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Jean Dujardin : “Le Cantal, ça a été un joli moment, de jolies rencontres”

Dans une interview accordée à L’union lors de sa venue à Aurillac pour l’avant-première du film “Sur les chemins noirs”, Jean Dujardin a évoqué la singularité de ce tournage sur la “Diagonale du vide”.

Jean Dujardin : “C’est insupportable d’avoir des films sur l’écologie qui vous disent comment manger, comment marcher, comment vivre, comment respirer...”
Jean Dujardin : “C’est insupportable d’avoir des films sur l’écologie qui vous disent comment manger, comment marcher, comment vivre, comment respirer...”
© P.O.

Est-ce que le livre de Sylvain Tesson et le tournage du film ont réveillé en vous le marcheur qui sommeillait, lui donnant envie de prendre le chemin comme Tesson ?
Jean Dujardin : “Il se trouve que dans mon adolescence, quand j’étais scout, on randonnait beaucoup, c’est un truc que j’ai gardé en moi comme un désir très proche, très accessible ; chaque année depuis quatre-cinq ans, on se retrouve avec des amis, les mêmes qu’adolescents, pour faire de la randonnée. En même temps, je garde aussi ça comme un joli fantasme, cette idée d’un chemin intérieur, de se barrer un jour tout seul, d’aller voir un peu qui vous êtes, de tirer la chasse... C’est quelque chose que j’adorerais faire.”


“Chacun au fond a ses chemins noirs”
Qu’est-ce qui vous en empêche ?
J. D. : “Le courage, le temps, la décision. Je pense que Sylvain Tesson devient l’un des auteurs les plus influents, les plus notoires, parce que simplement, on vit par procuration ce qu’il s’est autorisé à faire. Il s’est dit : “Je n’aurai pas forcément de vie de famille, mes enfants seront mes carnets, je partirai et ma vie sera mon récit.” Il est le propre aventurier de son histoire, il s’offre ça et il nous l’offre, on le vit à travers lui. C’est ça que j’ai rencontré à travers les chemins noirs, c’est ce qui est génial : cette opportunité pour moi de faire le point, de faire un film sans véritablement jouer, de passer à travers moi en étant un peu lui. C’est ce mélange des genres qui m’a interpellé. C’est vrai que je n’ai pas encore passé le cap de “je démarre demain de Tende, peut-être pas pour faire 1 300 bornes, mais je me fais une semaine,
15 jours de voyage en solitaire”. C’est vraiment un truc que je fantasme très fort...”

Vous et Denis Imbert réussissez la prouesse de traduire, de faire parler un voyage intérieur à travers des images, des paysages, votre visage avec beaucoup de silences aussi. Comment arriver à cette alchimie ?
J. D. : “Je ne me suis pas dit “je vais être un avatar de Sylvain Tesson”, ç’aurait été indécent, con, à côté. Ce que je voulais, c’est que chacun s’identifie à travers ce personnage-là. Il faut rester un peu en fond de cour, laisser les gens se faire une idée, ne pas toujours leur tenir la main. Chacun au fond a ses chemins noirs. Le chemin, la marche, c’est un bon moyen, j’ai toujours pensé que le mouvement nous améliorait, que ce soit dans un bois, sur une crête... On fait corps avec l’écosystème, on forme un tout. Le problème, c’est qu’on oppose toujours la nature, l’écologie, l’humain... C’est peut-être ce que le film dit, mais on peut y voir un peu ce qu’on veut. Mais surtout, ne pas donner de leçons, parce que c’est insupportable d’avoir des films sur l’écologie qui vous disent comment manger, comment marcher, comment vivre, comment respirer... Ta gueule ! Fais ce qui est bon pour toi !
Ce qui est super aussi, c’est que Sylvain est venu trois fois sur le tournage en apportant des phrases, des fulgurances dont il a le secret, finalement il a complété, nourri son récit avec le film.”

L’enclavement, “ça condamne une région”


Avant de les traverser, aviez-vous conscience de la situation de cette France hyper rurale, oubliée des politiques publiques ?
J. D. : “Pas à ce point-là. J’en avais quand même déjà conscience parce que ma mère est du Médoc et qu’un politique avait dit un jour, “le Médoc, c’est le couloir du vide”. Entre le Mercantour et le Cotentin, j’ai traversé certaines zones blanches qui étaient un peu oubliées, certains villages, certaines petites, moyennes villes esseulées, même si en même temps, c’est ce qui faisait leur charme. J’ai compris pourquoi ces pays avaient un peu de mal, tellement ils étaient mal desservis, comme ici. Pour rejoindre Aurillac depuis Paris, il y a seulement deux vols et encore, quand l’avion n’atterrit pas à Lyon, sinon c’est 5 h 30 en voiture, 6 heures en train, ça condamne une région.”


Fidèle de la Galoche d’Aurillac

Le Cantal, qu’est-ce que cela évoquait pour vous avant d’y tourner ?
J. D. : “Des souvenirs, c’est un peu une madeleine de Proust. Dans la rue de Lappe à Bastille, il y avait un restaurant qui s’appelle la Galoche d’Aurillac. C’était un rendez-vous de mon père avec ses fils, on allait manger tout le temps à la Galoche d’Aurillac. J’ai aussi habité devant un restaurant, chez Melac dans le XIe, qui est retourné dans le Cantal d’ailleurs ; j’ai plein de souvenirs avec lui, notamment quand il bloquait les rues pour écraser son raisin avec ou sans
l’autorisation de la mairie, il faisait un vin qui s’appelait les Trois chieuses...”


“Je mets des ligne dans l’eau et je vois ce qui arrive”

Vos souvenirs du tournage dans le département ?
J. D. : “Ça a été un joli moment, de jolies rencontres à Murat avec des gens qui nous ont accueillis, qui nous faisaient bouffer beaucoup tous les soirs...! (sourires). Lors de ce tournage, je n’ai pas eu l’impression de tourner un film, c’était juste la sensation de se sentir bien, chaque jour, aussi bien dans les villages que dans les prés, les pentes... tout en ressentant une frustration, celle de ne pas marcher comme l’a fait Sylvain Tesson des journées entières seul avec soi...”

Vos projets, des tournages prochainement ?
J. D. : “Non, j’en sors, j’ai beaucoup bossé l’année dernière, j’ai fait une série pendant six mois pour Amazon, la voix off d’un documentaire sur les baleines qui sort en février... J’ai beaucoup tourné, et il faut que m’écarte un peu, que je prenne le temps, je n’enchaîne jamais : parce que j’en suis incapable et parce que j’ai besoin de retrouver la vie, d’abord pour vivre et pour voir des choses, des gens, lire des trucs... Je mets des lignes comme ça dans l’eau et je vois ce qui arrive.”

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