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Le loup, 27 années de cauchemars

Voilà près de 30 ans que le loup a fait son retour en France, protégé par la Convention de Berne et la directive Habitat de l’Union européenne. L’Inrae fait le bilan de cette difficile coexistence avec l’élevage ovin.

Au 31 mars, la préfecture de Rhône-Alpes, coordinatrice du plan national loup, comptabilisait déjà 1 256 victimes du grand canidé pour l’année 2020. Près de 27 ans après la confirmation du retour des premiers loups dans le Mercantour, les éleveurs d’ovins sont toujours sur le front, premières victimes de la politique de préservation du prédateur. L’Inrae dresse un panorama de la situation française face au loup de 1993 à aujourd’hui. Avec une augmentation de population en moyenne autour de 20 % par an, les loups, qui n’étaient que six en 1993, sont plus de 530 aujourd’hui, répartis en 80 meutes (à la fin de l’été dernier), principalement dans l’arc alpin. Mais leur zone de présence ne cesse de s’agrandir et en avril, la présence d’un loup est confirmée entre la Normandie et les Hauts-de-France. L’Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine, le Grand-Est et la Bourgogne-Franche-Comté vivent depuis plusieurs années avec l’ombre du grand prédateur sur leurs troupeaux.

Une succession de plans loup inefficaces

Et les éleveurs ne se sont jamais sentis aussi abandonnés et floués que sur cette question du loup. Le gouvernement a bien mis en place une succession de plans nationaux, aussi bien pour suivre et observer le renouveau de l’espèce sur le sol français que pour évaluer et indemniser les pertes des éleveurs qui subissent des attaques. Rapidement, le gouvernement a proposé des techniques de protection des troupeaux, qui se sont vite révélées inefficaces ou inadaptées au terrain (chiens de protection, parc de nuit, clôture anti-loup…). Le coût de la protection contre le loup frise l’indécence (entre 25 et 35 millions d’euros par an) et les résultats n’ont jamais été à la hauteur puisque le nombre de victimes est en constante augmentation, année après année. « On le voit bien, l’échec de la protection des troupeaux est patent », pointe l’Inrae dans son bilan. L’année 2019 s’est terminée avec près de 10 400 ovins tués et 12 450 victimes toutes espèces domestiques confondues (sans compter les animaux disparus). Si entre 2019 et 2018, la progression s’est un peu tassée, il n’en était rien les années précédentes, où l’on a enregistré entre 2017 et 2018 une augmentation de presque 600 victimes et entre 2016 et 2017 avec le terrible record de + 2 004 victimes. Alors qu’en parallèle les mesures de protection n’ont fait que de se renforcer. Certains élevages comptent plus de 10 chiens de protection pour veiller sur leurs bêtes. Les pratiques de pâturage ont changé, au détriment de la logique avec notamment la mise en place des parcs de nuit qui privent les brebis des heures plus fraîches où elles paissent avec plus d’entrain qu’en pleine journée d’été. Éleveurs et bergers sont sur le qui-vive chaque jour et chaque nuit passés en alpage, avec la peur de retrouver le troupeau dans un bain de sang au petit matin. Et pourtant la situation dure et perdure, le statut du loup ne change pas alors que le seuil de viabilité de la population a été depuis plus d’un an atteint et largement dépassé. Les attaques sur les troupeaux ont, en plus des conséquences directes de pertes sèches d’animaux, des effets indirects et sournois. Les brebis stressées, avortent, mettent bas difficilement ou deviennent infertiles. Il arrive qu’elles refusent de retourner sur une zone où elles ont vécu une attaque, ajoutant encore une pièce au casse-tête quotidien des éleveurs et bergers.

