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Catherine Vadon, commissaire de l’exposition “Aventures botaniques en Orient”
Petite histoire botanique dans la grande Histoire

Cet été, fld magazine vous fait visiter l'exposition Aventures botaniques en Orient avec la commissaire Catherine Vadon. Un éclairage sur l'origine de certains fruits et légumes et les voyages des botanistes pour les découvrir.

FLD : Cet été, le Jardin des plantes et l'Institut du monde arabe proposent chacun une exposition sur les plantes orientales. Pourquoi deux expositions ?

Catherine Vadon : Nous sommes en partenariat pour ces expositions. Celle de l'Institut du monde arabe est davantage axée sur le côté jardin, le développement durable, la gestion de l'eau. Au Jardin des plantes, Eric Joly, directeur des Jardins et commissaire scientifique, a réalisé des plantations de plantes orientales : orangers, cédratiers, amandiers, figuiers, hibiscus de Syrie… Et au Cabinet d'histoire, nous avons mis l'accent sur les voyages au Levant – c'est-à-dire le Moyen-Orient actuel qui était une vraie plaque tournante entre l'Europe, l'Afrique et l'Asie –, les hommes qui les ont faits et les plantes qu'ils ont découvertes, ramenées, triées. Les voyages étaient très difficiles à l'époque et les choix pour se déplacer plutôt réduits : dans une caravane à dos de dromadaire, à pied, par la mer.

FLD : Pourquoi ces hommes partaient-ils ? Comment l'histoire a-t-elle débuté ?

C. V. : L'histoire débute en 1635 avec la création du Jardin royal des plantes médicinales qui deviendra en 1793 le Museum national d'histoire naturelle. Les médecins du roi avaient mesuré l'importance des plantes et l'intérêt d'envoyer des botanistes partout dans le monde pour découvrir des plantes utiles et surtout médicinales. Ce n'est que bien plus tard qu'est venu l'intérêt ornemental ou gastronomique. Le médecin de Louis XIV, Fagon, a envoyé un médecin de Montpellier, Joseph Pitton de Tournefort, remarqué pour son intelligence et son ouverture d'esprit, pour un voyage de plus de deux ans au Levant, accompagné du médecin allemand Andreas von Gundelsheimer et du peintre Claude Aubriet. De ce voyage, on a récupéré, entre autres, un herbier et un récit sous forme de lettres “Relation d'un voyage au Levant”. Il a embarqué à Marseille, s'est arrêté en Crète puis dans les Cyclades, à Constantinople, en Turquie, en Géorgie, jusqu'au nord de la Syrie actuelle. Il voulait aller ensuite en Egypte mais a appris qu'une épidémie de peste y sévissait.

Les fruits, les légumes et les fleurs ont voyagé avec les hommes. De tout temps, les hommes ont réalisé des croisements successifs en fonction des goûts et des consommations.

FLD : Comment se déroulait un voyage botanique ?

C. V. : A l'époque – vers 1700 –, on connaissait mal ces pays. Pour ces voyages, il fallait être ouvert d'esprit et avoir de sacrées chances. Les botanistes ne partaient pas avec grand-chose, de l'argent et des lettres de recommandation, et ils voyageaient au petit bonheur la chance. C'était dangereux, il fallait profiter des caravanes, on se déplaçait en groupe pour écarter le danger. René Desfontaines, par exemple, s'est joint au Bey de Tunis (gouverneur) qui allait récolter ses impôts. Parmi les naturalistes voyageurs, certains perdaient la santé, voire la vie. Cela a été vrai jusqu'à la fin du XIXe siècle avec l'arrivée des antibiotiques. Ces scientifiques avaient une passion et une énergie fabuleuses, une foi de découvrir et de transmettre les connaissances. Ils envoyaient des échantillons, un sur cinq cents peut-être arrivait, avec un peu de tout : herbiers, notes, objets... A leur retour, ils devaient trier et analyser leurs découvertes.

FLD : Ramenaient-ils des plantes ?

C. V. : C'est ce que nous voyons dans la deuxième salle d'exposition. Les productions et leurs produits dérivés voyageaient. Les Arabes, très tôt par leurs déplacements vers l'Espagne, les emmenaient avec eux. Les commerçants aussi avec la Route de la soie. Les bulbes et les graines étaient faciles à déplacer mais c'était plus compliqué avec les plants. Cela s'est tout de même fait. Le café arabica par exemple, des hauts plateaux de l'Ethiopie, a été dispersé jusqu'aux Antilles depuis la France (en 1720). Déçu de voir les caféiers chétifs dans les serres du Jardin des plantes, Antoine de Jussieu donne deux pieds – une véritable fortune – à une expédition qui partait aux Antilles. Le succès a été fulgurant. Puis le caféier s'est développé au Brésil, en Inde, en Afrique de l'Ouest.

FLD : Quid des fruits et des légumes ?

C. V. : Les fleurs, les légumes et les fruits ont voyagé avec les hommes. En premier lieu, les agrumes. Nous avons ici un arbre généalogique qui retrace l'histoire des agrumes tels qu'on les connaît aujourd'hui. Par exemple, on peut voir que le pomelo vient en partie du pamplemoussier et en partie de l'oranger doux qui vient lui-même du mandarinier. De tout temps les hommes ont réalisé des croisements successifs en fonction des goûts et des consommations. Et le XIXe siècle a été la grande époque de l'hybridation. L'aubergine en est un bon exemple.

