La Cour des comptes veut « une réduction importante du cheptel » bovin
Dans un rapport qu’elle a remis au Gouvernement le 22 mai, la Cour des comptes recommande une réduction importante du cheptel français, et provoque un tollé général dans le monde agricole.
S’il fallait résumer l’esprit du rapport que la Cour des comptes a rendu public le 22 mai, il tiendrait en quatre mots : « Trop polluant. Trop cher ». Ce rapport de 140 pages trop sobrement intitulé « les soutiens publics aux éleveurs de bovins »¹ n’est ni plus ni moins qu’une violente charge contre l’élevage français. Vu sous le prisme comptable teinté de pseudo trajectoires écologiques, les magistrats financiers dressent un constat édifiant de la production lait et viande du territoire et appellent clairement à « piloter la réduction à venir du cheptel bovin ».
Problème de société
« À raison de 4,3 milliards d’euros (Md€) d’aides publiques par an, l’élevage bovin demeure, de loin, l’activité agricole la plus subventionnée en France. Pour autant, le modèle économique des exploitations d’élevage apparaît fragile et sa viabilité reste dépendante du niveau élevé d’aides publiques », soulignent les hauts magistrats. Les critiques fusent au fil des pages : « des exploitations moins nombreuses et toujours plus grandes » ; « maintien d’un modèle familial recourant peu à l’emploi salarié » ; « un poids élevé des consommations intermédiaires importées » ; « un niveau de soutien public très élevé » ; « des exploitations peu performantes et des revenus qui restent faibles » ; « un bilan climatique défavorable » etc. Rares sont les points positifs qui émaillent ce rapport, à part peut-être le fait que la Cour reconnaisse à l’élevage un rôle « essentiel pour la maîtrise équilibrée des cycles biogéochimiques » qu’il constitue un marqueur « dans l’économie et l’identité des territoires ». Dans une annexe (n° 15) de fond de rapport et du bout du stylo, les magistrats évoquent rapidement la question des « éleveurs en difficulté : un problème de société et un enjeu pour l’avenir de l’élevage ». Il est vrai qu’en sapant les bases de leur travail, les éleveurs devraient plus et mieux retrouver le sourire !
Souveraineté
Ce rapport majoritairement à charge contre l’élevage ne fait état que de deux recommandations (lire encadré). Surtout il ne manque pas d’interroger sur l’objectif recherché par les magistrats : détruire la filière lait et viande et les aménités positives liées à ces productions en termes de terroir, de signes de qualité, d’entretien des paysages, etc. ? Importer toujours plus de produits dont le consommateur ne connaît pas l’origine et le mode de production avec une empreinte carbone hypertrophiée ? Déjà des voix se sont élevées pour contester certains chiffres de ce rapport, notamment sur le fait que l’élevage bovin compte pour 11,8 % des émissions de gaz à effet de serre du pays. Or ce point, la Cour biaise. En effet, elle prend comme référence l’année 2022 quand les émissions de GES se sont effondrées dans d’autres secteurs. En 2019, les émissions de l’élevage bovin représentaient 9,1 % des émissions équivalent CO2 en France. Sûre de son fait, la Cour appelle à suivre les recommandations des programmes et autorités de santé qui invite à ne pas consommer plus de 500 grammes de viande par semaine. Car en aucun cas, la baisse du cheptel n’entamerait la « souveraineté » alimentaire et agricole de la France. On serait presque tentés de croire ceux que l’on surnomme inconséquemment les Sages de la rue Cambon si on n’avait pas à l’esprit ce qu’il est advenu du modèle industriel et du parc énergétique français…
« Vraie blessure »
À vrai dire, ce rapport, le énième qui vient donner des coups de boutoir à l’agriculture française depuis quelques années, fait réagir. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau a déclaré le 23 mai que les agriculteurs étaient « particulièrement agacés du procès qui est fait à l’élevage français » ressentant comme une « vraie blessure » la recommandation de la Cour des comptes de réduire le cheptel bovin. La Fédération nationale bovine (FNB) dans un communiqué du 23 mai s’inquiète du recul de la production française : « les importations de viandes bovines ont bondi de plus de 23 % en 2022 par rapport à 2021, une tendance qui se poursuit sur les premiers mois de 2023 ». Cette information est d’ailleurs corroborée par Alessandra Kirsch, directrice des études d’Agriculture Stratégies qui interpelle la Cour des comptes sur son compte Twitter : « Trop d’élevage en France, vous êtes sûrs ? La tendance est catastrophique (je pèse mes mots) : notre taux d’auto-approvisionnement est passé en 2022 à 90 %. Nous ne sommes plus autosuffisants en viande bovine »,insiste-t-elle. Le sujet s’est invité à l’Assemblée nationale où le député Xavier Breton (LR, Ain), a interpellé, le 23 mai, la Première ministre, Élisabeth Borne lors de la séance de questions au Gouvernement : « À quoi cela sert-il d’aller au salon de l’Agriculture pendant de longues heures, à la rencontre de nos éleveurs si c’est pour mieux les poignarder dans le dos ? ». C’est Rolland Lescure, ministre de l’Industrie qui a répondu au parlementaire : « Que cela ne vous en déplaise, la consommation de viande diminue et il faut moins de viande. Nous accompagnons la filière dans cette direction. Il y a aucune raison de se mettre la tête dans le sable comme le font les autruches », a-t-il affirmé. Sur un mode plus léger, certains se sont lâchés à l’image de l’ancien président de l’Office national des forêts (ONF) Jean-Yves Caullet. « Selon les vaches, la France devrait réduire les effectifs de la Cour des comptes ! », a-t-il tweeté.