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Comment désherber sans linuron ?

L’interdiction du linuron, pilier du désherbage de nombreuses cultures légumières de plein champ, début juin 2018, nécessite une recomposition des programmes de désherbage et le développement du désherbage mécanique.

Les "tournaires" sont des zones témoins de l'état d'enherbement "naturel" d'une parcelle et de l'effet des programmes de désherbage.
© RFL

Passé le 3 juin 2018, les spécialités à base de linuron (Afalon 50 L, Calin 450, Linagan, Norunil 50 Sc…) deviennent des PPNU : Produits Phytosanitaires Non Utilisables. A cette date, leur retrait effectif interdira tout emploi de cette substance active pour le désherbage des carottes, céleri-rave et céleri branche, persil, poireau et pomme de terre, cultures sur lesquelles cet herbicide était homologué. « La carotte est la culture qui sera la plus impactée par la disparition d’un des piliers des programmes de désherbage. Avec un positionnement pratique possible à différents stades de la culture en pré ou post-levée, le linuron permettait un contrôle en pré-émergence des adventices ainsi qu’en post-émergence », mentionne Bruno Pitrel, Sileban. Les céleris, rave et branche, se retrouvent dans une situation analogue à la carotte. Le persil dispose d’autres homologations constituant une gamme relativement large et complète pour pallier le manque. Bien qu’homologué pour le désherbage du poireau, le linuron était peu utilisé et sa disparition devrait poser moins de problèmes sur cette culture. « Même si la réduction des désherbants est quantitativement un objectif, il est nécessaire de conserver un minimum de diversité des substances actives et de modes d’action par usage », note Bruno Pitrel, Sileban.

Risque de sélection de la flore

« Après l’interdiction du linuron, une dizaine de désherbants avec des spectres spécifiques qui nécessitent l’utilisation en association ou en programme sera disponible pour le désherbage de la carotte », précise Emilie Casteil, responsable technique de l’AOPn Carotte. Ainsi, les programmes recomposés sans linuron s’appuient sur les autres produits. Le désherbage de post-semis/pré-lévée (PSPL), étape décisive de la maîtrise de mauvaises herbes, peut être réalisé avec l’association de Prowl 400, Centium 36 CS et Challenge 600. Défi et Challenge 600 sont toujours utilisables au stade post-levée. Le sencoral peut être utilisé pour la gestion des amarantes. « Chaque produit a des doses et des nombres d’applications maximum autorisées. Lorsque deux cultures de carottes se succèdent sur une même parcelle, carotte primeur puis carotte de saison, la gestion des adventices en culture 1 peut limiter les moyens disponibles pour la seconde culture », mentionne Sarah Bellalou, Invenio. « L’affaiblissement des spectres des programmes de désherbage et leur manque de complémentarité risque d’accroître les insuffisances d’efficacité et les risques de résistances. Des effets de sélection de flore sont à craindre sur des espèces telles que la morelle noire ou les matricaires notamment. Ce retrait va également amplifier le problème du souchet », estime Bruno Pitrel. Car si celui-ci ne détruit pas cette plante très envahissante (voir encadré), il contribue à limiter sa vitesse de propagation. « La disparition du linuron impliquera l’augmentation de l’IFT désherbage en carotte puisque plusieurs produits devront être utilisés en association ou en programme, pour tendre vers une efficacité équivalente », fait remarquer Emilie Casteil. Les céleris, rave et branche, voient également disparaître un herbicide très utilisé pour sa flexibilité. De plus, ces cultures ne disposent que de Challenge 600, Prowl 400, Centium 36cs et Défi à associer dans des programmes, Sencoral n’étant pas homologué pour ces usages. « Les stratégies de désherbage à base de Challenge, Centium et Prowl devraient être appliquées plus précocement, deux semaines après plantation, et en plusieurs passages », suggère Lilian Boulard, Planète Légumes. Le spécialiste envisage également plus de difficultés de mettre en place une stratégie de rattrapage à partir de Challenge seul ou Challenge + Défi, en prévenant les producteurs que ce dernier présente des risques de « traçage » du produit en veillant en respecter les LMR. Toutefois les céleris sont des cultures plantées, moins sensibles à l’effet sélectif des herbicides qui sont appliqués à un stade plus avancé de la plante et plus facile à désherber mécaniquement dans l’entre-rang, voire sur le rang avec des bineuses les plus perfectionnées.

