sont théorisées par des ingénieurs de l’Inrae, ou d’autres instituts techniques. Mais le virage ne pourra être pris sans transformations institutionnelles profondes qui placent cet objectif de production et de préservation au premier plan. En effet, ni la nature humaine, ni la technologie ne sont les responsables de cette bascule vers l’Anthropocène. Ce sont les schémas institutionnels et les faisceaux d’incitation que nous avons construits qui empêchent des projections à long terme et autorisent des choix technologiques hasardeux.

 

Pour aller plus loin

L’ouvrage « Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène » est publié aux éditions Le Bord de l’Eau. Prix 18 euros.

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