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Dossier : Le biocontrôle doit franchir un cap

IBMA France veut booster l’innovation pour faire passer un palier au biocontrôle. Lors du colloque annuel de l’association fin janvier, les freins au développement du secteur et les leviers à actionner ont été analysés.

La table ronde du colloque d'IBMA France à Paris a été retransmis dans sept autres villes françaises.
© RFL

Le biocontrôle est toujours en progression mais il veut passer à la vitesse supérieure. Selon les derniers chiffres publiés par IBMA France en juillet 2018, l’année 2017 a été marquée par une hausse de 25 % du chiffre d’affaires biocontrôle réalisé par les entreprises membres de l’association. Cette augmentation, du même ordre que celle enregistrée entre 2015 et 2016, fait passer le chiffre d’affaires du biocontrôle à 140 millions d’euros. « C’est à la fois beaucoup et peu », confie Denis Longevialle, secrétaire général d’IBMA France, lors du dernier Sival. Car le secteur a toujours pour objectif de représenter 15 % du marché de la protection des plantes en 2025, un chiffre qu’il est encore loin d’approcher (il représente actuellement 5 % du marché). « Il faudra une progression plus nette les prochaines années pour atteindre cet objectif », reconnaît Denis Longevialle.

 

 

Antoine Meyer, président d’IBMA France, pointe le manque de recherche privée comme l’un des principaux freins au développement du biocontrôle en France. « Il y a actuellement beaucoup de compétences sur le biocontrôle dans la recherche publique, constate-t-il lors du 5e colloque d’IBMA France le 29 janvier dernier. Mais il faudrait aussi développer la recherche privée. Actuellement, pour les membres d’IBMA France, 17 M€ par an sont consacrés à la recherche sur le biocontrôle, sur un chiffre d’affaires de 140 M€, ce qui est déjà énorme. Mais il faudrait passer à 100 M€. Très peu de sociétés aujourd’hui ont leur laboratoire de recherche en France… Incitons les entreprises à investir de la matière grise dans le biocontrôle ».

Le manque d’innovation, une préoccupation majeure

L’association réclame pour cela la mise en place d’un crédit d’impôt-recherche à taux majoré. « Il existe actuellement un crédit d’impôt-recherche générique de 30 %, mais il ne montre pas de résultats. On demande qu’il soit majoré à 60 % pour le biocontrôle, explique Antoine Meyer. Il faut faire en sorte que les entreprises qui ne sont plus en France reviennent. Ce crédit d’impôt-recherche doit s’appliquer sur dix ans, une durée qui permettrait aux grands groupes d’avoir une visibilité sur le long terme ». Cette mesure avait été proposée à l’Assemblée nationale par un amendement du député Jean-Baptiste Moreau (LREM) lors de l’examen de la loi Egalim, mais elle avait été rejetée. « Je souhaite pouvoir revenir sur ce sujet et en débattre prochainement, lui répond Patrick Dehaumont, directeur général de l’alimentation (DGAL, ministère de l’Agriculture). J’entends vos propositions pour booster la recherche et l’innovation ». Le manque d’innovation est aussi une préoccupation majeure de Roger Genet, directeur général de l’Anses, qui évalue les produits phytosanitaires et délivre leurs autorisations de mise sur le marché. « Le nombre total de substances actives sur le marché diminue, sans qu’il y ait forcément des alternatives. On a absolument besoin de ces alternatives », insiste-t-il. Aujourd’hui, 323 substances actives sont autorisées au niveau européen, contre 485 en 2008. Parmi elles, 83 concernent le biocontrôle (contre 77 en 2017).

Communiquer les nouvelles pratiques

« Malgré ces freins, le biocontrôle est en train de s’installer dans le paysage », assure Christian Pèes, vice-président de Coop de France. Selon lui, les coopératives françaises sont engagées à travailler sur ces sujets et à y mettre toutes leurs forces, mais il faudra du temps. « Il y a 5-6 ans, on sentait que le marché allait tourner », évoque pour sa part Bertrand Swiderski, directeur RSE du groupe Carrefour, admettant qu’il faut encore trouver le bon moyen pour communiquer sur les nouvelles pratiques de production aux consommateurs. C’est aussi ce que cherche à faire la filière du jardinage amateur, pour laquelle l’usage des produits phytosanitaires de synthèse est interdit depuis le 1er janvier 2019. « Pour un jardinier amateur, il faut pouvoir comprendre le passage du chimique de synthèse vers le biocontrôle », mentionne Nicolas Marquet, directeur général de l’Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics (UPJ), tout en regrettant de ne pas avoir suffisamment de temps pour combler les usages vides, « comme l’entretien des gazons ». Avec la réglementation et l’innovation, la formation est l’un des trois leviers sur lesquels IBMA France travaille pour développer le biocontrôle. L’association a créé dans ce sens l’Académie du biocontrôle afin de transmettre des contenus de formation.

