Des cicatrices béantes qui laissent les agriculteurs perplexes voire démunis
Presque 2 mois après les intempéries du 13 juin en Haute-Loire, nous avons rencontré 6 agriculteurs d’Arlempdes qui se posent beaucoup de questions pour l’avenir de leurs exploitations.
La nuit dernière (nuit du 7 au 8 août) alors que le département est classé en vigilance orange aux orages, que le ciel est zébré d’éclairs et que tombent de fortes pluies, j’en connais qui n’ont pas dû bien dormir, tant le souvenir des intempéries du 13 juin est encore à vif. La veille en effet, ce lundi, Daniel Liabeuf agriculteur au lieu-dit Le Suc sur la commune d’Arlempdes avait invité quelques collègues pour refaire avec nous le point sur la catastrophe dont ils ont été victimes et qui laisse des cicatrices béantes aux conséquences que l’on ne mesure pas encore dans leur totalité. «Ça prendra des années pour revenir à la normale…» disent-ils, abassourdis par l’ampleur du chantier qui les attend.
Des dégâts énormes
Dans la cuisine de Daniel Liabeuf, Jean-Bernard Vigouroux, Philippe Boudignon, Jacques Anthus, Joël Liabeuf et Jean-Louis Gourgeon essaient de mettre des mots sur ce qu’ils ont vécu et sur ce qu’ils vivent encore aujourd’hui. Presque 2 mois après le violent orage qui s’est abbattu brutalement sur le secteur, coûtant la vie à un jeune, fils d’agriculteur au Brignon, et sinistrant au moins 18 communes dont Arlempdes, ils ont encore du mal à comprendre et surtout à analyser l’étendue des dégâts, dont ils découvrent chaque jour de nouvelles traces dans leurs champs, leurs prés et sur les chemins. «Tous les jours, on s’aperçoit de nouveaux dégâts. Et ce n’est pas fini. Le terrain continue à bouger et qu’en sera-t-il cet hiver avec le gel et le dégel ?» soulignent-ils.
Après les premiers jours où ils ont dû parer au plus pressé pour évacuer l’eau, rétablir les accès, refaire des clôtures…, puis la période chargée des foins et des moissons, nous voici début août, période d’ordinaire un peu plus calme pour les éleveurs. Mais c’est peut-être maintenant, comme le souligne Daniel Liabeuf, qu’ils prennent réellement conscience de tout ce qu’il reste à faire pour remettre en état…
Car le bilan est lourd pour l’agriculture locale, et dépasse largement ce qui reste visible. Mais écoutons ces hommes décrire le désolant spectacle auquel ils ont assisté impuissants face aux éléments déchaînés. Des trombes d’eau sont tombées en quelques heures -300 litres en 2 heures selon Météo France- et sur certains secteurs des grelons, et le tout accompagné de vents dans tous les sens. Le lendemain, chacun constate les dégâts, énormes, incroyables… Une rigole est devenue un torrent, un pré est coupé en deux par une large brèche d’un mètre de profondeur par endroits et sur 200 m de long, sur un chemin un trou de 1 000 m3, sur un autre une tranchée, plus loin un talus effondré… et dans de nombreux prés des rivières de terre et de cailloux, l’herbe «broyée», des clotûres cassées, emportées…
Il faut alors réagir car les vaches doivent manger. On les met au pré mais elle ne veulent pas de cette herbe souillée pleine de terre. Certains complémentent avec du foin, du maïs… Mais rien n’y fait, la production laitière baisse de 10 à 20 %, et même la qualité du lait est affectée avec des taux de cellules qui montent de 250 000 à 400 000 en 2 jours. «Depuis les bêtes sont stressées. On les dirait dépressives» s’étonne l’un des éleveurs. Très vite aussi certains notent des problèmes sanitaires. «J’ai une vache qui a eu une pneumonie terreuse» explique Philippe Boudignon, et à la description des symptômes, 2 autres pensent avoir eux aussi une vache souffrant de cette maladie ; maladie qui selon le vétérinaire serait dû à l’ingestion d’herbe souillée. Et de s’interroger sur d’autres éventuels problèmes sanitaires à venir sur leurs troupeaux avec les conséquences économiques que cela suppose…
Peu de rendements et problèmes de qualité
Il faut aussi faire les récoltes. Si les premières coupes en enrubannage étaient finies et stockées, les boules de foin restées au pré sont perdues ainsi que certaines déjà en grange. Le foin réalisé après est de très mauvaise qualité ; les bêtes n’en veulent pas. Et les pertes en quantité sont de 3/4 environ.
Les moissons s’avèrent plus que médiocres avec des rendements moyens sur la zone de 10 à 15 qx en orge et de 30 à 40 en blé. Quant aux lentilles, 0 à 2 qx/ha… les prévisions sont plus que pessimistes. Mais outre de mauvais rendements, Daniel Liabeuf a eu la mauvaise surprise de voir que l’orge récolté est trop humide pour se conserver en grain. Il a dû le mettre en boudin à un coût de 27 €/m linéaire. La note s’allonge.
Et après…
Bilan, les agriculteurs se posent de nombreuses questions pour l’avenir de leur exploitation : dois-je décapitaliser par manque de stock ? Comment rééquilibrer ma ration avec du mauvais fourrage et pas de céréales ? Comment vais-je conserver fourrages et céréales ? Quels risques sanitaires sur mon troupeau ? Comment s’y prendre pour restaurer les prairies endommagées ?
Alors face à tout cela, ces agriculteurs attendent des réponses, des soutiens. Ils auraient bien aimé par exemple que leur laiterie passe les voir pour les aider à comprendre leurs problématiques lait… «On a vu personne» s’indignent-ils. Au cours de la discussion, ils s’aperçoivent que les propositions d’indemnisation d’assurance divergent d’une exploitation à l’autre avec pourtant le même assureur… Exaspération. Incompréhension. Dans une conjoncture agricole déjà très difficile, avec des exploitations fragilisées, certains sont sur le point de baisser les bras. «On est sur le fil du rasoir… On ne pourra pas résister à un autre coup dur…» lancent-ils, soulignant au passage, une autre calamité qui les fait bondir : les sangliers, et même des cerfs…
Et pourtant, ils veulent réagir. L’opération solidarité fourrages lancée par la FDSEA et les JA, qui leur a permis d’avoir un peu de foin leur a redonné un peu le sourire :«On a été surpris par cet élan de solidarité envers nous. Du foin de bonne qualité nous a été donné et livré. Ça nous a fait du bien… Il faudra nous en souvenir…».