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Maraîchage bio intensif : comment Cultive veut déployer la méthode de Jean-Martin Fortier en France

Baptiste Saulnier lance, avec sa compagne Vanessa Correa, Cultive, un campus, un cursus de formation et un réseau de fermes inspiré du modèle bio intensif. Il nous explique son projet.

Baptiste Saulnier à la ferme du Perche
Baptiste Saulnier, à l'initiative du projet Cultive
© La Ferme du Perche

Vous lancez le centre de formation et réseau de fermes Cultive, après un parcours atypique pouvez-vous le résumer ?

Baptiste Saulnier : J’ai 42 ans je suis né à Paris d’une famille basque et bretonne avec des grands-parents agriculteurs et jardiniers. Je suis un ancien sportif de haut niveau, j’étais dans l’équipe de France junior de hockey sur gazon. J’ai eu mon baccalauréat avec mention assez bien puis j’ai décidé de me lancer dans la profession de restaurateur en autodidacte. J’ai gravi les échelons de plongeur à manager dans des groupes de restauration. J’ai ouvert mon premier restaurant avec les associés du groupe Les fils à maman, puis d’autres ont suivi. J’ai quitté le groupe en 2013. Lors de l’ouverture de mon dernier restaurant, je voulais l’adosser à un jardin potager. J’ai entamé une formation de deux jours par semaine (les lundis et mardis) à la ferme Bec -Hellouin. Et je me suis vite rendu compte que quand je rentrais le mardi soir à Paris, j’avais les larmes aux yeux et la boule au ventre.

En 2015, j’ai décidé d’entamer une reconversion

En 2015 j’ai décidé d’entamer une reconversion. Je suis resté un an et demi comme apprenti maraîcher à la ferme Bec-Hellouin. Je suis ensuite allé trois mois chez Eliot Coleman à la Four season farm aux Etats-Unis et 9 mois chez le Québécois Jean Martin Fortier à la ferme des 4 temps. Tous deux se sont inspirés des maraîchers parisiens du XIXe siècle. Le premier s’est formé avec le dernier maraîcher d’Aubervilliers Louis Savier. Jean-Martin Fortier a fait évoluer cette technique. Cette expérience m’a permis de concevoir et piloter les jardins potagers du château de Chambord avec une ferme en polyculture petit élevage, légumes, fruits, petits fruits, arboriculture fruitière, des herbes aromatiques… Avec ma compagne Vanessa Correa nous avons quitté Chambord en décembre dernier pour monter le projet Cultive.

Jean-Martin Fortier, maraîcher québécois


Quel a été le déclencheur de cette idée ? Votre rencontre avec le maraîcher québécois Jean-Martin Fortier ?

Oui. Nous estimons que certains modèles agricoles sont à bout de souffle. Il y a des besoins en formation en maraîchage. Nous avons constaté qu’un grand nombre de stagiaires en BPREA ou BTSA, souvent citadins en reconversion, voulaient piloter des petites fermes diversifiées et ne trouvaient pas de formations adaptées à leur besoin. Beaucoup de porteurs de projets (restaurateurs, châtelains…) venaient chercher chez nous des ressources et s’intéressaient à la méthode de Jean-Martin Fortier. Son modèle est viable et il est très attaché à la France. Nous voulions participer à notre niveau au renouvellement des générations et des pratiques agricoles.

50% des petites fermes diversifiées échouent

Or nous savons que 50% des petites fermes diversifiées échouent car suite à une formation rapide, les gens s’usent, se fatiguent, ne sont pas dans la réalité et au bout de 2 à 3 saisons, ils ferment. Ils commettent des erreurs majeures sur l’investissement, le dimensionnement des infrastructures, la commercialisation et ils ont du mal à intégrer un marché en termes de prix.

Ferme du Perche vue du ciel


Ce projet se base sur le maraîchage bio intensif, pouvez-vous expliquer ce modèle ?

