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Les plantes de services à la rescousse

En action directe contre les ravageurs ou pour favoriser leurs ennemis naturels, l’utilisation de plantes de services est une piste prometteuse dans une stratégie de protection des cultures légumières.

Le projet Agath vise à étudier les effets de différents types de plantes de services sur les dégâts de Thrips tabaci en culture de poireau.
© Ctifl

Le terme de plantes de services désigne les plantes dont l’usage apporte un ou des avantages aux cultures et qui ne sont pas destinées à être commercialisées. Ces avantages peuvent être liés à la fertilité du sol (engrais verts et couverts végétaux), à la gestion des maladies et ravageurs du sol, ou à celle des bioagresseurs aériens. Dans ce dernier cas, on distingue les plantes qui agissent directement sur les ravageurs et celles qui ont un effet sur les ennemis naturels (EN) des ravageurs. Ces dernières années, plusieurs essais d’expérimentation ont porté sur l’utilisation de plantes de services, et des composés organiques volatils (COV) qu’elles émettent, dans des stratégies de lutte contre les ravageurs aériens. Le projet Casdar Agath, porté par le Ctifl en partenariat avec huit stations régionales, soutenu par le Casdar et labélisé par le GIS PICleg, a permis d’identifier des plantes de services pouvant être utilisées notamment dans la gestion du thrips du poireau et dans celle des pucerons sur melon. Grâce à des tests d’olfactométrie en laboratoire, l’effet de différentes espèces végétales sur le comportement de ces deux ravageurs a pu être caractérisé : attraction, évitement ou répulsion. Par exemple, la coriandre a un effet répulsif sur Thrips tabaci en laboratoire. Le basilic, le bleuet ou l’œillet d’Inde ont le même effet sur le puceron Aphis gossypii. Mais les résultats prometteurs en conditions semi-contrôlées ne se confirment pas nécessairement au champ. « L’effet de ces trois plantes sur Aphis gossypii disparaît au champ, car l’odeur du melon masque celle des plantes répulsives », explique Sébastien Picault, Ctifl, lors de la rencontre technique Légumes en agriculture biologique consacrée aux plantes de services, organisée par le Ctifl et l’Itab en mars dernier. C’est toute la difficulté de l’utilisation des plantes de services. Les interactions entre la culture, les ravageurs, leurs EN, les plantes de services et l’environnement sont particulièrement complexes et ne peuvent pas être toutes maîtrisées.

Des résultats encourageants pour les plantes répulsives

Pour le poireau, les plantes identifiées comme répulsives en laboratoire ont été testées au champ selon deux dispositifs : en bandes fleuries tout autour de la parcelle, et en association directe à la culture. Autour de la parcelle, les plantes répulsives ont eu un effet sur la présence des thrips dans la culture de poireau : presque deux fois moins de thrips ont été retrouvés dans le cornet des plantes par rapport à la parcelle témoin. « Mais à la récolte, les dégâts sont tout aussi sévères que dans la parcelle témoin », nuance l’expérimentateur. En association directe à la culture, les plantes répulsives ont eu un effet très significatif sur la densité de population des thrips dans les cornets. Lors d’essais réalisés en 2017, alors que les cornets des parcelles témoin présentaient plusieurs centaines d’individus, ceux des parcelles « associées » n’en présentaient que quelques dizaines. A la récolte, la sévérité des dégâts a augmenté de façon importante au cours du temps chez le témoin. Sur les parcelles « associées », l’augmentation des dégâts est beaucoup moins marquée. Ainsi, au 13 octobre, près de 80 % des poireaux récoltés issus de la parcelle témoin étaient non commercialisables (selon un système de classes de dégâts conçu spécialement par le Ctifl pour le projet). Sur les parcelles « associées », seule une toute petite partie des poireaux récoltés était non commercialisable. « La parcelle associée parvient à atteindre le rendement escompté de 80 t/ha, mais avec un à deux mois de retard sur le témoin, constate Sébastien Picault. Il faut pouvoir accepter ce délai. Ce système n’est pas opérationnel pour être utilisé en production, la question de l’enherbement notamment est cruciale et très difficile à gérer lors d’une association de culture. Mais l’utilisation de plantes répulsives semble très prometteuse. »

