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L’eau, une ressource à flux tendu

L’eau s’avère indispensable au développement et à la sécurisation des productions fruitières et légumières. Mais sa disponibilité et son usage débordent largement du cadre de l’exploitation et même de celui de l’agriculture.

Cet été, une sécheresse record s’est installée en France. Au 12 septembre, 124 arrêtés préfectoraux limitaient la consommation d’eau dans 43 départements, allant jusqu’à l’interdiction de prélèvements d’eau non prioritaires, y compris à des fins agricoles. Les zones en vigilance concernaient les départements de la façade ouest de la France et ceux du pourtour méditerranéen.

Ainsi, en Bretagne, le manque de pluviométrie, qui perdure encore, a fortement affecté les rendements des cultures de légumes industrie produits par la Cecab – qui regroupe 850 agriculteurs représentant 12 500 ha de haricot, pois, flageolet, épinard et petits légumes (carotte, navet, etc.). « En 2016, les rendements en haricot vert vont du simple au triple », mentionne Alain Lecolleter, responsable irrigation et haricot du groupement. Les parcelles non irriguées ont enregistré jusqu’à 46 % de chute de rendement engendrant un manque à gagner, pour les producteurs, supérieur à 1 000 euros/ha. Alors que sur la même campagne, les producteurs irrigant ont obtenu des rendements et une qualité supérieurs à une année moyenne réalisant 5 à 6 % en plus du volume prévisionnel. Avec 55 % de cultures irriguées, les volumes et les qualités contractualisés avec les industriels ont été difficiles à atteindre. D’où le besoin de sécurisation des approvisionnements par le développement de l’irrigation et la création de ressources.

La loi sur l’eau a mis un coup d’arrêt aux projets de retenues

Mais depuis 2008, les constructions de retenues pour le stockage d’eau sont à l’arrêt. « Une dizaine de projets individuels, qui concernent des exploitations d’environ 100 hectares, et la création de réserves d’environ 60000 m3 sont susceptibles d’être menées au sein de la Cecab. Cette eau indispensable aux cultures pour passer la période estivale ne représente que 0,2 % du ruissellement hivernal des bassins versants sur lesquels sont installées les retenues », précise le spécialiste breton. La région Aquitaine, dont le nom d’origine latine révèle la présence d’eau en abondance, a depuis longtemps associé eau et création de valeur. Sa disponibilité est assurée par la présence de grands cours d’eau (Garonne, Lot, Adour) et de nappes phréatiques (nappe plio-quaternaire des Landes) mais aussi des retenues collinaires. Ainsi, le Lot-et-Garonne, un des premiers départements irrigants de France, dispose de plus de 3 500 lacs, représentant 92 millions de mètres cubes stockés. « Ceux-ci ont été créés à partir des années 1970 et principalement entre 1980 et 1990, avant que la loi sur l’eau n’y mette un coup d’arrêt », remarque Christophe Pinéda, au service Irrigation de la chambre d’agriculture du département. Depuis 2011, ce service a toutefois accompagné 80 autorisations pour des projets individuels en déclaration, soit cinq à dix créations de retenues de 20 000 à 25 000 m3 par an. « Les projets collectifs par autorisation sont encore plus longs et difficiles à conduire depuis les événements de Sivens en 2014. Pourtant, il s’agit de projets structurants pour l’agriculture, l’économie et l’environnement », témoigne Christophe Pinéda. De fait, la chambre d’agriculture est partie prenante dans le projet du lac de Caussade. L’ouvrage de 860 000 m3 concerne 17 agriculteurs dont 8 JA et un potentiel de 300 ha irrigables. L’organisme consulaire, qui a acheté les terrains avec plus de 19 ha d’emprise pour ce lac, a déjà dépassé les 400 000 euros d’investissement (266 000 euros de foncier et 125 000 euros d’étude), avant le premier coup de pelle. La démarche témoigne de l’enjeu que représente la disponibilité en eau dans la création de valeur dans le département. Pour le secteur arboricole, la filière prune d’Ente bâtit la relance de la compétitivité de son verger sur la ressource en eau. Unicoque, leader national des fruits à coque, ambitionne de multiplier par trois sa production de noisettes d’ici à 2030 avec comme pré-requis indispensable l’irrigation des vergers dès leur plantation (voir encadré). Ces structures font partie de Thématik’EAU, un collectif de seize acteurs économiques du Lot-et-Garonne regroupant l’ensemble des filières organisées de productions agricoles qui concernent 80 % des surfaces irriguées du département. « Thématik’EAU regroupe 26 structures qui pourraient être en concurrence sur cette ressource et qui travaillent de fait en synergie pour une gestion pluriannuelle de l’eau », explique Franck Brosset, animateur du GIE. Ses six engagements portent notamment sur l’adaptation à un climat plus méditerranéen, la création de réservoirs nouvelle génération, la recharge gravitaire des nappes alluviales mais aussi la climatisation des villes, en utilisant les bienfaits de l’irrigation estivale des cultures à proximité de zones urbaines pour rafraîchir de plusieurs degrés l’atmosphère (actions à retrouver sur htpp://thematikeau.fr).

