La guerre des Prix autour du beurre fait toujours rage
Même si le ministère de l'Agriculture dit que les choses sont en train de s'arranger, on assiste depuis quelques semaines à un mélodrame commercial à la française…
Des rayons vides dans les supermarchés... Dans notre société de consommation et d'abondance, un tel spectacle interpelle. Ces rayons vides de beurre, ou moitié vides, ont provoqué une flambée médiatique qui, sans aucun doute, a attisé les achats des consommateurs. «La crainte de la pénurie crée la pénurie», a résumé Stéphane Travert, Ministre de l’agriculture, dans une intervention sur RTL le 31 octobre.
Les raisons de cette situation sont multifactorielles. On peut vite écarter l'argument de la baisse de la collecte laitière. Celle-ci reste modérée à -1,2% pour la France depuis le début de 2017 selon FranceAgriMer, et dans les mêmes proportions pour d'autres pays de l'UE comme l'Allemagne (-1,1%) ou les Pays-Bas
(-1%). Au niveau mondial, on assiste plutôt à une légère hausse aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande et une stabilité en Australie.
Certains mettent en avant une moindre incitation de la part des producteurs à produire de la matière grasse dans le lait. «Il faut aujourd'hui 23 litres de lait pour produire un kilo de beurre, alors qu'il en fallait 20, il y a trois ans», souligne Matthieu Labbé, délégué général de la fédération des entreprises de boulangeries (FEB) ; les boulangers ont été les premiers à alerter sur la crise à venir, dès le printemps, car ils s'approvisionnent en beurre sur le marché libre et n'ont pas réussi à répercuter la hausse de leur prix de revient auprès de la grande distribution.
Contractualisation inadaptée à la volatilité des prix
Cette crise du beurre a pris ses racines sur des «fondamentaux» du marché tout ce qu'il y a de plus classique. Le prix européen du beurre vrac connaît un pic actuel à 7 000 euros la tonne, contre 4 000 € il y a un an et 2 500 € en 2015. En effet, alors que la production mondiale de beurre devrait augmenter en 2017 de 7 000 tonnes, la consommation, elle, «est attendue en hausse de 50 000 tonnes», d'où un «déséquilibre entre l'offre et la demande mondiale en matière grasse», explique Pierre Begoc, directeur des affaires internationales chez Agritel, dans un communiqué le 26 octobre.
Dans le même temps, au niveau mondial, il est vrai que la production de beurre est en légère baisse (-4%), notamment en Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, la hausse de la consommation américaine de beurre fait que les États-Unis sont moins présents sur le marché mondial. Mais ce n'est pas cela qui explique la pénurie de beurre dans les supermarchés français. «La raréfaction de beurre dans les linéaires des GMS est aussi la conséquence de modes de contractualisation qui ne sont pas adaptés à la volatilité touchant les matières premières», explique Agritel. Les industriels sont incités à «aller chercher une meilleure valorisation à l'export plutôt que via des engagements à prix fixes avec la grande distribution française qui ne permettent pas d'ajustement de prix en fonction des cours mondiaux».
Fin de non-recevoir de la grande distribution
Depuis la loi de modernisation de l'Économie (LME) adoptée en août 2008, les fournisseurs doivent envoyer leurs conditions générales de vente (CGV) aux centrales d'achat des distributeurs avant le 30 novembre de chaque année. L'ensemble des déterminants du prix final facturé aux centrales d'achat doit être discuté avant une période limite fixée au 1er mars. «En cas de forte variation du prix en cours d'année, il est prévu des clauses de revoyure du contrat. Il y a obligation de renégociation, mais les parties ne tombent pas forcément d'accord», explique Hugues Beyler, directeur agriculture de la fédération du commerce et de la distribution (FCD).
Courant 2016, le prix du beurre avait déjà commencé à augmenter… En 2017, la flambée des prix s'est amplifiée chaque mois. Et les industriels ont reçu une fin de non-recevoir quant à une éventuelle renégociation des prix. Un petit nombre d'enseignes ont accepté de passer une hausse dans le courant de l'été, mais autour de 10 % seulement.