Une harmonisation très attendue

« En France, il y a déjà cette chance que le biocontrôle soit défini dans le Code rural », déclare Antoine Meyer lors du colloque d’IBMA France. Car ce n’est pas encore le cas au niveau européen, chaque pays ayant sa propre définition, ou pas de définition du tout comme l’Allemagne. Le gouvernement français souhaite fortement que le biocontrôle soit reconnu par l’Union européenne. « Il faut viser un même vocabulaire sur le mot biocontrôle. Une harmonisation au niveau européen, voire mondial est nécessaire. Il y a un risque de perdre des marchés sans cela », met en garde Frédéric Favrot, vice-président d’IBMA France.

Des listes non exhaustives

Au fil des ans, la réglementation française sur le biocontrôle se précise. En 2014, la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a introduit la définition des produits de biocontrôle dans le Code rural. Deux textes introduisent des premières listes de produits de biocontrôle : l’arrêté de février 2015 avec sa liste « T0 » des macro-organismes non-indigènes (les seuls réglementés) et la note de service de la DGAL, mise à jour tous les deux mois environ, établissant la liste des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle. Mais ces listes ne sont pas exhaustives. En effet, pour passer en revue l’ensemble des solutions de biocontrôle, il faut ajouter à ces deux listes les macro-organismes indigènes et les produits phytosanitaires de biocontrôle ne remplissant pas les critères de la DGAL. Durant le colloque, IBMA France a émis le souhait de « l’établissement d’une base de données unique sur le biocontrôle ».

Christian Pèes, Coop de France

« Démontrer leur efficacité »

« Changer, ce n’est pas substituer un produit par un autre. C’est long. En agriculture, le pas de temps de l’innovation, c’est de l’ordre de la décennie la plupart du temps. L’impatience du marché est légitime mais il y a des délais que l’on ne pourra pas raccourcir. Si on a un prix rémunérateur, si l’agriculteur a une prime de risque, il ira vers les solutions de biocontrôle. Il faut aussi démontrer leur efficacité. Si le producteur voit qu’une solution marche chez le voisin, il l’adoptera aussi, c’est aussi simple que ça. »

Antoine Mayer, IBMA France

« La RPD est un filtre qui restreint le nombre de produits »

« Atteindre 15 % du marché de la protection des plantes représente pour le biocontrôle un seuil symbolique irréversible, au-delà duquel le système bascule. Pour favoriser l’innovation, outre la mise en place d’un crédit d’impôt-recherche à taux majoré, nous proposons que les produits de biocontrôle ne soient pas concernés par la Redevance pour pollution diffuse (RPD). Pour qu’un produit figure sur la liste de biocontrôle, il y a déjà une évaluation sur la toxicité pour l’environnement. Aujourd’hui, la RPD est un filtre qui restreint le nombre de produits de biocontrôle. On est déjà suffisamment taxés, la taxe de pharmacovigilance suffit largement. Par ailleurs, nous proposons d’inscrire dans la liste des produits utilisables en agriculture biologique toute solution qui a été inscrite sur la liste des produits de biocontrôle.»

Nicolas Marquet, Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics

« Il faut diffuser les pratiques »

« L’usage des pesticides de synthèse, déjà interdit en espaces verts depuis deux ans, l'est désormais aussi pour les jardiniers amateurs depuis le 1er janvier 2019. Cette date n’est pas une rupture mais une accélération vers les solutions naturelles. Il ne faut pas que ça génère un recul du végétal amateur. Le jardinage « au naturel » est plus compliqué que le conventionnel, le nier serait une faute. Les jardiniers experts sont au courant des pratiques, mais il faut les diffuser, les apprendre à tous, même aux plus inexpérimentés. Il y a un risque de voir certains se détourner du jardinage amateur, ainsi qu’un risque de détournement des usages. Il y a un besoin de produits spécialement développés pour les amateurs.»

