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Covid-19 : Les impacts du confinement pour les producteurs de légumes au printemps 2020

Les producteurs ont fait face, au printemps, aux conséquences directes du confinement national : fermeture des frontières, de la restauration hors-domicile… Un travail exploratoire récemment publié analyse l’impact de cette crise sur les exploitations légumières et les adaptations des producteurs.

Pour les producteurs de légumes, la crise a été principalement organisationnelle, au niveau des circuits commerciaux et de la main-d’œuvre. © RFL
Pour les producteurs de légumes, la crise a été principalement organisationnelle, au niveau des circuits commerciaux et de la main-d’œuvre.
© RFL

Les 55 jours de confinement strict vécus par les Français au printemps 2020 ont, parmi d’innombrables perturbations, fortement impacté les exploitations agricoles. Les producteurs de fruits et légumes ont fait preuve de réactivité, flexibilité et adaptation pour se réorganiser en un temps record. L’impact de la crise sur les producteurs et les stratégies qu’ils ont mises en place pour s’adapter ont fait l’objet d’un travail exploratoire d’un stage de Master, consacré aux productions légumières. Cette analyse* a été réalisée par Hubert Jumel, sous la direction de Kevin Morel (Inrae) et financée par le GIS PIClég (lire la synthèse). Elle s’est reposée sur les témoignages de conseillers agricoles (chambres d’Agriculture, réseau FNAB et/ou FNCIVAM, AMAP) de cinq zones de production (les agriculteurs étaient très occupés par la gestion de la crise) : la région nantaise, le bassin toulousain, l’Ile de France, les Pyrénées-Orientales et l’Alsace. L’étude n’avait pas de vocation statistique et a servi avant tout à recueillir la perception des conseillers. Certains points mentionnés mériteraient approfondissements ou confirmations sur des données larges. « Pour les producteurs de légumes, la crise a été organisationnelle, principalement pour la structuration de l’organisation des circuits commerciaux et pour la main-d’œuvre, résume Hubert Jumel dans son rapport de stage. Les impacts sur les systèmes techniques ont été faibles, car les cultures étaient déjà programmées ou lancées, excepté pour les exploitations en cours d’installation attendant encore du matériel ».

Des exploitations très diversement touchées

De manière générale, « les systèmes les plus spécialisés, en productions ou en débouchés, ont soit été très peu impactés par la crise, soit très impactés », indiquent Hubert Jumel et Kevin Morel. Par exemple, les exploitations spécialisées en circuits longs sans débouchés vers la restauration hors-domicile (RHD), avec main-d’œuvre locale ou permanente, ont été moins touchées. De même pour les petits maraîchers exclusivement en Amap. Tandis que des petits maraîchers vendant uniquement en marchés de plein vent ou des grosses exploitations spécialisées dans la RHD avec main-d’œuvre étrangère ont été souvent très impactés. Enfin, les systèmes combinant les productions et les débouchés, s’ils ont été impactés, ont plus facilement pu s’adapter en transférant des productions d’un débouché à un autre. Il est à noter que même dans les cas les moins touchés, l’intégration des gestes barrières dans la production et éventuellement la commercialisation ont entraîné des surcharges de travail.

Le manque de main-d’œuvre étrangère a été l’une des grandes conséquences de la crise pour les producteurs, avec des niveaux d’impact très variables selon les exploitations. Il a touché essentiellement les grosses exploitations spécialisées ou ayant beaucoup d’abris n’ayant pas de main-d’œuvre à l’année. Ainsi, « les producteurs spécialisés en salade, comme en Ile de France, ou ayant un pic de main-d’œuvre dès mars pour les asperges ou les fraises ont été très concernés, décrit l’auteur de l’étude. Ceux ayant un pic de main-d’œuvre plus tardif, comme pour le poireau en région nantaise, n’ont pas été impactés tout de suite et ont pu anticiper davantage ». Les exploitations diversifiées produisant toute l’année, avec une main-d’œuvre à l’année, et les producteurs sur petites surfaces ayant peu de saisonniers, ont été peu impactés.