C’est une agriculture très organisée que Jean-Martin Fortin a standardisée. Chaque jardin a le même nombre de planches permanentes. Chaque élément du système (irrigation, voiles de protection…) est adapté. La planche devient une unité de mesure. Sur une planche de 15 mètres, on sait que l’on doit produire 120 bottes de carottes, 450 fenouils… La méthode porte sur une planification très minutieuse avec un budget lié au dimensionnement précis des chambres froides, de la masse salariale… avec une gestion très fine. 80% de la production est semée en pépinière puis transplantée, ce qui facilite les successions de culture, jusqu’à 4 sur une planche.

Sur chaque planche on plante très serré pour limiter l’enherbement et le désherbage

Le lancement des plants en pépinière permet de commencer une production avant de récolter la précédente, on gagne 30 jours.  Sur chaque planche, on plante très serré pour limiter l’enherbement et le désherbage. Le temps d’occupation des planches par chaque production est précis, les légumes sont récoltés quand ils ne sont pas très gros, à 45 jours pour la betterave par exemple. Cela limite la potentielle entrée des ravageurs et maladies. Et puis nous mettons en avant des légumes primeurs, très goutus et très concentrés.

Nous sommes en bio, il n’y a pas d’intrants chimiques, beaucoup d’engrais verts, nous travaillons sur le rééquilibrage des sols accompagné par Francis Bucaille, expert en régénération des sols. Et puis l’intérêt de son organisation c’est sur 300 m2 on peut mettre un filet anti-insecte. Ce que l’on ne peut pas faire sur 3-4 hectares. Nous faisons aussi de la lutte intégrée en ayant recours aux larves de coccinelles, de syrphes, nous travaillons donc beaucoup en préventif…


Quels résultats économiques attendus pour ce modèle ?

C’est extrêmement rentable. La devise des maraîchers parisiens du XIXe siècle était de « tirer la quintessence de chaque mètre carré cultivé ». A la ferme du Perche, sur laquelle je suis consultant, sur 600 m2 de tunnels en serres nous avons récolté jusqu’à 2 tonnes de tomates sur la meilleure semaine cet été. Sur un hectare, 7000 m2 sont cultivés dont 1000 m2 sous serre, nous dégageons 250 000 euros de chiffre d’affaires avec 5,9 équivalents temps plein. La ferme du Perche est bénéficiaire.

tomates bio cultivées en maraîchage bio intensif


Est-ce que ce modèle peut s’appliquer partout ?

Pas dans des zones humides ou trop en pente, néanmoins on peut l’implanter presque partout en France, avec des temps de croissance qui différeront selon les régions. On peut adapter le modèle, sachant qu’il fonctionne déjà au Québec et aux Etats-Unis. L’intérêt de ce modèle n’est pas seulement sa productivité, qui est éprouvée en France depuis un ou deux ans. Il présente 4 autres vertus : esthétique (les carrés de jardin s’intègrent très bien au paysage), favorable à la biodiversité (avec la présence d’une marre, stock tampon d’eau), à la protection des sols (avec développement de la fertilité et des micro-organismes) et est socialement juste.

A la Ferme du Perche, tout le monde est aux 35 heures

A la Ferme du Perche, tout le monde est aux 35 heures, y compris les managers. On peut aller chercher les enfants à l’école, aller à la pêche, lire, courir. Et même en période de pic grâce à l’annualisation du temps de travail, on ne fait jamais plus de 48 heures par semaine. Néanmoins c’est un métier qui requiert une très bonne forme physique car les saisons sons éprouvantes. Les salaires sont décents. C’est un peu la force du modèle. Le modèle demande beaucoup de personnel, et nous sommes toujours sur un travail d’équipe. On divise le stress et les responsabilités. Et cela crée de l’emploi, nous participons à une dynamique de territoire.


Quels sont les débouchés préconisés ?