Les loups se rapprochent des zones d’activités humaines

« Éradiquer le prédateur n’est pas une option. Abriter de manière permanente tous les troupeaux dans des bâtiments sécurisés ne l’est pas non plus. Il serait bien sûr envisageable, et c’est en cours, de poursuivre et de renforcer les actuels moyens de confinement des troupeaux, d’effarouchement et de répulsion du prédateur. » Les chercheurs de l’Inrae, spécialistes de la question de la prédation par le loup, tentent d’ériger une stratégie pour la suite. Pour eux, face à l’inefficacité des moyens de protection actuels, il est plus que nécessaire de changer de philosophie et de remodeler la relation entre le prédateur et l’homme. La multiplication, ces dernières années, d’observation de loups et d’attaques de troupeaux à proximité des bâtiments d’élevage voire de zone de vie et d’activités humaines montre bien que ces chasseurs à quatre pattes ne craignent plus l’homme.

Instaurer une relation de respect mutuel

L’Inrae explique ainsi le principe de la réciprocité dans la relation loup-homme. « Elle peut s’envisager comme l’instauration d’une forme de respect mutuel fondé sur des signaux clairs et des règles strictes, à rappeler de temps à autre, si besoin. Cette réciprocité implique l’utilisation possible de moyens létaux (tir et/ou piégeage) avant, pendant ou juste après une attaque, pour éliminer les individus ou groupes trop insistants et associer la présence d’humains travaillant avec les troupeaux à un réel danger. » De fait, l’instauration d’une telle relation permettrait d’améliorer par la suite l’efficacité des moyens d’effarouchement et de protection déjà existants. Ce principe de réciprocité est mis en œuvre dans des régions du monde où loups et humains se font face depuis longtemps (en Asie centrale par exemple) et permet aux éleveurs d’avoir plus de marge de manœuvre en cas d’attaques. En effet, ils peuvent donc tirer immédiatement sur les loups les plus insistants et, par cette sélection, limiter intelligemment le nombre de prédateurs abattus. Les chercheurs de l’Inrae concluent leur proposition en rappelant que la mise en œuvre d’une telle relation résulte d’un « processus continu de coadaptation entre les loups et les humains, qui ne peut reposer uniquement sur les éleveurs, mais qui doit être conçue et gérée collectivement à l’échelle des territoires. »

Les loups ne font pas de favoritisme

Dans une publication du 3 avril, un collectif de spécialistes de la prédation du loup du CNRS, de l’OFB, de l’Institut Agro, de l’Inrae et du Cerpam, démonte l’adage trop souvent entendu : « en France seul un petit nombre d’éleveurs concentre la majorité des attaques de loup ». Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les données de Géoloup mises à jour par la Dreal d’Auvergne-Rhône-Alpes, sur la période de 2009 à 2018. Si le nombre d’attaques et le nombre d’éleveurs impactés augmentent de manière linéaire chaque année, les départements les plus touchés concentrent 90 % des attaques. Les chercheurs ont pu, grâce aux numéros Siret, identifier et donc comptabiliser les exploitations touchées. Ainsi, en 2018, 37 % des éleveurs concentrent 75 % des attaques, 14 % des éleveurs concentrent 50 % des attaques et 7 % des éleveurs concentrent 35 % des attaques. Ces résultats s’avèrent assez similaires d’une année sur l’autre, laissant voir qu’entre 10 et 15 % des éleveurs concentrent chaque année la moitié des attaques qui ont lieu sur toute la France.

Plus de la moitié des éleveurs qui concentrent 35 % des attaques sont attaqués pour la première fois

Cependant, parmi les éleveurs qui concentrent 35 % des attaques, la grande majorité d’entre eux n’apparaît qu’une fois ou deux sur les dix années étudiées et la moitié de ces éleveurs n’apparaît qu’une seule fois. Seuls 25 éleveurs parmi ceux qui concentrent 35 % des attaques ont été attaqués cinq fois ou plus durant toute cette période. Cette analyse permet donc de démentir la phrase qui affirme que seul un petit nombre d’éleveurs concentrent la majorité des attaques de loups, car, si cela peut être acceptable à l’échelle d’une année, c’est pour autant faux sur une période plus longue.

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