Un appel à volontaires au succès relatif

Rapidement, les acteurs de la profession ont négocié avec le gouvernement l’ouverture des frontières pour la main-d’œuvre saisonnière, ce qui a permis dès avril de diminuer le problème. La plateforme nationale « des bras pour nos assiettes », lancée par le ministre de l’Agriculture, la FNSEA et d’autres acteurs de la profession agricole pour pallier le manque de main-d’œuvre, a eu un succès relatif. Plus de 200 000 personnes ont répondu à l’appel mais les retours sont partagés sur l’efficacité de cette démarche. L’appel à volontaires a fonctionné pour des producteurs spécialisés sur grande surface ayant besoin d’une main-d’œuvre pour des taches avec « des gestes simples et répétitifs ». Mais pour les exploitations où le travail est plus diversifié, il y a eu des problèmes de compétences. Des conseillers ont noté que la formation de la main-d’œuvre volontaire a été un souci, pouvant être une perte de temps supplémentaire ou financière. Une partie des volontaires a été recrutée par le bouche-à-oreille et par l’intermédiaire des structures d’accompagnement agricoles qui ont joué le rôle de relais d’information.

Le deuxième impact majeur de la crise a porté sur la commercialisation des légumes, indépendamment du type d’exploitation et des problèmes de main-d’œuvre. Les deux gros problèmes majeurs ont été la fermeture des marchés de plein vent et des cueillettes à la ferme et la quasi-fermeture des circuits de RHD, une mesure renouvelée fin octobre. Parallèlement, la demande et les prix ont augmenté, avec d’une part le ralentissement des importations et d’autre part la hausse de la consommation de produits frais, observée dans tous les circuits de distribution.

Des difficultés à réorienter les productions

L’impact de la fermeture de la RHD a varié selon la part de ce marché dans les stratégies de commercialisations des exploitations. Les producteurs touchés ont dû réorienter leurs volumes très vite avec de grosses difficultés pendant une à deux semaines, puis la forte demande en légumes a provoqué un appel d’air. Certains producteurs de demi-gros ont eu des difficultés à réorienter leurs productions ou ont eu même des pertes malgré des adaptations. « Par exemple, les producteurs d’Ile de France vendant très majoritairement leur production en direct sur le MIN de Rungis, aux restaurateurs ou à des grossistes approvisionnant la RHD, les producteurs de micro-pousses de la région nantaise ou certains producteurs conventionnels d’asperges d’Alsace », énumère l’étude. Dans le cas de grosses exploitations ayant de gros volumes parfois difficiles à réorienter, plusieurs initiatives d’épiceries solidaires ou d’associations (Solaal) ont permis que ces légumes ne soient pas gaspillés mais donnés. La fermeture des marchés de plein vent a concerné essentiellement les circuits courts, avec un intermédiaire ou en vente directe. Elle a impacté les ventes sur les marchés mais aussi toute forme de vente en plein air ou sur la voie publique (paniers, cueillettes…). Les impacts et les adaptations ont été variés allant d’une simple réorganisation du lieu de vente à la formation de nouvelles formes de commercialisation.

Le manque de main-d’œuvre étrangère a touché essentiellement les grosses exploitations spécialisées ou ayant beaucoup d’abris n’ayant pas de main-d’œuvre à l’année.

* Etude exploratoire sur l’impact de la Covid-19 sur les exploitations de production de légumes, Jumel H. 

 

A lire aussi : Légumes : les enseignements de la crise Covid débattus lors des rencontres du GIS Piclég

                      [Coronavirus Covid-19] Les Français, confinés, font le choix de produits responsables

 

Trois facteurs clés qui ont permis de faire face à la crise

 

La solidarité et les interactions humaines

Les entraides entre producteurs ont été mentionnées dans toutes les zones d’étude, particulièrement en termes de commercialisation. Certains producteurs avec des points de vente directe fonctionnant bien ont ainsi écoulé les productions d’autres producteurs. Pour les agriculteurs en vente directe, la connaissance personnelle de leurs clients a été un facteur clé dans leur capacité à les contacter, à les tenir informés, voire à les mobiliser. Pour les agriculteurs vendant aux GMS ou à des intermédiaires, les relations historiques de confiance ou de travail ont également favorisé l’adaptation.