Les plantes ressources au service des auxiliaires

Les plantes de services peuvent également offrir gîte et couvert aux auxiliaires des cultures, et favoriser indirectement le contrôle des ravageurs. Parmi elles, les plantes ressources ont pour objectif d’attirer les EN des ravageurs en leur procurant les ressources énergétiques - nectar, pollen - utiles à la production de leurs œufs. Les plantes banques hébergent des proies ou hôtes de substitution pour les auxiliaires qui doivent leur permettre d’effectuer leur cycle complet. Lors d’un autre essai du projet Agath, l’activité des prédateurs de thrips a augmenté significativement dans les parcelles de poireau bordées par ces plantes ressources et plantes banques par rapport aux parcelles témoins. « Mais l’activité de Thrips tabaci était également bien plus importante dans les parcelles aménagées, détaille l’ingénieur du Ctifl. Au final, la présence de ces plantes a entraîné une augmentation des dégâts sur poireau à la récolte. Les ressources nutritives du ravageur et des EN étaient ici similaires, ce qui a constitué un facteur d’échec. » Le Grab a également étudié la possibilité d’utiliser des bandes fleuries comme plantes ressources, avec le projet multipartenarial Macroplus. L’objectif est de renforcer l’installation de l’auxiliaire polyphage Macrolophus pygmaeus dans les abris de tomate. Une vingtaine d’espèces de plantes sensées lui être favorables ont été semées en essais station et chez des producteurs, selon des dispositifs variés. « En 2014-2015, la plantation de bandes pérennes de souci sous abri chez un producteur a permis une présence très importante de M. pygmaeus, décrit Jérôme Lambion, du Grab. L’auxiliaire s’est réfugié dès octobre sur les plants de souci, s’y est maintenu et reproduit pendant l’hiver. Au printemps, M. pygmaeus a quitté le souci et l’a recolonisé à l’automne suivant. »

Transfert actif des bandes fleuries vers la culture

Des bandes de souci hébergeant des Macrolophus sont de bons réservoirs à auxiliaires. Sans intervention, il apparaît que la partie de la culture proche de la bande fleurie est mieux pourvue en auxiliaires que la partie éloignée, d’où une certaine hétérogénéité. « Ces deux dernières années, nous avons également testé le transfert actif de Macrolophus, expose Jérôme Lambion. On coupe le souci, qui héberge Macrolophus, puis on place les tiges dans la culture et on les laisse sécher. En procédant ainsi, on gagne du temps sur le transfert entre les bandes fleuries et la culture et on renforce l’homogénéité de Macrolophus dans la culture ». Que ce soit en transfert actif au sein d’un même tunnel ou entre deux tunnels différents, une diminution des populations de Tuta absoluta et d’aleurodes a été observée. Une autre utilisation des plantes de services peut être de profiter des propriétés attractives de certaines plantes vis-à-vis des ravageurs afin de les éloigner des cultures. Ces plantes pièges doivent être plus attractives que la culture pour permettre un regroupement des ravageurs, qui sont ainsi beaucoup plus faciles à gérer. Un essai du projet Agath a consisté à installer tout autour d’une parcelle de poireau deux bandes : une de chanvre (côté culture) et une de maïs (vers l’extérieur). Le maïs joue le rôle de plante-piège. Il est traité au Success 4 pour détruire le thrips une fois celui-ci attiré. Le chanvre fait office de plante-écran : il doit empêcher le thrips de pénétrer dans la culture de poireau. « Ce dispositif n’a pas du tout fonctionné, les dégâts de thrips étant équivalents entre la parcelle de poireau témoin et celle aménagée avec les bandes de maïs et de chanvre, rapporte Sébastien Picault. Le poireau est trop attractif pour T. tabaci, qui passe la totalité du cycle dans la culture. »

