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Bernard Chevassus-au-Louis, président du Comité consommateur d’Aprifel
« Nous vivons dans une démocratie du risque »

Depuis deux ans, Bernard Chevassus-au-Louis préside le Comité consommateur d’Aprifel. Pour en expliquer l’objectif, il rappelle combien s’apprivoiser est primordial. Eminent chercheur et expert, nous en avons profité pour l’interroger sur la notion de progrès et d’innovations.

Fld : Pour quelles raisons avez-vous accepté la présidence du Comité consommateur d’Aprifel ?
Bernard Chevassus-au-Louis :
C’est une proposition qui m’a été faite, de modérer et animer ces rencontres avec les associations de consommateurs. Je pense que plus les professionnels agissent en amont et plus par temps calme, meilleure est la compréhension des associations de consommateurs. Je me suis rendu compte, de par mon expérience à l’Afssa et du débat autour des OGM, à quel point les professionnels pouvaient très bien connaître leurs clients, mais pas forcément les consommateurs. Le fait de n’avoir aucun intérêt particulier au sens économique du terme cela m’a intéressé. Présider, être le régulateur, cela me plaît. Je connaissais déjà un certain nombre de ces associations à l’Afssa, dans le cadre de la commission OGM, et de nombreuses conférences publiques auxquelles j’ai participé. Les associations de consommateurs croient qu’elles ont en face d’elles des êtres épouvantables. Grâce à ce comité, elles découvrent que le tissu économique est fait de nombreuses PME-PMI, et qu’il n’existe pas un ogre, un vilain sur qui faire reposer toute la responsabilité. Les gens doivent s’apprivoiser, créer un lien de confiance.

Fld : Vous avez posé vos conditions ?
B. C. :
Oui, quelques principes. En premier, que la rencontre se déroule dans un endroit neutre. La symbolique des lieux est très importante. La première réunion, tout le monde était là pour dialoguer et définir ses positions. On a dit aux associations que nous n’étions pas là pour les piéger et que le comité n’avait pas vocation à se prononcer ou à donner sa position. Le dialogue est donc franc. Nous leur avons expliqué comment fonctionne la filière : organisation économique, grossistes, GMS, stations de conditionnement, etc. Et dès la première réunion, elles ont été un peu déçues, car elles pensaient découvrir que quelqu’un s’en mettait plein les poches, qu’ils allaient enfin connaître qui était le vilain. Elles ont compris que les f & l étaient des produits qui brûlaient les doigts et dont il fallait se séparer au plus vite tellement ils sont périssables et à quel point c’était un système de mise en marché très complexe. Et qu’il n’y avait pas un métier en particulier sur lequel pointer le doigt. Nous leur avons aussi expliqué qu’un excédent de 2 % en volume pouvait faire effondrer les prix de 20 à 30 % et inversement, et que toute variation du prix était relayée de manière beaucoup plus forte.

Fld : Ce discours autour du prix a-t-il convaincu ?
B. C. :
Il faut du temps. Nous avons eu le même débat dans le cadre de l’Observatoire des prix et des marges. C’est-à-dire une certaine conviction que, quelque part, quelqu’un empoche plus que les autres.

Fld : D’autres sujets sont-ils prévus ?
B. C. :
Nous terminerons le thème du fonctionnement de la filière, par une visite du marché de Rungis, le 22 mars prochain. Nous serons accompagnés d’un acheteur de centrale d’achat de la grande distribution, qui nous montrera comment fonctionne son système d’achat. Après, on s’attaquera aux questions de santé, pesticides, nitrates, etc. Continuerons-nous sur le thème de l’économie ? Nous verrons. Tout dépendra de ce que voudront les associations. Le fait de créer un lieu de rencontre, cela permet de se comprendre mieux. Par exemple, l’effet sur la santé de faibles doses de produits chimiques mélangés, c’est un dossier qu’il faut apprendre à gérer dans l’incertitude, avec toutes les opinions. Depuis des gens qui pensent qu’il s’agit du prochain génocide à ceux qui pensent qu’on va perdre notre capacité de production.

Fld : N’est-ce pas inquiétant de parler de sécurité sanitaire lorsqu’on aborde le sujet alimentaire ?
B. C. :
Les fruits et légumes sont complètement dans cette ambivalence. Ils ont d’un côté une image produit-santé, les gens sont assez d’accord avec le fait qu’il faut en augmenter la consommation. Et d’un autre côté, ils entendent effectivement que les fruits et légumes ont une face pesticides, nitrates et présence de métaux lourds. Or, le fruit c’est le mythe du paradis terrestre, où l’on pouvait cueillir gratuitement. Et puis ils entendent dire que l’on fait de la sélection, que tout cela est très technologique. Après, tout dépend de l’endroit d’où l’on se trouve, le fait de regarder l’un ou l’autre aspect. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’un consommateur malheureux c’est triste, mais nous sommes dans une société, une démocratie du risque. Une société complexe moderne où il y a sans arrêt des innovations. Et chacun a tendance à caractériser, à catégoriser la nouveauté par rapport à des choses anciennes qu’il connaît. C’est un besoin essentiel qui permet de se rassurer. C’est un peu ce que l’on a vécu avec les OGM et le slogan de Greenpeace “OGM = danger”. Le premier qui catégorise la nouveauté remporte l’adhésion, car les gens ont besoin de savoir dans quelle catégorie la ranger.