Limiter les tensions sur la ressource

Car l’eau est un enjeu d’aménagement du territoire. C’est l’action principale de la société BRL, créée il y a plus de 60 ans sous le nom de Compagnie nationale d’aménagement de la Région du Bas Rhône et du Languedoc. Aujourd’hui, elle gère de manière concertée les usages multiples de l’eau sur le territoire de la région Occitanie. « BRL utilise de l’eau renouvelable, principalement du Rhône et de retenues réapprovisionnées, pour répondre aux besoins liés à la croissance démographique, à l’activité économique et à l’usage agricole », précise Jean-François Blanchet, directeur général du groupe. La région Occitanie dispose ainsi d’un réseau hydraulique régional que gère BRL, d’une valeur à neuf de deux milliards d’euros qui alimente 100 000 hectares de terres agricoles sur 300 communes. De nouveaux investissements de 220 millions d’euros sont en cours dans le cadre du projet Aqua Domitia (voir encadré).

« La consommation agricole annuelle du bassin rhodanien correspond à une journée de débit du Rhône »

ANDRÉ BERNARD, responsable du dossier eau à la chambre régionale d’agriculture Paca

Toutefois, si tous les acteurs et usagers de l’eau doivent envisager de faire évoluer leurs pratiques (voir ci-contre), les tensions sont toujours émergentes. C’est le cas dans le Vaucluse, département qui dispose des deux tiers de la surface agricole sécurisée grâce à la Durance. Afin d’alimenter le tiers restant, des travaux d’agrandissement des réseaux existants se poursuivent sur le Ventoux et le Luberon, avec la Société du Canal de Provence, mais c’est surtout sur le nord du département et le sud de la Drôme que l’alimentation en eau est problématique. En effet, les trois cours d’eau de cette zone (Lez, Aygues et Ouvèze) ont été classés en zone de répartition des eaux : il faudra donc économiser 30 % de la consommation en eau. D’autre part, cette zone se situe sur une nappe du Miocène, sur laquelle l’Etat veut faire fermer les forages, afin de créer une zone de réserve en eau potable en cas de pollution des eaux de surface. Et en bordure du département, des millions de mètres cubes d’eau filent vers la Méditerranée chaque jour. « La consommation agricole annuelle sur l’ensemble du bassin rhodanien ne correspond qu’à une journée de débit du Rhône », précise André Bernard, président de la chambre d’agriculture du Vaucluse et responsable du dossier eau à la chambre régionale d’agriculture Paca.

L’équivalent de 15 milliards de m3 d’eau sont importés

Aujourd’hui, la chambre d’agriculture du Vaucluse est en charge d’une étude préalable qui porte sur les deux départements (un tiers des communes sont dans la Drôme) et comprend : l’évaluation des besoins en irrigation, la communication auprès des collectivités, mais aussi auprès du grand public, afin de faire accepter le projet par l’opinion public. « Nous devons faire vite et terminer cette étude au plus tard fin 2017 afin que le projet soit intégré dans le prochain plan Rhône, car nous perdons 800 ha de terre irriguée en Paca chaque année. Aujourd’hui, en France, on importe en fruits et légumes l’équivalent de 15 milliards de m3 d’eau, de pays qui ont moins de ressources que nous. On marche sur la tête ! », s’indigne André Bernard qui n’oublie pas de rappeler que la France est très en retard en matière de stockage de l’eau. « Nous ne stockons que 3 % de l’eau alors que ce pourcentage monte à 50 % en Espagne », assure le responsable.

EN PRATIQUE

Créer une retenue d’eau

Par déclaration : Les projets situés à plus de dix mètres du cours d’eau et dont la superficie est inférieure à trois hectares sont soumis à cette procédure relativement simple et rapide. Ces projets sont bien souvent des projets individuels. Le coût du mètre cube stocké varie de 2,5 à 4 euros selon les sites.

Par autorisation : Il s’agit le plus souvent de projets collectifs qui dépassent trois hectares d’étendues d’eau et/ou sont placés en travers d’un cours d’eau avec des caractéristiques d’ouvrage importantes (hauteur de digue, volume…). La procédure est plus longue et plus complexe (étude environnementale plus détaillée, enquête publique et passage en Coderst). Le coût du mètre cube stocké est en général inférieur à 2 euros.