Roger Genet, Anses

« Le respect strict des délais d’homologation n’est pas toujours possible »

« 284 produits de biocontrôle sont autorisés en France en 2018, soit 15 % des produits sur le marché. L’Anses a délivré 53 AMM pour le biocontrôle en 2018, contre 45 en 2017. En 2015, on avait un stock de produits en cours d’homologation à résorber. On a donc pris du retard. On veut tendre vers un délai d’instruction moyen de l’homologation de huit mois. Mais le respect strict de ces délais n’est pas toujours possible. On est bien conscient qu’ils sont trop longs, pour des raisons variées. Par exemple, la qualité des dossiers ne répond pas toujours aux exigences réglementaires. Autre frein, certains dépôts sont acceptés avant que la substance active ne soit acceptée au niveau européen. Par ailleurs, pour un produit, tous les usages demandés doivent être évalués. Cela représente souvent un nombre important d’usages à tester. L’Anses doit s’améliorer sur tous les points, mais elle n’est pas toujours maître des délais.»

Bertrand Swiderski, groupe Carrefour

« Une stratégie de transition alimentaire »

« Le client a vraiment changé. Cette transition du client doit se traduire en une transition du pays. Ce constat nous a fait prendre une stratégie de transition alimentaire, avec la filière qualité Carrefour : des méthodes respectueuses de l’environnement, un prix juste et un partenariat de longue durée avec les agriculteurs via la contractualisation. Quand on crée de la valeur, on peut la reporter sur le prix au consommateur. Il faut éduquer les consommateurs sur les imperfections des produits. On va mettre un certain temps à leur faire accepter les imperfections, les produits moins beaux.»

Patrick Dehaumont, DGAL

« La promotion auprès de l’UE est un axe de travail essentiel »

« Un certain nombre de signaux font penser que l’on avance fortement. Le biocontrôle est un levier que l’Etat a souhaité porter. Notre soutien a été constant en la matière. Nous souhaitons accompagner cette transition agroécologique. On fait le constat que le biocontrôle permet de répondre à un certain nombre de besoins mais il faut avancer sur la formation et les itinéraires techniques. Mais ces produits restent des produits phytosanitaires, ils doivent être évalués et encadrés pour garantir leur efficacité et leur innocuité. La promotion auprès de l’Union européenne est un axe de travail essentiel. Nous poussons fortement le dossier au niveau européen.»

 

Les modalités d'évaluation en question

Les modalités d’évaluation des agents de biocontrôle semblent être un frein à leur développement. C’est ce qu’ont exprimé de nombreuses personnes présentes lors des ateliers à Angers du colloque d’IBMA France. Le plus souvent, les agents de biocontrôle sont évalués dans des itinéraires classiques, en comparaison avec des produits de synthèse. « Il faudrait les évaluer "en valeur pratique", en adaptant l’itinéraire technique si cela est nécessaire », souligne un fabricant de produits de biocontrôle. Le manque de connaissances sur les cibles exactes des agents de biocontrôle pose également problème pour les évaluer. « A la différence des produits de synthèse, qui agissent sur toutes les espèces d’un pathogène, les agents de biocontrôle ne sont parfois actifs que sur certaines espèces, note Emmanuel Pajot, d’Auxo Végétal, consultant en biointrants agricoles. Il faudrait plus de connaissances et des outils pour savoir sur quelles espèces ils agissent. »

En région nantaise, l’utilisation de produits de biocontrôle contre les problèmes de dépérissement liés à des pythium s’avère ainsi difficile. « Quatre espèces de pythium peuvent être en jeu et il faudrait plus de moyens d’analyse pour savoir quelle espèce est présente », estime un opérateur de la Coopérative d’approvisionnement des maraîchers nantais. Le fait que certains agents de biocontrôle aient une efficacité en laboratoire mais pas au champ interroge également. « Au champ, les agents de biocontrôle sont confrontés à différents stades physiologiques, ce qui n’est pas le cas en laboratoire, note Mathilde Briard, d’Agrocampus Ouest. De plus, les conditions d’application varient beaucoup entre le laboratoire et le champ. »

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