Fld : Ressentez-vous de la méfiance de la part des citoyens face aux innovations ?
B. C. :
Il y a peut-être une certaine maturité de la société. Il n’y a pas de facilité du progrès ou une espèce de sens de l’histoire qui ferait que cela irait de mieux en mieux. On a vécu 2 000 ans en disant que le paradis était hier. Puis à partir de 1850, que le paradis c’était demain. Et on se retrouve aujourd’hui dans l’idée que le paradis c’est peut-être maintenant ou demain… L’exemple des pesticides est typique. Pendant longtemps, la dose autorisée était la dose mesurable. On ne pouvait pas détecter moins. Et, puis, avec les progrès de la science, les gens se sont mis à démontrer qu’on trouvait de tout partout. Ils se sont mis à se poser des questions qu’on ne se posait pas avant. Et, ils se sont rendus compte que la capacité de la science à poser des questions allait plus vite que sa capacité à apporter des réponses. Et il y a des tas d’exemples où la science soulève un questionnement. En ce sens, elle est crue.

Fld : Trouver des solutions pour demain, cela passe forcément par l’innovation ?
B. C. :
Il faut expliquer qu’il sera nécessaire de tenir compte des changements globaux (climatiques, démographiques…) et dire que les systèmes de production alimentaires de demain sont à inventer pour nourrir toute l’humanité. Ce ne sont pas les systèmes d’aujourd’hui, qu’ils soient bio ou pas, qui vont être, clé en main, les bons systèmes. Moderniser c’est toujours le débat. Les agriculteurs – enfin certains – voient très mal le fait de revenir à des solutions anciennes. En ce sens, c’est encore une profession, même s’il y a des changements de génération, qui a une vision du progrès linéaire, d’où cette crainte d’être ramené au bagnard de la campagne.

Fld : C’est en ce sens qu’ils sont un peu hostiles à des notions écologiques ?
B. C. :
Tout à fait. Cette grande promesse politique de parité des campagnes et des villes des années 60, de dire que les agriculteurs auraient à peu près le même niveau de vie que d’autres, c’est une des grandes promesses de la politique agricole commune. Grosso modo, on l’a fait. C’est pour eux un acquis de la modernité. Alors pour certains, revenir à l’ancien, la crainte serait de se voir remarginaliser.

Fld : La recherche en nutrition est apparue il y a peu, est-ce exact ?
B. C. :
La nutrition humaine a été effectivement un peu le parent pauvre de la recherche. D’une part parce que la recherche médicale a considéré qu’il y avait d’autres priorités (maladies bactériennes et virales…) et à l’Inra, on s’est focalisé sur l’amont et l’aspect production. La question de la nutrition est donc apparue, tardivement, dans les années 90. Il a fallu convaincre, tout en sachant qu’il y a un phénomène d’échappement. Sur les aspects nutritionnels, on se rend bien compte que l’on n’a accès qu’à une petite partie de la chose alimentaire. L’alimentation est un fait social global. Dans l’acte de se nourrir, on satisfait toute une série de besoins sociaux, psychologiques, esthétiques… Et aujourd’hui, c’est plutôt dans ce fait social global que se jouent les enjeux de demain plutôt que sur des aspects purement nutritionnels.

Fld : Comment rassurer le consommateur ?
B. C. :
Nous sommes dans une société du risque subi et non perçu. La réassurance ne passera pas par l’absence de risque mais plutôt par la confiance en des gens (producteurs, distributeurs) qui font du mieux qu’ils peuvent. Les citoyens ne demandent pas le risque zéro mais plutôt le mépris zéro. C’est certainement une piste plus importante que le fait de dire “On va maîtriser le risque”. Ils n’y croient pas du tout. Le problème d’une filière, c’est comment organiser de la confiance et de la réassurance dans des systèmes de circuits longs avec une multitude d’opérateurs.

Fld : Dans votre ouvrage, vous abordez le principe de précaution. Quel est votre point de vue ?
B. C. :
Les controverses scientifiques sont vécues comme déstabilisantes. Je suis un fervent défenseur de la version française du Conseil constitutionnel du principe de précaution. Très souvent en science la certitude arrive trop tard. On demande l’avis des scientifiques, mais c’est aux Pouvoirs publics de prendre la bonne décision. Et le principe de précaution ne dit pas où il faut placer le curseur et n’excuse pas l’inaction.

Fld : N’y a-t-il pas un risque de vous faire porter une responsabilité qui ne devrait pas être ?
B. C. :
Non, je suis à l’aise là-dessus. Le citoyen paye pour avoir des fonctionnaires à qui il demande de jouer un rôle pour essayer qu’il n’y ait pas de risque dans notre société. C’est le contrat social. Dans la longue histoire de l’humanité, c’est un privilège exorbitant d’être fonctionnaire titulaire chercheur-expert, d’être payé pour faire des choses aussi enrichissantes. C’est un bonheur de faire de la recherche et d’apporter de la réassurance aux citoyens. Et comme le disait un ministre de la Recherche « Un chercheur malheureux est forcément un mauvais chercheur ! »

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