Les contrats sur le beurre MDD dénoncés
Les fabricants de beurre s'approvisionnent en crème auprès des fabricants de yaourts qui utilisent du lait ½ écrémé (dont 60 % de la crème est extraite). «Au printemps, cette crème s'est retrouvée à un prix de marché de 7 €/kg d'équivalent beurre alors que la grande distribution n'acceptait pas d'acheter le beurre au-delà de 4,50 €/kg au printemps puis 5 €/kg en été», explique Gérard Calbrix, directeur des affaires économiques de l'association de la transformation laitière française (Atla).
Les fabricants de beurre ont alors assuré leurs contrats sur les marques nationales. En revanche, à partir du printemps, ils ont dénoncé leurs contrats sur les marques de distributeurs (MDD), «or, en France, quand on dénonce un contrat, on a une obligation de continuer à livrer pendant trois mois, ce qui nous a conduit jusqu'à l'été», poursuit-il. C'est pourquoi la crise n'est intervenue qu'à l'automne. Et les laiteries se sont tournées vers le marché spot et vers l'export, marché nettement plus rémunérateur. Ainsi, selon les dernières données des Douanes disponibles, en août 2017, les exportations françaises de crème conditionnée ont augmenté de 19 %, celles de beurre de 5 % et celles de poudre grasse de 6 % par rapport à août 2016.
«Nous avons renégocié cet été, mais nous n'avons pas voulu concéder une hausse importante considérant que ce n'est pas à la grande distribution, donc aux consommateurs, de donner une prime à la spéculation, explique un responsable d'une enseigne. C'est trop facile : quand les prix mondiaux des produits montent, on nous demande de nous aligner à la hausse, et quand ils baissent, on nous demande de faire tampon pour soutenir les producteurs, ce n'est pas logique».
«Les producteurs encore les dindons de la farce»
Cette crise du beurre fait dire à André Bonnard, secrétaire général de la FNPL, que «rien ne change, rien ne bouge, nous sommes toujours dans la guerre des prix». Selon lui, la LME oblige les fournisseurs à fournir le marché alors que les distributeurs ont le droit de ne pas réévaluer les prix. Les industriels leur font payer sur les marques distributeurs parce qu'aujourd'hui ils sont dans un rapport de force favorable sur la matière grasse. «Ils se comportent de la même façon que la grande distribution, analyse-t-il. Et quand le rapport de force va changer, ces derniers vont leur faire payer à leur tour. Et au final, les dindons de la farce sont toujours les producteurs, alors qu'ils sont totalement hors du jeu». Fin octobre, les éleveurs laitiers ont distribué aux clients des supermarchés des tracts où l'on pouvait lire : «Si ce rayon est vide, c'est que ce magasin ne veut pas payer le beurre à son juste prix !».
Pour sortir de ce conflit commercial entre la distribution et les industries laitières, Stéphane Travert a proposé, dans son intervention sur RTL, que «l'esprit des États généraux de l'alimentation souffle sur ces négociations», ce bras de fer étant selon lui «un test grandeur nature» pour les États généraux. Il a demandé aux distributeurs de «passer des hausses de prix auprès des transformateurs».
Le 31 octobre au soir, le ministère de l'Agriculture assurait que les choses étaient en train de se débloquer, qu'outre Système U et Auchan, Carrefour avait aussi accepté des hausses sur les marques nationales et la MDD, et même que Leclerc «avait fait savoir qu'il allait faire un effort».
«Que chacun prenne ses responsabilités»
André Bonnard regrette que le ministre de l'Agriculture ait «sous la main un cas d'école» montrant les dysfonctionnements commerciaux et «qu'il n'en fasse rien». Et au ministère, on assure avoir volontairement évité de «reprendre le même schéma : crise, réunion, règlement temporaire du problème et re-crise trois mois plus tard», l'idée étant «que chacun prenne ses responsabilités». «Nous sommes favorables à la prise en compte du coût de production. Ceci doit s'accompagner d'une réelle transparence de la part des industriels, notamment sur le mix produit», insiste Hugues Beyler de la FCD qui demande aussi d'intégrer l'interprofession laitière. C'est dans cet esprit qu'une charte devrait voir le jour, engageant les producteurs, les transformateurs et les distributeurs à respecter «l'esprit des États généraux» dans les prochaines négociations commerciales, faute de texte législatif. La signature serait imminente.
D’après N.O. Agrapresse