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[La météo de Serge Zaka] Dôme de chaleur au Canada, vague de froid en Amérique du Sud : quels impacts pour l’agriculture ?

Des phénomènes climatiques exceptionnels touchent actuellement l'Amérique : Serge Zaka, agroclimatologue pour la société ITK, vous explique leurs impacts sur l'agriculture.  Faut-il s'inquiéter de voir arriver une vague de chaleur en Europe ? Dans sa série de chroniques, le Dr Zaka, bien connu des agriculteurs, vous décrypte la météo.

Serge Zaka, agroclimatologue chez ITK.
Serge Zaka, agroclimatologue chez ITK.
© ITK

Depuis une semaine, les hashtags #heatwave et #heatdome fleurissent sur les réseaux sociaux. Et c’est à juste titre : le Canada vient de battre son record national annuel de +4,6°C avec une température de 49.6°C à Lytton en Colombie Britannique, au-dessus de 50°N de latitude. Un record qui en masque une centaine d’autres tout aussi incroyables. Et nous ne sommes que début juillet !

Dans le même temps, des photos de champs de maïs gelés nous parviennent d’Amérique du Sud. Quelques records de froid mensuels sont battus. Le plus important est celui de Pozo Hondo avec -7.4°C, nouveau record national mensuel au Paraguay. Cette vague de froid n’est pas à négliger, elle est exceptionnelle, mais pas inédite.

Quelles conséquences pour l’agriculture ? Explications sur ces deux phénomènes distincts, sans liens directs.

Un évènement de chaleur inédit dans les archives de la climatologie moderne

Le mot scientifique « dôme de chaleur » semble être nouveau pour le grand public. Pourtant ces dômes de chaleur sont connus et documentés par les scientifiques depuis bien longtemps. Ce n’est pas un phénomène nouveau induit par le changement climatique. Dans le passé, nous en avons observé par exemple en Europe début août 2003 (15 000 morts en France jusqu’à 44.1°C) ou même en Sibérie avec 38°C à Verkhoiansk au-delà du cercle polaire le 20 juin 2020, suivi d’un embrasement de la forêt boréale.

Qu'est-ce qu'un dôme de chaleur ?

L’intensité de ce phénomène observé précédemment en Russie serait, à priori, impossible sans l’aide du changement climatique d’après l’Organisation Mondiale de la Météorologie. Le changement climatique accentue l’intensité de ces dômes de chaleur. Il n’y a cependant pas encore de consensus sur leur fréquence. Ainsi, des températures frôlant les 50°C au Canada seraient surement impossibles si le changement climatique n’était pas en cours. Plus qu’un record national, ces 49.6°C sont un record mondial au-dessus de 50°N.

Un dôme de chaleur se forme lorsqu’un méandre du Jet-Stream remonte vers le nord et qu’une bulle d’air chaud anticyclonique stagne sur une région du globe et se réchauffe de jour en jour par un phénomène de compression vers le sol de l’air.

Pour schématiser, en gonflant une roue de vélo avec une pompe manuelle, cette dernière devient chaude. La compression répétée de l’air dégage de la chaleur. L’anticyclone a le même effet sur une échelle beaucoup plus grande : il comprime l’air vers le sol. Il fait ainsi de plus en plus chaud de jour en jour. Et cet air chaud ne venait pas des tropiques mais du milieu du Pacifique (cf.le trajet sur le graphique ci-dessous) et s’est réchauffé par effet de compression.

On va jusqu’à parler de « méga-canicule », un terme nouveau. Ce sont des canicules durables où les données mesurées sont tellement loin des séries de données habituelles qu’on pourrait se demander s’il n’y a pas un « bug » dans les mesures !

Les conséquences pour la faune et la flore, pour l’Homme et ses infrastructures sont très importantes. Nous nous concentrerons sur l’agriculture et la forêt.

Lire aussi : [La météo de Serge Zaka] : Quelle différence entre température mesurée et température perçue

Impact sur les grandes cultures :

Cette zone du Canada est productrice de canola et de blé. Le canola est parfois confondu avec le colza parce que le canola a été initialement sélectionné à partir du colza et que les plantes ont une apparence similaire. Cependant, le canola a des niveaux beaucoup plus faibles d’acide érucique et de glucosinolates – des caractéristiques qui rendent le colza peu apprécié. Pour répondre à la définition officielle du canola, la plante doit produire une huile contenant moins de 2 % d’acide érucique. 

Ce dôme de chaleur a deux conséquences sur ces deux cultures :

  • Ces fortes températures ont des effets très néfastes sur la floraison - début ou en cours actuellement dans cette région du monde - en provoquant des avortements floraux et donc des pertes de rendement conséquentes dès 35°C. Ces fortes températures ralentissent également la croissance et le développement du végétal (température supra-optimale).
  • L’humidité très faible, couplée à ces chaleurs extrêmes, peut provoquer une très forte évapotranspiration. Cet assèchement soudain ralentit la croissance de la plante.

Par effet d’anticipation des pertes de récoltes, le prix des matières premières est d’ailleurs déjà en très forte hausse battant des records.

Feux de forêt :

Les conséquences sur la forêt se voient à court et moyen terme. En premier lieu, ce dôme de chaleur provoque un rapide dessèchement de la forêt (augmentation de l’évapotranspiration). L’indice d’inflammabilité explose en quelques jours, provoquant ainsi un embrasement général, ce qui a été observé ces derniers jours. Dans un second temps, ces violents incendies provoquent la formation de pyrocumulonimbus (voir image), en quelques sortes un nuage d’orage induit. Celui-ci génère de la foudre en air sec, qui déclenche de nouveaux foyers. Une boucle de rétroaction très dangereuse…

Pour les animaux :

L’indice de THI (humidité et température) a atteint de niveau mortel pour les animaux d’élevage (cf. mon précédent article pour plus d’informations). Les éleveurs, peu habitués à ce genre de situations météorologiques, doivent mettre en place des mesures exceptionnelles et drastiques pour éviter un phénomène d’étouffement ou de mort subite.

 

Un évènement de froid précoce exceptionnel, mais non inédit, en Amérique du Sud

Dans le même temps, et de façon tout à fait déconnectée, une remontée d’air froid précoce a eu lieu sur l’Amérique du Sud. Dans l’hémisphère sud, le froid vient du sud. Cette remontée d’air froid est exceptionnelle, mais contrairement au dôme de chaleur canadien, elle n’est pas inédite.

Les conséquences sur l’agriculture sont également importantes sur les variétés de maïs les plus tardives, encore en champs, du Paraguay au Parana brésilien (déjà affectés par une sécheresse !). Ce coup de gel a des conséquences importantes sur le rendement. Le phasage entre la phénologie et ces basses températures est très problématique. Le département de l’économie rural (Deral) a estimé que 11% du maïs du Paraná brésilien était en train de polliniser, 62% remplissaient le grain, 27% étaient matures et seulement 2% ont été récoltés.

Le plus gros des dégâts est observé pour les cultures au stade « remplissage du grain » soit la majorité des parcelles. Le grain étant encore gorgé d’eau, le gel fait éclater les cellules ce qui provoque des dégâts irréversibles sur l’épi.

Et pour l’Europe ?

Ce dôme de chaleur canadien ne concernera pas l’Europe. Cependant, les prévisions se réchauffent nettement sur le sud de l’Europe dès le 10 juillet. Si cela se confirme, il s’agira d’un évènement indépendant. C’est à suivre (très) attentivement…

 

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