 

Le rôle des collectivités et structures professionnelles

Les collectivités locales et les structures d’accompagnement agricole, notamment le réseau de la FNAB, des CIVAM et des Chambres d'agriculture, ont joué un rôle central dans le soutien aux producteurs : mise en lien entre offre et demande, information sur les gestes barrières, démarches pour la mise en place de nouveaux circuits ou plateformes, réouverture des marchés. Selon plusieurs conseillers, les structures d’accompagnement agricoles ont travaillé en synergie, dépassant les clivages habituels. Les collectivités locales ont souvent mis à disposition des locaux ou de la main-d’œuvre pour permettre la vente directe de légumes.

 

Les outils numériques

Internet a pris une part importante dans les stratégies de reports des ventes. Plusieurs stratégies ont été relevées : l’utilisation de sites spécialisés, la création de sites regroupant plusieurs producteurs, parfois de différentes filières pour créer un marché virtuel ou plus simplement une communication ou des commandes via les réseaux sociaux ou par mail. Des plateformes recensant l’ensemble des ventes de proximité ont été réalisées par les structures professionnelles ou les collectivités locales pour soutenir les producteurs.

 

Une charge mentale et physique supplémentaire

Les multiples réorganisations effectuées par les producteurs, liées aux problèmes de main-d’œuvre et de circuits de commercialisation, ont permis à la majorité d’entre eux de s’adapter à la crise. Mais elles ont engendré en contrepartie une charge mentale et physique plus importante. Elles se sont traduites la plupart du temps, comme l’ont mentionné plus de onze conseillers, par une augmentation du temps de travail due aux contraintes des gestes barrières sur les fermes, les drives ou les marchés, à l’aspect chronophage des livraisons et de l’organisation de nouveaux circuits de commercialisation, mais aussi à la charge mentale qu’ont provoquée ces adaptations. Le niveau de fatigue accumulée dès le début de la saison a interrogé plusieurs conseillers sur la capacité des producteurs à tenir ce rythme si le confinement perdurait et aux possibles pertes financières qui pouvaient en découler bien qu’il soit encore trop tôt pour dresser un bilan économique.

Un engouement pour le local

 

 
L’ensemble des conseillers ont souligné l’attrait de la population pour le local, au printemps. © Adobe Stock
Beaucoup de consommateurs ont privilégié les produits français au printemps, notamment dans une volonté de soutien des producteurs.

 

La période du confinement du printemps a été marquée par un engouement pour le local de la part des consommateurs, ce qui a profité à la vente directe sous toutes ses formes (vente à la ferme, livraison de paniers, drives fermiers, distributeurs de légumes). L’ensemble des conseillers ont ainsi mentionné l’attrait de la population pour les circuits courts et le local. Certaines ventes en panier à la ferme ont explosé avec des exemples de hausses allant « de 15 à 100 paniers » dans les Pyrénées-Orientales. Une hausse de la demande des produits bio a aussi été observée par certains conseillers. L’attrait de la vente directe peut s’expliquer par la volonté des consommateurs de soutenir les producteurs français, mais aussi d’éviter les supermarchés par peur du virus, voire par la possibilité de sortir se « promener » en allant faire les courses.

Le soutien des GMS a été variable

« Les producteurs de légumes ayant des ventes à la ferme ont tout de suite compris l’importance que cela avait pour les consommateurs et ont mis en place des sens de circulations des paniers préparés, donné des horaires de passage ou servaient eux-mêmes les gens », décrit l’étude de Hubert Jumel. Le soutien des GMS a été variable. En Alsace, la tradition du local étant plus présente, les GMS ont « joué le jeu » avec certains « patrons de supermarché ayant envie d’aider les producteurs ». Certaines ont « favorisé le local » sans modifier les normes de calibrage. Une conseillère d’Ile de France souligne que « les GMS qui travaillaient déjà avec des producteurs ont vraiment joué le jeu, mais pour les autres il y a eu beaucoup d’effets d’annonce ».

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