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La loi Egalim, un an après

Un an après sa publication le 1er novembre, la loi Agriculture et Alimentation (ou Egalim) n'est qu'en partie appliquée et l'ensemble de ses effets tarde encore à se faire sentir

Au cours d'une longue intervention de plus d'une heure, le 11 octobre 2017 au marché de Rungis, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé la promulgation d'une loi issue des États généraux de l’alimentation… Des annonces quisemblaient séduisantes pour l’agricuture
Au cours d'une longue intervention de plus d'une heure, le 11 octobre 2017 au marché de Rungis, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé la promulgation d'une loi issue des États généraux de l’alimentation… Des annonces quisemblaient séduisantes pour l’agricuture
© Agra

Le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume lui-même a bien du mal à assumer le bilan pour le revenu des agriculteurs de la loi Egalim, un texte porté par son prédécesseur Stéphane Travers, et qui fut promulgué deux semaines après sa nomination. «Le compte n'y est pas, déclare le ministre de l'Agriculture à l'envi. Il n'est plus possible que les agriculteurs soient rémunérés à un prix inférieur à ce que cela leur revient».
La première cause est connue : le calendrier. L'intégration des coûts de production n'a pas pu se faire lors des négociations commerciales pour 2019, faute de temps suffisant pour les élaborer ou les diffuser. Un an après, les interprofessions ont eu le temps nécessaire pour les diffuser auprès des acteurs de leurs filières, et il est attendu que leur effet se fasse sentir dans le round qui débute.
«Peut-être que les coûts de production dans certaines filières sont arrivés un peu tardivement», constatait le ministre, en sortie du Conseil des ministres le 21 octobre. «Mais désormais ils sont là. Donc maintenant, tout le monde sait à quoi s'en tenir». Avec les indicateurs, c'est l'ensemble du premier volet de la loi Egalim qui peut désormais s'appliquer avec en vue, l'objectif annoncé d'une «construction en marche avant des prix agricoles».
La nécessité d'un contrat
Rappelons-en la mécanique : les contrats devront être à l'initiative des producteurs ; ces contrats devront prendre en compte leurs coûts de production. L'aval de la filière devra ensuite les intégrer en cascade, jusqu'à la distribution. L'idée serait que ce ne soit plus seulement la grande distribution qui donne le "la" de la répartition de la valeur, mais aussi le coût de production des agriculteurs.
Une telle mécanique demande deux préalables : un contrat et un indicateur de coût de production. La filière lait de vache est la seule dans laquelle la contractualisation est obligatoire.
Une situation exceptionnelle, rendue possible par les dérogations européennes du Paquet lait (2012). Dans les autres filières, la contractualisation est donc volontaire, entraînant des situations extrêmement disparates entre les secteurs.
Parmi les bons élèves de la contractualisation, on compte notamment la filière des fruits et légumes destinés à la transforma- tion et son taux de 100 % de production vendue sous contrat. En oeufs, ce taux avoisine les 70 %. Parmi les derniers de la classe : les filières bovine (à peine 2 %), porcine ou ovine, mais aussi les fruits et légumes frais.
Même la filière bovine
On le voit, les indicateurs auront des effets différents selon les filières. Mais toutes les interprofessions interrogées sont parvenues -bon gré mal gré- à établir des indicateurs, même si certaines attendent encore un feu vert de Bruxelles pour les diffuser.
Même Interbev y est arrivée. La filière bovine a dû faire appel au médiateur des relations commerciales et les discussions ont abouti à l'élaboration d'une méthode de calcul d'indicateurs de prix de revient, développée par l'Institut de l'élevage, qui tient compte de la rémunération des producteurs à hauteur de deux Smic. Pour autant, aucune valeur n'est pour le moment officiellement diffusée par l'interprofes- sion.
Les instituts techniques ont été largement mis à contribution.
Comme en bovin, les filières ovines et laitières se sont appuyées sur l'Idele, pour établir des indicateurs basés sur la notion de prix de revient. Les filières volaille de chair, oeuf et cunicole ont fait appel à l'Itavi pour diffuser des indicateurs de coûts de production reflétant principalement le coût de l'alimentation.
Degrés de complexité
Le lait et l'ovin sont allés jusqu'à livrer des indicateurs par typologie d'exploitation. Et le Cniel (interprofession laitière) a poussé l'exercice jusqu'à créer un «observatoire maison» pour rendre l'indicateur plus réactif. Pour éviter tout contentieux, l'interprofession laitière a préféré s'assurer de sa compatibilité avec le droit de la concurrence et attend un accord de Bruxelles pour les diffuser publiquement. La filière vin connaît la même insécurité juridique.