« L’utilisation de plantes répulsives semble très prometteuse » Sébastien Picault Ctifl

Trois utilisations des plantes de services sur d’autres cultures

1 Horticulture. Des essais sont menés depuis 2011 à la station Arexhor Pays de la Loire pour gérer les dégâts d’otiorhynque en pépinière ornementale avec des plantes pièges. « Comme tout polyphage, l’otiorhynque a des préférences, explique Tom Hebbinckuys, Arexhor, au cours d’une conférence du Sival 2018. Ainsi, des pots de Bergenia, installés au milieu de la production juste avant l’émergence des adultes, sont très attractifs pour l’otiorhynque. » On retrouve dans les pots des larves en grande quantité qui dévorent les racines. Les plantes pièges sont ensuite éliminées à l’automne. Le cycle de reproduction du ravageur est ainsi cassé, beaucoup moins d’adultes sont présents au printemps suivant.

2 Viticulture. Un système mis en place au lycée viticole d’Amboise associe des rangs de rosiers à la vigne pour permettre à l’auxiliaire Anagrus atomus d’accomplir son cycle complet sur la parcelle. « Ce micro-hyménoptère parasitoïde permet de lutter contre la cicadelle verte », expose David Lafond, IFV Val de Loire, lors du Sival 2018. Les rosiers doivent ainsi servir de plantes relais à Anagrus atomus, qui passe l’hiver en parasitant des œufs d’autres cicadelles que l’on retrouve sur certaines essences de Rosacées. Les premiers résultats sont peu significatifs en raison d’une faible pression en cicadelle, mais ils montrent la complexité des interactions entre bioagresseurs, parasitoïdes, culture et plante-hôte.

3 Semences. Les plantes de services sont très utilisées en production de semences comme couvert pour l’implantation des cultures porte-graine. L’objectif est de limiter la présence d’adventices en les concurrençant avec le couvert. « La culture porte-graine peut ainsi être plus développée, plus concurrentielle vis-à-vis des adventices et plus apte à produire des graines que sans la présence de couvert », énonce Serge Bouet, Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences. Les couverts les plus pratiqués sont la luzerne sous tournesol, le persil sous tournesol ou les graminées sous céréales ou pois de printemps. D’autres implantations sont à l’étude, comme la luzerne sous sarrasin.

Associer les effets par le push-pull

Les propriétés d’attraction et de répulsion de certaines plantes peuvent être associées au champ pour manipuler le comportement d’insectes ravageurs. C’est la stratégie de push-pull, qui consiste à éloigner le ravageur de la culture grâce à des plantes répulsives intercalées dans la culture ou des diffuseurs de COV répulsifs (push) et à l’attirer en périphérie sur un hôte de substitution qui agit en plante piège. Un exemple de push-pull très utilisé en Afrique consiste à installer des plants de Desmodium entre les rangs de maïs pour éloigner la pyrale du maïs. Celle-ci est attirée par les COV émis par l’herbe à éléphant Pennisetum purpureum installée autour de la culture et s’y installe. L’herbe à éléphant produit un mucilage qui étouffe les larves de la pyrale.

Une stratégie de push-pull est en élaboration à l’Inra de Rennes pour lutter contre la mouche du chou Delia radicum. La composante push est représentée par le DMDS ou l’eucalyptol et la composante pull par le chou chinois, avec en plus des diffuseurs de phéromone pour la renforcer. « L’efficacité est encore théorique, prévient Fabrice Lamy, Inra. Il n’existe pas de système clé en main. Notamment, la diffusion spatiale de COV ne peut pas être contrôlée. Ces systèmes restent pour le moment expérimentaux. »

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