Le système permet une grande variété de produits avec 50 légumes et plus de 150 variétés différentes. Les produits doivent être essentiellement commercialisés en vente directe (60%), sur les marchés, en vente à la ferme, auprès des restaurateurs. Une partie peut être vendue vers les magasins, épicerie et supermarchés. Un peu en gros et en semi gros sur les courgettes par exemple. En bref nous utilisons tous les canaux.


A qui va s’adresser le centre de formation ?

Aux gens en transition et aux néoruraux, mais pas seulement. Nous pouvons nous adresser aussi à des filles et fils d’agriculteurs souhaitant diversifier la ferme et le modèle des parents. Et puis il y a beaucoup d’entreprises et collectivités qui cherchent à développer des projets agricoles et qui sont dans une démarche profonde d’agroécologie, de préservation des sols et souhaitent participer aux renouvellements des générations agricoles

Semoir Jang


Quels objectifs vous fixez-vous ? Et comment vous positionnez-vous par rapport à l’offre de formation existante, publique et privée ?

A terme nous souhaitons former 80 à 100 apprenants par an soit 4 à 5 promotions de 20. La formation s’apparentera à un Brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole (BPREA) mais elle sera très appliquée et spécifique au maraîchage bio intensif, à l’arboriculture et aux poules pondeuses, d’autres activités agricoles seront en option comme l’apiculture ou les plantes aromatiques et médicinales. Nous allons adapter le cursus. On le veut théorique et pratique avec un espace test pour que les apprenants puissent s’exercer. Nous souhaitons proposer un diplôme certifiant (avec un financement CPF et de Pôle emploi). Nous souhaiterions à terme que notre formation soit diplômante afin que l’agroécologie soit reconnue comme une des voies à suivre pour notre transition agricole.

Par rapport aux formations existantes, nous ne voulons pas être clivants

Par rapport aux formations existantes, nous ne voulons pas être clivants. Nous sommes très complémentaires. Je donne moi-même des cours à l’école Du Breuil et je suis en relation avec des CFPPA. Ces formations sont très complètes mais très généralistes. Nous, nous allons proposer une formation plus spécifique.


Quand va être lancé ce centre de formation ?

Nous sommes en recherche active du lieu, et avons une piste franche, on espère lancer les premières formations fin 2023 courant 2024.


Vous voulez aussi constituer un réseau de fermes, quel objectif ? quel calendrier ?

On veut créer un réseau de fermes pour pallier le taux de 50% d’échec des maraîchages sur petite surface. Nous voulons créer un vrai parcours vertueux avec un apprentissage d’un an suivi d’un travail d’un ou deux ans dans le réseau de fermes pour que les apprenants puissent se confronter à la réalité. Ils pourront ensuite s’installer selon trois principes : dans notre réseau de franchise Cultive (ils bénéficieront d’un grand nombre de services supports : services en communication, expertise comptable, plateforme de recrutement, fonds documentaire, mentorat…), en installation autonome avec un abonnement à certains services, ou au sein d’une collectivité ou d’entreprises.

Les trois catégories constitueront les fermes du réseau, ils pourront bénéficier des prix que nous allons tarifer avec nos partenaires (semences, irrigation, terreau). Les économies qu’ils réaliseront devraient correspondre au prix de la redevance franchise ou abonnement pour que l’opération soit neutre, mais avec en échange un grand nombre de services supports auxquels, seul il ne pourrait pas accéder, ou à un prix trop élevé pour ces fermes.

On vise un réseau de 300 fermes en 10 ans

On vise un réseau de 300 fermes en 10 ans avec une vitesse de croisière de 40 fermes par an. Ces fermes, c’est important de le rappeler, seront orientées sur du maraîchage de petite surface mais pas seulement. On sait que le maraîchage de petite surface est très dur, on le complète avec un peu d’arboriculture et un atelier poules pondeuses de 250 poules. Ce qui améliore le modèle sur le plan économique.


Cultive va-t-elle devenir une marque ?

Oui la marque est déposée, elle pourrait s’appliquer sur des produits transformés par exemple…

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