Littérature et gastronomie, Les Mots à la bouche
Le très érudit Magazine littéraire se penche ce mois-ci sur le thème « Littérature et Gastronomie ». Un dossier copieux comme il se doit, tant les saveurs de la table jouent naturellement un rôle-clé dans l’œuvre d’auteurs nés au pays de la bonne chère. L’intérêt du dossier est qu’il surprend nos grands auteurs à table là où on ne les attendait guère. Ainsi de Rabelais, auquel l’apologie de la goinfrerie est traditionnellement attachée. Une remise en cause qui a de quoi faire frémir toutes les confréries qui se revendiquent de son enseignement. « Ce monde de mangeaille et de flac cons […] ne doit pas faire illusion », écrit Mireille Huchon à propos des scènes de repas épique célébrées par le bon docteur. « Ce sont autant de caricatures sous la plume d’un Rabelais médecin prêt à condamner l’excès et à donner son régime de santé. Lisez la suite de Gargantua. Le nouveau précepteur de Gargantua dénonce sa ‘vitieuse manière de vivre’. Le repas, devenu frugal, est l’occasion de deviser des vertus et propriétés de tout ce qui est servi à table (pain, vin, eau, sel viandes, poissons, fruits, herbes et racines et de leur préparation). » On redécouvre dans ces lignes un Rabelais féru de diététique, conçue comme l’une des branches de la médecine. Une raison de plus pour relire un auteur plus profond qu’il n’y paraît. A l’inverse, le Magazine littéraire sort de l’oubli les agapes de nos grands romanciers du xix e siècle, dont les traces se retrouvaient souvent dans leurs œuvres, dîners bourgeois chez Balzac, épiques chez Zola ou lamentables chez Huysmans. « La table des Zola était entre toutes réputée, signale la revue. Le menu du 7 mars 1894 a été scrupuleusement noté par Edmond de Goncourt : «“Très beau et très fin dîner, bécasses au champagne, dans la sauce duquel salmis est écrasé du foie gras, velouté sucré inénarrable”, etc. » A force de proximité avec la cuisine, certains auteurs en sont même devenus de véritables spécialistes, dans des œuvres où style littéraire et coup de main du cuisinier se confondent. C’est le cas bien sûr de l’irremplaçable Dictionnaire de la cuisine de Dumas Père. Peu d’écrivains français échappent à vrai dire à l’appel de la table. Le très intellectuel Proust n’était pas ainsi que l’écrivain de la madeleine, support du souvenir ; il aurait pu en fabriquer. « Si le papier venait à faire défaut, je me ferai, je crois, boulanger », a-t-il expliqué un jour.
Le Magazine littéraire Dossier « Littérature et gastronomie, Les Mots à la bouche » Novembre 2008 5,80 euros