D'autres filières, notamment végétales, ont plutôt choisi de faire simple pour se conformer aux demandes de la loi Egalim. La filière fruits et légumes transformés a décidé de se baser sur des indicateurs annuels uniquement. Ils proviennent de l'Insee, des douanes ou de données internes à la filière. Les filières fruits et légumes frais et céréales se contenteront des indices des prix d'achat des moyens de production agricole (Ipampa), déjà bien connus des acteurs.
Les céréaliers ont, un temps, envisagé d'utiliser l'indicateur calculé par l'institut technique Arvalis sur la base de comptabilités analytiques d'exploitations. Mais le risque vis-à-vis du droit de la concurrence européen a découragé les acteurs.
Formalisation des contrats
Comme l'affirme Didier Guillaume, toutes les filières se sont donc dotées d'indicateurs de coûts de production. Mais ils seront très diversement valorisés auprès des transformateurs. Pour les filières les plus avancées, ils sont déjà intégrés dans des contrats-types, avec des effets variables. Pour les moins contractualisées, ils figurent au mieux dans des «guides de bonne pratique».
Dans la filière des fruits et légumes transformés, l'interprofession des légumes en conserve et surgelés (Unilet) a modifié son guide des bonnes pratiques contractuelles pour «faire référence aux indicateurs». Le guide prévoit que «les indicateurs les plus pertinents doivent être repris dans le contrat», explique Delphine Pierron, représentante des producteurs au sein de l'interprofession. Dans cette filière où la quasi-totalité de la production est contractualisée, «ce qui va changer c'est qu'ils sont sur la table de manière formelle et qu'aujourd'hui tout le monde sera un peu obligé d'y faire référence», estime-t-elle. À ce titre les organisations de producteurs auraient «une occasion de s'affirmer un peu plus» dans les négociations commerciales à venir.
Le constat est assez similaire en volailles de chair où la contractualisation est déjà très forte. «La quasi-totalité des producteurs ont un contrat». Pour ce qui est de la contractualisation, «rien n'a changé avec la loi Egalim», assure Anne Richard, directrice de l'interprofession des volailles de chair Anvol). En lait de vache, la mise en conformité des contrats laitiers pour qu'ils intègrent les coûts de production «prend plus de temps que prévu» de l'aveu du médiateur des relations commerciales. Toutes les discussions entre OP et laiteries ne sont pas finalisées à ce jour.
Pas de contrat, pas d'inversion
Bien que très peu contractualisées, les filières viande se sont dotées de guides de bonnes pratiques. Interbev a publié en avril 2019 un guide de la contractualisation en filière bovine. Ce document «non contraignant» vise à aider les professionnels à rédiger des contrats. Il précise les mentions obligatoires et propose plusieurs modalités de fixation de prix. En viande ovine, Interbev, met à disposition un «guide de contractualisation volontaire» et un «exemple modifiable de trame pour un engagement contractuel entre l'éleveur et son acheteur».
En fruits et légumes frais où la contractualisation écrite n'est pas obligatoire, «il n'y a pas à ce jour d'application réelle de la loi Egalim. Dans les faits, on reste avec la pratique antérieure», estime Daniel Sauvaitre, secrétaire général d'Interfel, l'Interprofession des fruits et légumes frais. «Au-delà de faire un peu de prosélytisme auprès des opérateurs pour qu'ils s'en servent, la réponse que l'on a, c'est que la réalité vécue au quotidien est très au-delà de tout cela», avance-t-il.
Dans le marché mondialisé des céréales, «on ne s'est jamais fait d'illusion : ce n'est pas Egalim qui apportera un meilleur revenu au producteur», déplore Cécile Adda, responsable durabilité chez Intercéréales.
Les négociations s'ouvrent
Pour les analystes, le bilan sera difficile à tirer, même à l'issue des négociations commerciales. «Il est un peu tôt pour tirer un bilan de la loi Egalim, estime le médiateur des relations commerciales, Francis Amand. Mais tous les outils se mettent en place petit à petit. Nous verrons si les parties prenantes se sont saisies de l'état d'esprit de la loi, à défaut d'en mobiliser tous les outils».
Pour Nicolas Genty, avocat associé au cabinet Loi et stratégies, «c'est la fin d'un cycle», une prise de conscience s'opère dans le secteur. «Mais intégrer cela dans une négociation qui est déjà compliquée, cela rend les choses encore plus complexes», estime ce spécialiste des relations commerciales.
«L'objectif de la loi Egalim était que les prix soient fondés sur des données économiques objectives. Je pense que cela commence, se félicite Francis Amand. Les négociations se fondent plus souvent sur des considérations économiques que sur la force ou l'opportunisme».

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