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La noix, culture business au Chili

Une nouvelle génération de producteurs chiliens joue sans complexe la carte de la productivité, portée par la demande internationale.

Les voyages forment… la nuciculture. Après la Chine en 2013, une petite délégation de producteurs dauphinois, tous membres du bureau de la Senura (1), s’est rendue au huitième Symposium international de la noix, qui s’est tenu à Santiago du Chili en 2017. Au-delà des échanges sur les travaux de recherche menés par les pays représentés, le voyage d’étude a permis aux Français de visiter des vergers high-tech. « On parle beaucoup de la noix du Chili dans le commerce : c’est bien d’aller voir ce que c’est, souligne Florence Reiner, la directrice de la Senura. Les exploitations que nous avons visitées sont un mélange entre notre mode de production et le système américain. C’est intensif, bien plus que chez nous. Ils se sont inspirés de tout ce qui marche chez les autres et l’ont transposé chez eux. »

La noix devenue un business d’investisseurs

Le résultat est surprenant, surtout pour des producteurs ancrés dans une culture traditionnelle comme celle de la noix de Grenoble. Les vergers visités lors du « pré-tour » chilien appartiennent à une nouvelle génération de producteurs. Car les choses ont beaucoup changé en quinze ans. Au tournant des années 2000, le Chili produisait entre 10 000 et 20 000 tonnes de noix par an, grâce à une myriade de petites exploitations. La logique s’est depuis inversée. Marché international oblige, la production nucicole est devenue un vrai business, détenu par des investisseurs qui raisonnent en hommes d’affaires. Résultat : la production a été multipliée par cinq et vise les 125 000 tonnes à l’horizon 2025 (2).

La recette de ces nouveaux producteurs est simple : « Ils prennent le meilleur et ne se mettent aucune limite environnementale ni sociétale, résume Philippe Pascal, producteur à Saint-Hilaire-du-Rosier et membre du bureau de la Senura. Ils ont de l’espace, de très bons sols, un super potentiel, mais ils font une sorte de culture hors sol. » En effet, leur objectif n’est pas d’installer une culture durable, mais d’obtenir des rendements. La plupart d’entre eux sont des investisseurs privés qui cherchent avant tout un retour sur investissement rapide. Une démarche à l’opposé de celle des producteurs de noix de Grenoble. « Nous, dans nos exploitations, nous cherchons à pérenniser une culture que nous voulons transmettre, explique Christian Nagearaffe, nuciculteur à Montmiral, dans la Drôme, également administrateur du CING (3) et de la Senura. Les Chiliens, eux, dans 15 ans, ils feront sans doute tout autre chose. Ils arracheront tout, sans complexe, et se lanceront dans une autre production. »

Tout d’un productivisme assumé

Cette approche pragmatique se traduit par un productivisme assumé. Les exploitations sont de grandes tailles (80 à 400 hectares), les vergers récents (2010), densément peuplés, majoritairement avec de la Chandler, une variété californienne qui présente le double avantage d’une mise à fruits précoce et de produire des noix de gros calibre (34 à 36 mm). Les vergers sont complétés avec de la Franquette, de la Cisco et de la Fernor afin d’améliorer la période de pollinisation, car « la pollinisation est un problème chez eux, surtout dans le sud où ce sont des vergers neufs », relève le compte rendu technique de la Senura.

Concernant la conduite des cultures, la pratique est évidemment très différente de ce qui se fait en France. Les « protocoles » ne sont pas pensés par les producteurs eux-mêmes, mais par des « consultants » qui fournissent des solutions clé en main. « Les Chiliens que nous avons rencontrés disposent d’un suivi technique très poussé, un peu comme chez nous les producteurs en élevage intégré », constate Philippe Pascal. Pas la peine de chercher chez eux la moindre réflexion agronomique. Dans les exploitations visitées, le sol n’est pas un garde-manger, mais un simple support. Une grande importance est cependant accordée à la taille et à l’irrigation. « On n’est pas là pour produire du bois, mais des fruits », justifient les producteurs chiliens. Et ça marche : le rendement à l’hectare atteint aujourd’hui 6 à 7 tonnes (contre 3 à 5 tonnes, les bonnes années en Isère). « Pour eux, un arbre, ça ne doit jamais être stressé et ne pas avoir de maladie. Ils misent énormément sur l’irrigation », remarque Philippe Pascal.

