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Les céréaliers ukrainiens dessinent des nouvelles routes d’exportation

L’Ukraine s’appuie de plus en plus sur sa logistique intérieure pour exporter ses grains, qu’elle soit ferroviaire, fluviale ou par camions, et espère la pérenniser. Toutefois, le fret maritime conservera une place majeure.

Le port de Pyvdennyi avant le 24 février 2022.
© Ukragroconsult

L’Ukraine s’est vite adaptée à la tentative d’invasion de son territoire par la Russie, déclenchée le 24 février 2022, et au blocage de ses ports maritimes jusqu’à l’été 2022, l’empêchant ainsi d’exporter ses grains via la mer Noire. Ses agriculteurs ont été les principaux acteurs du développement des nouvelles routes intérieures, afin de continuer à commercer avec le monde extérieur, et de préserver un intérêt à produire, selon les spécialistes contactés.

 

 

Précisons que le terme « agriculteur » en Ukraine ne renvoie pas forcément à ce que l’on connaît en Europe de l’Ouest. « Les agriculteurs sont en réalité souvent de gros entrepreneurs. Les coopératives telles qu’on les connaît chez nous n’existent pas. Il s’agit de regroupement de quelques individus qui fondent une société, et disposent de gros moyens et sont donc en mesure d’acquérir des camions, des trains, des barges, etc. », explique Jean-Jacques Hervé, expert de la région et conseiller du Commerce extérieur de la France.

Le développement des voies intérieures, soit le ferroviaire, les routes et le fluvial, n’a pas été de tout repos. « Les petits et grands producteurs ont construit eux-mêmes leurs nouvelles chaînes logistiques pour exporter. Mais sans expérience ni compétence spécifique. Par conséquent, ça a été assez chaotique, mais finalement, il y a eu des avancées très significatives. […] Aujourd’hui, nous sommes capables de faire du rendu Italie», témoignait Volodymyr Korchun, responsable trading du cabinet ukrainien LNZ Trading, lors du Global Grain à Genève le 16 novembre 2022.

Jean-Jacques Hervé confirme les propos du trader : « Le secteur privé ukrainien s’est totalement pris en main, sans soutien de l’État ». De leurs côtés, « les grosses agroholdings, ayant perdu le débouché maritime mais disposant d’importantes marges par le passé, ont eu les moyens de stocker », relève Maksym Kharchenko, analyste du cabinet UkrAgroConsult. Malgré des difficultés évidentes, l’Ukraine a donc pu limiter les dégâts et faire sortir ses marchandises.

Les voies intérieures aussi importantes que la mer

Avant le 24 février 2022, l’Ukraine exportait plus de 95 % de ses grains, huiles, tourteaux… via la mer Noire, soit 6 à 7 millions de tonnes par mois, pour une capacité annuelle totale de 80 Mt environ. Les expéditions par les circuits intérieurs ne représentaient que des miettes. Aujourd’hui, elles peuvent atteindre 3,5 à 4 Mt/mois, selon UkrAgroConsult. Le potentiel maximal des corridors humanitaires sur la mer Noire, au travers des ports de Chornomorsk, Odessa et Pivdennyi, s’élève à 4 Mt/mois. « Nous expédions 1,6 Mt/mois par péniche, et 600 t/mois par camion», précise Volodymyr Korchun. Les trains exportaient au mieux 200 000 t/mois avant le conflit, contre désormais 1,2 Mt à 1,5 Mt/mois, rapporte UkrAgroConsult. Ainsi, les Ukrainiens envoient vers les pays tiers presque autant de céréales, d’oléagineux… par voies intérieures que maritimes.

 

 

Si le coût de la logistique intérieure reste élevé, des progrès notables ont été accomplis. Au printemps 2022, « les frais de transport par péniche atteignaient jusqu’à 120 $/t pour aller du port de Réni (Ukraine, NDLR) à celui de Constanza (Roumanie, NDLR). Mais en décembre, ils n’étaient plus que de 45 $/t », révèle Maksym Kharchenko. Concernant le train, les points de transbordement (train à train) aux frontières de l’Ukraine vers les pays de l’UE se sont multipliés. En novembre 2022, UkrAgroConsult relevait 53 terminaux ferroviaires transfrontaliers, contre 3 à 5 avant le 24 février 2022.

Les experts contactés estiment que les itinéraires continentaux continueront d’opérer même après la guerre. « Le vrai grand axe fluvial en Europe est le Danube. Les Ukrainiens ont fait beaucoup de progrès et continueront à en faire. Les voies de transports intérieurs pourront entrer en compétition avec le maritime, faisant pression sur les frais logistiques globaux », opine Jean-Jacques Hervé.

Nikolay Gorbachov, président de l’Association ukrainienne des grains (UGA), adhère à cette vision. Tout en précisant que le transport maritime restera la meilleure option pour les exportations, même après le conflit, car plus rentable. De plus, des difficultés persistent quant à la logistique intérieure ukrainienne. « Les démarches administratives aux frontières s’améliorent, mais il y a encore beaucoup à faire », déplore-t-il. Jean-Jacques Hervé rappelle, par ailleurs, que l’écartement des voies ferrées en Ukraine est différent de celui en Europe de l’Ouest, générant des surcoûts et une perte de temps. « Mais les Ukrainiens trouvent des solutions », note-t-il.

Les producteurs ukrainiens vendraient à perte

Les frais logistiques sont payés in fine par le producteur, qui doit en plus faire face à la hausse de ses coûts de production : intrants, énergie, etc. Les corridors humanitaires ont, certes, permis de soulager leur situation, mais les frais de « fobbing » sur les ports de la mer Noire ont, eux aussi, grimpé. Ces derniers s’élevaient à 10 $/t avant le 24 février 2022, et tournent autour des 20 $/t aujourd’hui, d’après UkrAgroConsult. Ensuite, le transport vers les ports depuis le centre de l’Ukraine coûtait 25 $/t environ avant la guerre, contre 35-40 $/t après l’invasion.

« Le céréalier ukrainien est payé à un niveau bien inférieur au marché mondial. Un blé est, par exemple, vendu à 150 $/t environ, et coûte aux alentours de 200 $/t à produire et à transporter actuellement… soit une grosse contre-marge. Ils sont obligés de vendre, car ils ont des stocks, mais ça ne durera pas éternellement », déclarait Nikolay Gorbachov lors du Global Grain. Propos qu’il a confirmé lors du Paris Grain Day le 26 janvier 2023. Il prévoit, par conséquent, un repli de la production nationale de blé en 2023, à 16 Mt, contre 20 Mt en 2022. Pour le maïs, « nous prévoyons 3 millions d’hectares en 2023 dans un scénario optimiste, 1,7 million d’hectares pour le pessimiste », alerte-t-il.

Les trains et les péniches alimentent les ports voisins européens : Constanza en Roumanie, Burgas en Bulgarie, Gdynia en Pologne… qui réexportent ensuite le grain ukrainien. Mais ces installations s’avèrent incapables d’absorber tout le potentiel ukrainien.

« L’ensemble des ports polonais disposent d’une capacité de 5 Mt/an. La Roumanie, c’est 20 Mt/an au maximum, la Bulgarie 6 Mt/an au mieux… Et l’Ukraine devrait y envoyer 50 à 70 Mt ? Impossible ! », alerte Nikolay Gorbachov. La mer Noire restera la solution la plus efficiente, grâce à la possibilité de charger des Panamax de 60 000 tonnes, rappelle-t-il.

 

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