En savoir plus : Fiche « Eau fertile » sur la conception et réalisation des retenues d’eau agricole www.ardepi.fr

La plus-value de l’eau : 160 000 m3 d’eau = 500 000 € de CA annuels

Unicoque ambitionne de produire 30 000 tonnes de noisette en 2030 sur 10 000 hectares de vergers. La coopérative, qui compte aujourd’hui 300 producteurs de noisette et de noix sur 71 départements, a bâti un projet de développement baptisé 10-20-30 sur une condition sine qua non : assurer l’irrigation des nouveaux vergers et donc créer de nouvelles ressources. « Nous réalisons une dizaine de retenues d’eau par an depuis 2015. Depuis la signature de notre chartre CDDUIRE en 2010, convention cadre environnement avec Unicoque, l’Etat et le conseil départemental du Lot-et-Garonne, 39 projets ont été réalisés (dont trois en autorisation) représentant plus de 1,5 million de mètres cubes de stockage », explique Manon Dublet, responsable du Bureau d’études Lacs d’Unicoque, créé en 2012. Les retenues créées permettent de rentrer dans le cercle vertueux de la plus-value de l’eau. Ainsi, entre Cancon et Moulinet (47), l’association syndicale libre de Lacoutre, qui regroupe trois agriculteurs vient de réaliser une retenue de 160 000 m3 sur quatre hectares, la plus grosse réalisée dans le Lot-et-Garonne depuis 2010. « L’accès à la ressource en eau et donc à l’irrigation a permis de multiplier le revenu d’un exploitant par dix mais aussi de passer de 1 à 30 emplois induits localement », précise Manon Dublet, qui a évalué toutes les retombées économiques, sociales et environnementales du projet (voir tableau). « Avec un esprit d’équipe, un terroir, des vergers et des hommes deviennent les acteurs de leur tissu local », témoigne Patrick Chassac, agriculteur impliqué dans cette réalisation.

Le projet Aqua Domitia

Le projet Aqua Domitia, porté par la région Occitanie et BRL, complète le réseau hydraulique régional en couvrant une centaine de communes supplémentaires et permet de mailler les réseaux alimentés par le Rhône avec ceux alimentés par l’Orb, l’Hérault ou l’Aude. « L’objectif est de sécuriser de nouveaux besoins avec comme enjeu agricole plus de 10 000 ha de cultures irriguées dont 4 000 ha déjà réalisés », précise Jean-François Blanchet directeur général du groupe BRL. « Ces investissements se font avec une cotation triple A », image-t-il. Le premier pour Adaptation au changement climatique, le second pour Anticipation des besoins et le troisième pour Acceptabilité des projets avec le plus au niveau de concertation. « C’est à cette condition que nous éviterons les tensions entre usagers et que nous conserverons l’attractivité de nos territoires », explique le directeur dans une vision à long terme qui s’inscrit en cohérence avec le projet Explore 2070, qui évalue l’impact possible du changement climatique sur les eaux superficielles, auquel la filiale BRL Ingénierie a participé.

Faire des économies

L’agence de l’eau Rhône-Méditeranée-Corse gère toute l’eau affluant à la Méditerranée, soit un quart de l’Hexagone, et estime que 40 % de ce bassin est déjà en flux tendu. « Dans cette situation, le cumul de tous les usages est incompatible avec le maintien d’un équilibre quantitatif et qualitatif de la ressource », explique Laurent Roy, directeur général de l’Agence. Ainsi, les plans de gestion de la ressource en eau (PGRE) doivent permettre de mieux connaître les volumes prélevés. L’objectif est, d’une part, d’identifier les économies possibles et, d’autre part, d’améliorer les infrastructures de stockage et de transfert. Par exemple, dans le bassin de l’Orb (34), le passage de l’irrigation gravitaire à non gravitaire (aspersion ou micro-irrigation) a permis de réduire par dix le volume d’eau prélevé par l’Association syndicale d’irrigation. Les collectivités ont également des efforts à faire puisque l’agence de l’eau tend à réduire les fuites du réseau d’eau potable en dessous de 20 % alors que certains réseaux ont encore des taux de perte supérieurs à 50 %. L’agence, qui perçoit des redevances, distribue aussi des aides en faveur des économies d’eau et apporte jusqu’à 80 % de financements des démarches visant à mieux utiliser l’eau. Deux appels à projet sont actuellement en cours, en direction du secteur agricole. L’organisme soutient également des projets dans le secteur industriel pour passer de process en « boucle ouverte » à « boucle fermée » assurant le recyclage de l’eau. Idem pour l’urbanisation où la notion de perméabilité des infrastructures, en opposition au tout béton, doit permettre de faciliter l’infiltration et le réapprovisionnement des nappes. « Tout le monde peut faire des économies », conclut Laurent Roy.

 

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