FLD : Justement, d'où vient l'aubergine ?

C. V. : L'aubergine, sous sa forme sauvage, est originaire de l'Ouest de l'Asie. Amère, elle était utilisée comme plante médicinale et a transité comme telle (ou comme adventice) vers l'Est où elle a été domestiquée il y a plus de 2000 ans dans une zone entre l'Inde et la Chine : par des croisements, les hommes ont enlevé l'amertume et elle a été ramenée au Moyen-Orient comme un légume. Puis les Arabes l'ont diffusée en Méditerranée. De nombreuses espèces ont voyagé de l'Est à l'Ouest mais aussi de l'Europe au Levant. Nous avons représenté ces flux sur des cartes réalisées par Delphine Zigoni. Nous y avons mis peu d'exemples, mais des exemples sûrs et parlants.

FLD : Et le melon vient d'Afrique tropicale...

C. V. : Tout à fait. Le melon, comme la pastèque, vient d'Afrique tropicale. Commercialement, le Sahara constituait une barrière difficilement franchissable, donc l'accès au bassin méditerranéen se faisait par le Moyen-Orient et l'Asie. A l'inverse, le chou et le safran, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, sont des espèces européennes – atlantique pour le premier, de Crète pour le deuxième – qui ont ensuite été cultivées au Moyen-Orient, avec parfois la création de variétés spéci-fiques. Autre exemple : le pommier. Le séquençage de son génome montre que la sélection s'est faite à partir de Malus sieversii, un pommier sauvage d'Asie centrale, qui s'est diffusé à la fois vers la Chine et vers le Moyen-Orient. A l'instar du pommier, des espèces comme le cédrat, l'oranger amer, le concombre ou la tulipe sont arrivées de cette lointaine Asie par la Route de la soie.

FLD : Y a-t-il un aspect que vous auriez aimé développer dans cette exposition ?

C. V. : Nous disposons d'un petit espace de 80 m2 et il faut faire des choix parfois drastiques. J'aime raconter comment les humains s'y sont pris pour faire progresser cette connaissance universelle et ce n'est pas souvent mis en avant. J'aurais beaucoup aimé développer l'aspect du voyage des plantes par la mer.

FLD : Comment ramenait-on les plantes à l'époque ?

C. V. : Le transport des plantes par la mer était très compliqué. On les mettait sur le pont des navires pour qu'elles profitent le plus possible de la lumière mais elles gênaient l'équipage, prenaient l'eau salée des vagues, subissaient les attaques des navires ennemis, monopolisaient les rations d'eau potable. On estime que seulement 1 % des plantes qui voyageaient arrivaient à destination. Le médecin londonien Nathaniel Ward a révolutionné le transport en inventant au début des années 1830 la caisse de Ward : une caisse en bois vitrée, étanche et que l'on attachait au pont. Une fois les plantes à l'intérieur, on n'ouvrait plus la caisse, ça fonctionnait en système fermé. Ce fut un progrès technique énorme, jusqu'au développement des voyages en avion dans les années 60.

L'aubergine est originaire de l'Ouest de l'Asie. Elle est d'abord utilisée comme plante médicinale. Puis par des croisements, l'homme a ôté son amertume. Elle a ensuite été ramenée au Moyen-Orient en tant que légume.

FLD : Et aujourd'hui, où en est-on dans les découvertes botaniques ?

C. V. : Le museum poursuit ses expéditions botaniques, avec notamment l'étude des canopées en forêt tropicale humide. Auparavant, les botanistes mettaient au point des systèmes de dirigeables et objets volants pour se poser sur la cime des arbres mais aujourd'hui on peut monter en toute sécurité à 60 m. On découvre tout un monde botanique et entomologique nouveau, notamment une espèce de crabes qui vit dans l'eau de pluie accumulée dans le calice des bromélias [fleurs tropicales, NDLR] ! En parallèle, les progrès biomoléculaires permettent de retracer plus finement le chemin et l'histoire des plantes.

Infos pratiques

L'exposition au Cabinet d'histoire et les plantations au Jardin des plantes se font en partenariat avec l'Institut du monde arabe dans le cadre d'une exposition sur les jardins orientaux.

• Exposition “Aventures botaniques en Orient”, jusqu'au 12 septembre 2016, au Cabinet d'histoire du Jardin des plantes (Paris Ve ) ; • Exposition “Jardins d'Orient, de l'Alhambra au Taj Mahal”, jusqu'au 25 septembre 2016, à l'Institut du monde arabe (Paris Ve ) ; • Itinéraire botanique “Saison orientale” au Jardin des plantes (Paris Ve ).

Bio express

Titulaire d'un doctorat d'océanographie biologique, Catherine Vadon est maître de conférences au Muséum national d'histoire naturelle et chef de projet spécialisée en diffusion des connaissances.

Elle participe à l'élaboration des expositions et écrit des ouvrages à destination du grand public ou de la jeunesse.

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