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La filière œuf, écartelée entre prix et attentes sociétales

La transition vers l’alternatif a été le principal défi de la filière œuf ces dernières années. Mais la grippe aviaire, la flambée des coûts de production et l’inflation changent la donne en 2022.

Que ce soit pour les producteurs, les centres de conditionnement ou les industriels, la question des marges se pose avec force cette année.
Que ce soit pour les producteurs, les centres de conditionnement ou les industriels, la question des marges se pose avec force cette année.
© CNPO

La filière œuf a avancé à grands pas sa transition vers l’alternatif. L’objectif, posé en 2017, était d’atteindre la moitié des poules en élevage alternatif à l’horizon 2022. Objectif finalement atteint en seulement 2 ans. Fin 2021, 67 % des poules étaient élevées dans d’autres systèmes que les cages aménagées, selon les données du Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO). « On était en avance, mais cette avance va fondre », constate d’emblée Loïc Coulombel, vice-président du CNPO, car la réalité du marché a beaucoup changé ces derniers mois.

Avec l’inflation galopante, le prix redevient un critère d’achat primordial, que ce soit pour les industriels utilisateurs d’ovoproduits ou les consommateurs dans les rayons. Aujourd’hui, le marché de la cage est tendu. « Il y a une surenchère des opérateurs sur les contrats cage en ce moment, tout le monde en cherche, surtout ceux qui ont beaucoup basculé vers l’alternatif », confie un opérateur.

Pour faire face aux difficultés d’approvisionnement liées à la grippe aviaire, des adaptations temporaires de cahiers des charges ont été autorisées par la DGCCRF et ont dopé la demande pour le code 3. « Certains éleveurs qui ont investi pour passer en code 2 le regrettent quand ils voient les résultats de ceux qui sont restés en code 3 », soupire un professionnel de la filière. D’autant plus que le code 2 français, qui démarre et doit encore amortir tous les investissements, fait face à des offres néerlandaises très compétitives, puisque le pays a basculé dans les années 2010 et a déjà largement rentabilisé ses bâtiments.

« Certains de nos clients se sont engagés à arrêter de commercialiser les œufs de cage en 2025 – il nous reste trois ans, c’est clair qu’on ne va plus se presser – et à ralentir la transition, surtout quand les devis ne sont pas signés », complète un acteur du milieu. D’autant plus que transformer des bâtiments est devenu plus difficile, avec l’envolée des prix des matériaux de construction, la frilosité des banques et le manque de certaines pièces électroniques. Pour Loïc Coulombel, « la filière va devoir s’emparer du sujet, et communiquer pour faire connaître le code 2 ».

Le bio en pleine crise

Mais le code le plus en difficulté est de loin le code 0. « Le bio fait face à un empilement des coûts, le nouveau règlement bio européen c’est +26 % à la production, soit 4 centimes de plus par œuf », résume Loïc Coulombel. Notamment, car le passage à l’aliment 100 % bio s’accompagne d’une coûteuse baisse de productivité. Et ces coûts supplémentaires s’ajoutent aux autres hausses. Or, le marché du bio s’est nettement retourné en 2021 et les ventes accusent des baisses importantes. Selon le panel Kantar, les achats des ménages d’œufs bio pour leur consommation à domicile ont chuté de 9,2 % au premier semestre, bien plus que la moyenne du rayon (-5,9 %).

« Le bio fait face à un empilement des coûts, le nouveau règlement bio européen c’est +26 % à la production, soit 4 centimes de plus par œuf »
Loïc Coulombel, vice-président du CNPO

En novembre 2021, la coopérative Le Gouessant, acteur historique de l’œuf bio français avait estimé une surproduction de 12,5 % sur le code 0. « Avec la chute des achats des ménages, on arriverait à presque 20 % d’œufs bio en trop au mois de juin », déplore un opérateur du Gouessant. Pour l’amont, c’est un drame économique, mais aussi humain, puisque les contrats arrivant à échéance ne vont pas toujours être renouvelés. Des pionniers du bio, convertis il y a dix ou quinze ans vont ainsi se retrouver face au mur. « Le marché n’est pas mort, il va falloir aider les opérateurs, mais la France a une belle avance sur le bio, avec 22 % des achats des ménages contre à peine 10 % en moyenne chez nos voisins, seul le Danemark fait mieux ! » veut rassurer Loïc Coulombel.

Autre victime de la conjoncture, dans une moindre mesure, le label Rouge. Alors que les achats des ménages des œufs « plein air » ne reculaient que de 4,4 % au premier trimestre, la baisse est de 14,1 % sur le label Rouge. Or, il est difficile de passer les élevages label Rouge en plein air, car les poulaillers ne sont pas les mêmes, plus petits (6 000 poules au maximum), ce n’est pas assez rentable.

