Décapitaliser, un crève-cœur !
Moins d’une semaine après sa prise de fonction, le préfet a pu mesurer au Gaec de Drom à Sainte-Eulalie l’ampleur des conséquences des dégâts de campagnols et de la sécheresse.
“C’est un crève-cœur...” : même si Mathieu et Estelle Rochette n’ont pas encore définitivement scellé leur décision, le seul fait d’envisager de se séparer d’une trentaine de vaches dont l’intégralité de leur cheptel laitier (une vingtaine de prim’holstein) s’apparente à un traumatisme pour ces jeunes éleveurs, frère et sœur, associés au sein du Gaec de Drom sur la commune de Saint-Eulalie. “Rien que de se lever tous les jours et d’entendre des vaches bramer parce qu’elles ont faim, de les nourrir au ratelier avec une ration sèche alors qu’à cette période elles devraient profiter de l’herbe, c’est un vrai stress tout comme de voir la tonne vide, de devoir calculer chaque jour pour les nourrir, les abreuver, c’est une charge de travail et morale”, ont confié ces deux passionnés d’élevage et de la race salers, lundi matin, au préfet Buchaillat. Ce dernier consacrait sa première sortie officielle sur le terrain au monde agricole cantalien particulièrement malmené.
35 000 € d’achats au bas mot
Les estimations de ces jeunes agriculteurs font état de pertes fourragères à hauteur de 70 % et quand bien même ils ont déjà acheté pour 10 000 € de fourrage (foin, enrubannage, maïs) et semé exceptionnellement 4 hectares de maïs, cela sera de très loin insuffisant pour espérer passer l’hiver. “Il nous faudra acheter encore 25 000 € de fourrage et encore, à condition de décapitaliser une quinzaine de salers et les laitières sachant qu’en année normale, on est autonome en fourrage - hormis en paille - et on garde même toujours un peu d’excédent au cas où”, explique Mathieu, qui n’a jamais connu pareille situation depuis son installation en 2011 alors en Gaec avec son père Jean-Louis. Si les éleveurs affouragent depuis des semaines au pré, ils ont aussi dû se résoudre pour la première fois à rentrer une vingtaine de mères salers et leurs veaux pour que ceux-ci aient accès à de la nourriture et assurent un minimum de croissance. “Au ratelier, c’est la concurrence, ce sont les vaches qui mangent et les veaux qui regardent...”, décrit Estelle.
Les rats même dans le maïs
Si la sécheresse et la fournaise de l’été ont asséché les sols, brûlé les prairies sur ce plateau pourtant réputé fertile, tari les sources, c’est un autre fléau qui a dévasté la ressource fourragère de l’exploitation dès le printemps : les rats taupiers. Les rongeurs ont retourné 90 % des surfaces du Gaec de Drom réduisant certaines parcelles à un champ de terre. Les exploitants ont tenté d’en sauver une partie en resemant près de 50 ha. Un coup d’épée dans l’eau et un trou dans la trésorerie de 9 000 €. “Ils ont tout mangé au fur et à mesure que ça poussait”, témoigne Mathieu Rochette.
Pire, alors qu’ils se sont terrés dans les sols secs cet été, les rongeurs ont de nouveau ravagé le peu de prairies que de potentielles pluies permettraient de faire repartir. La densité de population est telle “qu’ils s’attaquent désormais aux céréales mais aussi au maïs”, pointe Mathieu. Des campagnols plus gros et dont les cycles se rapprochent et surtout durent, constate sa sœur : “Ça fait la troisième année et je crains qu’on les ait encore l’an prochain.”
Autre impact du fléau, sanitaire : des quantités de terre ingérée par les bovins (mais aussi les éleveurs) qui se traduisent par des problèmes d’ingestion mais aussi de fertilité, relèvent les Rochette.
Descente d’estive avec deux mois d’avance
La situation du Gaec de Drom est malheureusement loin d’être un cas isolé, comme ont témoigné autour d’eux les responsables locaux et départementaux de la FDSEA et des Jeunes agriculteurs qui redoutent une décapitalisation massive dans les cheptels cantaliens. Tous ont vu redescendre ces dernières semaines les camions des estives avec plus de deux mois d’avance. “Il va manquer du fourrage partout”, soupire le délégué cantonal. Manquer de fourrage... et de la trésorerie dans le contexte inédit d’explosion des charges d’exploitation. Une courbe inflationniste que ne suit pas le prix du lait, déplore Mathieu, une des raisons motivant également l’hypothèse de vendre le cheptel laitier. “L’une de nos premières peurs, c’est de reprendre une sécheresse comme ça en 2023 avec toujours les rats”, confie Estelle.