L’efficacité avant tout

Même raisonnement pragmatique pour les traitements. Le recours à la chimie ne pose d’ailleurs aucun problème. Outre les traitements contre le phytophtora, la bactériose (1 à 12 traitements selon les zones) et le carpocapse (5 applications et un suivi par piège), les Chiliens « gèrent beaucoup leurs cultures avec des hormones de synthèse », constate Benoît Villard, producteur bio à Hostun et membre de la délégation de la Senura. L’efficacité étant la règle, ils utilisent des régulateurs de croissance en début de saison, du Dormex pour accentuer le repos et favoriser la mise à fruits, et des mûrisseurs pour homogénéiser la maturité et faciliter les chantiers de récolte. Pour la fertilisation, c’est l’analyse foliaire et l’estimation de la récolte qui permettent de déterminer la nutrition des arbres et d’apporter les corrections nécessaires.

Cette approche décomplexée interroge les nuciculteurs français. Si la délégation de la Senura ne cache pas son intérêt pour certaines techniques, elle se dit très réservée quant à la durabilité d’un tel système, la qualité et les coûts de production. « C’est beau, mais ce n’est pas bon : c’est du tape-à-l’œil, juge Benoît Villard. Nous avons rapporté des noix à la Senura : personne n’a voulu les manger ! » Jaloux, les Français ? Pas vraiment. Les producteurs des deux pays ne jouent pas dans la même cour. Et si les Français reconnaissent avoir des choses à apprendre en termes d’irrigation, ils se disent « choqués » par le côté « no limit » des Chiliens sur le plan environnemental. Un élément clé pour qui veut conquérir le marché européen.

Marianne Boilève

(1) Station d’expérimentation nucicole Rhône-Alpes.

(2) A titre de comparaison, la France est aujourd’hui le deuxième producteur européen, avec une production de 38 000 tonnes (dont un peu plus de 14 000 en noix de Grenoble).

(3) Comité interprofessionnel de la Noix de Grenoble.

Visite de post-récolte

En post-récolte, les Chiliens utilisent une laveuse. Il s’agit d’un système qui permet de séparer les noix vertes et les envoie directement à l’écalage. L’avantage réside dans un gain de temps. Ensuite, le séchage est réalisé à 42°C en deux jours, dans un séchoir cylindrique vertical avec extracteur central, de marque chilienne. L’air traverse horizontalement et il y a seulement un mètre à traverser.

Taille, irrigation, traitement… la rentabilité prime

La conduite des vergers chiliens de nouvelle génération ne s’embarrasse pas de préoccupations environnementales. Taille, traitement, irrigation : tout est bon pour faire pousser les arbres et obtenir de gros fruits. La taille est particulièrement importante. Les jeunes plants sont des scions d’un an (1m50), épointés à 60 cm de haut, conservant trois à quatre branches pour équilibrer l’arbre et favoriser le développement racinaire. Grâce à l’irrigation, la pousse est très rapide : les arbres présentent 1m50 de circonférence racinaire dès la première année. La seconde année, la taille consiste à laisser les branches latérales et à dégager les deux branches autour de l’axe. Les troisième et quatrième années, la plus grosse branche est enlevée de façon à répartir la vigueur entre les autres et à augmenter la mise à fruit. La taille devient mécanique au bout de sept ans. L’objectif est alors de ne pas dépasser six mètres de haut pour favoriser la lumière et l’aération. L’irrigation est également pilotée avec le plus grand soin. Ayant établi une corrélation entre enracinement et rendement (un enracinement de 60 cm permet de produire 4 t/ha ; un enracinement de 1,2 mètre donne 7 t/ha et plus de 2 mètres donne 8 à 10 t/ha), les Chiliens contrôlent le développement racinaire de leurs arbres en jouant sur l’irrigation, et même sur la ferti-irrigation. Ils sont d’ailleurs nombreux à gérer leur système à l’aide de sondes. En raison du vent, ils privilégient le goutte-à-goutte (3 à 5 lignes/rang), qu’ils utilisent comme l’aspersion dans le verger dauphinois. Mais ils préfèrent « simuler une pluie que de le mettre en permanence, car ça provoque moins de dégâts sur bactériose et phytophtora », note Agnès Verhaeghe, de la Senura. Ces observations ont conduit la délégation à réfléchir sur les liens entre irrigation et développement racinaire.

Source : compte-rendu de la Senura

En chiffres

Récolte

Récolte prévue : 105 000 t en 2017-2018
80 % des fermes a plus de 100 ha
Depuis 5 ans, les plantations se sont accélérées.

Vente

Les producteurs vendent aux exportateurs qui sèchent et exportent.
2016/2017 : 3,20 $kg pour producteurs de fruits secs en tout venant et +10 % pour très haute qualité
Coût de production : 1,20 $kg
Marge : 2 $/kg

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