Une flambée historique des coûts de production

La rentabilité, c’est la question du moment, face aux hausses incessantes des coûts de production. Le prix de l’aliment des poules pondeuses a commencé à grimper fin 2020, il est passé à des niveaux alors jugés élevés avant de s’envoler dans le sillage de la guerre en Ukraine. À 173,97 points en mai, l’indice Itavi de l’aliment des pondeuses dépasse de près de 53 points son niveau de l’an dernier, « et tout laisse à penser que ce sera toujours aussi tendu dans les prochains mois, malgré le début des moissons », alerte le vice-président du CNPO.

La France n’a pas manqué d’aliments standards, mais de fortes tensions ont été rencontrées pour des aliments sans OGM, « l’Ukraine est le principal producteur de tournesol high-pro et l’arrêt des exportations depuis les ports ukrainiens diminue fortement la disponibilité en augmentant les prix dans les différents bassins. Avant la guerre, il y avait déjà une problématique sur la disponibilité en soja sans OGM », explique Mathilde Le Boulch, ingénieure à l’Itavi. « Nous avons demandé des dérogations sur le "sans OGM" face aux difficultés d’approvisionnement, sans réponse pour le moment », déplore Loïc Coulombel.

Si l’aliment est ce qui pèse le plus dans le coût de production, ce n’est pas le seul paramètre qui augmente : « Énergie, transport, main-d’œuvre et surtout emballage ! liste le dirigeant qui a calculé que tous ces frais généraux représentent près de 1 centime de plus par œuf ! » Le prix de revient se situe aux alentours de 1,50 €/kg pour le code 3, à peu près couvert pour le moment par le prix spot de vente des œufs, qui a fortement monté avec le manque d’offres lié à la grippe aviaire. « Mais des producteurs ne vont pas le remettre en place s’ils n’ont pas un contrat, ils craignent que les coûts de production élevés restent de mise, mais ne soient pas assez couverts par le prix de vente », explique Loïc Coulombel. De tels arrêts momentanés de production sont aussi observés par les opérateurs allemands et espagnols.

Car la revalorisation n’est pas simple. « Avec la restauration collective, la revalorisation est très lente, il a fallu dénoncer des contrats de marché public. Mais nous sommes inquiets, car les budgets des cantines ne seront pas suffisants, il va falloir absolument les revaloriser », s’inquiète le vice-président.

Pour les ovoproduits vendus aux industriels de l’agroalimentaire, la situation est différente, « ils ont dû être réactifs et accepter les hausses, faute de disponibilités, mais ils ont du mal à répercuter auprès des GMS, et leurs marges sont compressées », détaille Loïc Coulombel. « Il va y avoir des défaillances d’entreprises ! » s’alarme-t-il.

Enfin, auprès de la grande distribution, les tarifs ont été revalorisés au fur et à mesure des négociations qui seront rouvertes tous les deux ou trois mois. « Pour le moment, le consommateur n’a vu augmenter que les premiers prix, sur lesquels les marges des distributeurs étaient serrées. Sur le reste de la gamme, la GMS a fait tampon, mais ça ne devrait pas tarder à bouger », estime le dirigeant. Et dernière pierre à la hausse des coûts à répercuter sur le consommateur, le déploiement de l’ovosexage : « L’objectif est de commencer à commercialiser sur la fin de l’année, il sera tenu. Il ne nous reste qu’à faire valider l’accord de financement par les services de l’État », déclare Loïc Coulombel. Car si désormais le consommateur semble surtout penser à son pouvoir d’achat, il est trop tard pour faire machine arrière maintenant que les couvoirs sont équipés ; il faudra bien payer pour cette mesure bien-être qui va coûter 50 millions d’euros à la filière.

à retenir

44 % des œufs sont achetés en magasins par les ménages

36 % sont destinés à la fabrication d’ovoproduits

20 % sont achetés sous forme coquille par la RHD

Quel bilan de la grippe aviaire ?

L’épisode de grippe aviaire qui a frappé la France en début d’année a eu des conséquences importantes sur la filière œuf : 3,3 millions de poules pondeuses abattues, 1,2 million de poulettes non mises en place. « On a estimé à 9 % la baisse de production qui en découle, chiffre Loïc Coulombel. Il n’y aura pas de retour à la normale avant un an. » Les mises en place reprennent progressivement, avec une nouvelle autorisation par zones. « Mais les poulettes vont manquer, notamment en alternatif, car il faut des poulettes élevées en volière et on manque de bâtiments, précise le vice-président qui réfléchit à davantage d’agilité. On peut prolonger des lots, peut-être aussi faire rentrer des poulettes étrangères, quitte à perdre le logo “œuf de France”. »

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