Des solutions à évaluer

Le retrait du linuron a été anticipé en éprouvant différentes alternatives. Au cours des 10 dernières années, les stations d’expérimentation du Sileban et d’Invenio, ont mené des essais afin d’identifier des substances actives d’intérêt pour le désherbage de la carotte. « Deux spécialités en particulier, présentent des spectres anti-dicotylédones et anti-graminées ainsi que des caractéristiques de sélectivité favorables qui permettraient de pallier la future absence du linuron. Toutefois, ces « pré projets » sont incertains dans leur aboutissement en termes d’autorisation d’usage pour diverses raisons techniques et réglementaires, en lien notamment avec les risques résidus et l’écotoxicité des produits », précise Bruno Pitrel. Depuis ces dernières années, l’Unilet a étudié deux substances actives pour compléter la gamme d’herbicides carotte et faire face au retrait du linuron. « Il s’agit du métobromuron, utilisable en pré-levée et en post-levée, mais son évaluation est suspendue, sans aucune visibilité sur une date homologation », mentionne Mickael Legrand, Unilet. Autre spécialité espérée, Racer ME a également été testé. « Utilisable exclusivement en pré-lévée, ce produit donnerait cependant satisfaction grâce à son efficacité sur morelle », fait remarquer le spécialiste de l’Unilet. Une demande de dérogation soutenue par Légumes de France et Unilet est envisagée pour ce produit en 2018 s’il ne dispose pas d’homologation. Déjà utilisé, le désherbage mécanique va également prendre de plus en plus d’importance. Sur la carotte, cette technique présente néanmoins certaines contraintes. (voir encadré). « Dès que l’on affaiblit la pression herbicide sur une culture, c’est toute la gestion de la flore de la parcelle à l’échelle de la rotation qui est impactée », remarque Mickael Legrand, précisant que quatre des substances actives les plus utilisées pour le désherbage de la carotte, sont menacées à plus ou moins long terme par la révision de leur homologation.

 

Un produit à substituer prioritairement

Le linuron a toujours été fortement impliqué dans les programmes de désherbage des carottes, céleri-rave et céleri branche, persil, poireau et pomme de terre. Avec un positionnement pratique possible à différents stades de la culture en pré ou post-levée, le linuron permettait un contrôle en pré-émergence des adventices ainsi qu’en post-émergence. Il était parmi les dernières substances actives de la famille des urées substituées encore autorisées. Mais son profil écotoxicologique n’était plus compatible avec des critères de ré-évaluation en vigueur. Son classement CMR (Cancérigène, mutagène et reprotoxique) en faisait un produit à substituer prioritairement au niveau européen.

 

Les risques que fait planer la disparition du linuron

Le souchet : plante invasive

Le linuron a un impact sur le souchet. Sa disparition des programmes de désherbage de la carotte en fait une culture à risque pour le développement de cette plante envahissante. En effet, la non-maîtrise du souchet augmente le potentiel d’amplification du stock semencier. De plus, l’absence de l’herbicide peut conduire à des situations de non production même dans des parcelles faiblement infestées au départ.

 

 

 

 

La morelle : plante toxique

La morelle est une plante toxique avec des risques de contamination des cultures récoltées. Ce risque est écarté pour une culture racine comme la carotte mais concret pour celle du haricot et pois, souvent associés dans les rotations de cultures légumières de plein champ destinées à l’industrie. Dans ce cas, l’efficacité du programme de désherbage doit s’approcher des 99 % sur des densités d’adventice pouvant dépasser plus de 100 morelles/m2. Ce qui n’est pas le cas des substances actives alternatives au linuron.

 

 

Le désherbage mécanique en cours de perfectionnement

L’AOPn Carotte de France finance un appel à projet sur le désherbage mécanique sur l’inter-rang, dont l’intervention précoce est limitée par la fragilité de la carotte en post-levée. Des essais menés en Normandie au Sileban et dans les Landes à Invenio en évaluent différentes modalités : désherbage chimique sur toute la surface, désherbage chimique sur le rang associé au désherbage mécanique entre rang, avec également la possibilité de réintervenir avec le désherbage chimique dans le cas de situation de « débordement ». Le désherbage thermique est également testé. « Les premières expérimentations montrent qu’il est difficile de mettre en œuvre le binage dans des conditions très précoces après la levée sans risque d’affecter la jeune culture par recouvrement », explique Sarah Bellalou, Invenio. En effet, dans les Landes pour limiter les dégâts de vent de sable, de l’orge est semée en même temps que la carotte comme protection. « L’orge n’est détruite qu’au stade 1 ou 2 feuilles de la carotte. Et tant que l’orge est présente, les outils mécaniques risquent de bourrer », précise la spécialiste. Néanmoins, les différentes associations de techniques encore en cours d’évaluation laissent penser qu’il est possible d’arriver à l’efficacité de programme de référence. L’arrivée de robot de binage ou de désherbage présente également des solutions à tester et à adapter. Toutefois, la mise en œuvre du désherbage mécanique reste contrainte par les conditions météorologiques : un binage suivi d’une pluie ne sera pas efficace, un passage sur sol humide est inenvisageable…

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