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D. SUZUKII
Des solutions pour l’avenir contre D. suzukii

La recherche rattrape son retard sur sa connaissance du ravageur polyphage Drosophila suzukii. Les nouvelles données sur la biologie de l’insecte ouvrent la voie à des solutions à long terme.

Pour perfectionner le piégeage, il reste à trouver quelles odeurs attirent quel type d’individus » SÉBASTIEN LEBRETON, chercheur à l’Université d’Aix-Marseille

Extrêmement polyphage et très prolifique. Deux des caractéristiques de la tristement célèbre Drosophila suzukii font d’elle l’ennemi public numéro un de beaucoup de cultures de fruits. Arrivée depuis son aire d’origine, l’Asie de l’est, elle colonise progressivement de nouvelles zones géographiques (cf. encadré). Or les solutions disponibles actuellement sont, au mieux, partielles. « En expérimentation, nous avons jusqu’à aujourd’hui testé des méthodes de lutte utilisées contre d’autres mouches, faute de connaissance et de recherche fondamentale sur Drosophila suzukii avant son arrivée aux Etats-Unis et en Europe », précise Claire Weydert (Ctifl), lors de la journée consacrée à ce ravageur fin décembre. Dans tous les pays, protection chimique, prophylaxie, piégeage massif et filets ont été testés. Les résultats se recoupent. « La protection chimique est insuffisante, parfois infaisable au vu du nombre de traitements et des délais avant récolte. Elle est aussi incompatible avec la présence des auxiliaires », résume Alberto Grassi, de la fondation Edmund Mach dans le Trentin, en Italie. Le piégeage massif arrive à limiter les dégâts, dans certains cas de faibles pressions, mais est globalement inefficace. « La prophylaxie, par des récoltes rapprochées et totales avec destruction des déchets par fermentation, est une pratique dorénavant indispensable en petits fruits. Elle a pu limiter les dégâts jusqu’à août-septembre cette année », relève Yannie Trottin (Ctifl). Mais avec des récoltes en un passage par variété, la méthode est difficile à mettre en place sur cerise. Les filets sont la seule solution non chimique efficace pour cette culture. « Mais étant donnés les coûts d’installation, elle n’est pas supportable financièrement par les producteurs », souligne Gérard Roche, de Légumes de France. En petits fruits, les filets sur les ouvertures de tunnel n’évitent pas l’entrée progressive de Drosophila suzukii. Et le contrôle des autres ravageurs de la culture peut être plus délicat car les filets limitent l’entrée d’auxiliaires présents naturellement dans l’environnement.

D. suzukii est attirée par l’odeur de feuilles

Pourtant, rien n’est perdu. Si les solutions ne seront pas disponibles ce printemps, elles sont en pleine émergence dans les laboratoires des chercheurs. Et cette recherche se fait à l’échelle du monde occidental. « Nous connaissons beaucoup mieux Drosophila suzukii maintenant qu’au moment de son arrivée en 2011, grâce à la recherche fondamentale », souligne Claire Weydert. Cette mouche est attirée sur les cultures par l’odeur des feuilles. « Ceci explique pourquoi D. suzukii est observée sur des cultures où les fruits ne sont pas encore pourris, au contraire des espèces de mouches des fruits connues en Europe », avance Sébastien Lebreton, de l’Université d’Aix-Marseille. La couleur rouge et la présence de fruits pourris attirent aussi l’insecte, une fois à proximité des cultures. « Comme les autres mouches, D. suzukii se nourrit des levures qui se développent sur les fruits pourris », continue le chercheur. Ceci explique leur attrait pour les pièges avec du vinaigre ou des substances qui contiennent des levures. Cependant, ces pièges pourraient attirer les mauvais individus, à savoir ceux qui sont à la recherche de fruits pourris pour se nourrir, au lieu de cibler les femelles en quête de fruits mûrs pour pondre. « Il nous reste donc à trouver quelles odeurs attirent quel type d’individus : les femelles non matures, les femelles matures prêtes à pondre et les mâles, pour concevoir des pièges avec une meilleure efficacité », constate le biologiste.

Pas de phéromones dans l’attirance entre sexes

Contrairement aux autres mouches, D. suzukii ne semble pas utiliser de phéromones volatiles pour trouver un partenaire. « Ce constat élimine l’idée de développer une solution basée sur la diffusion de phéromones pour lutter contre ce ravageur », poursuit Sébastien Lebreton. En revanche, il se pourrait que les individus se goûtent avec leurs pattes pour détecter la maturité sexuelle de leur potentiel partenaire. Les taches des mâles jouent également un rôle visuel dans la reconnaissance entre les deux sexes. Une fois arrivées sur la culture et fécondées, les femelles sont stimulées par l’odeur de fraise pour pondre. « Nous avons pu identifier quelques récepteurs d’odeur susceptibles d’être impliqués dans la ponte sur fraise, expose le jeune chercheur. Mais il est possible que les récepteurs soient différents selon les fruits car ils n’émettent pas les mêmes composés volatils. Nous devons donc continuer à déterminer toutes les odeurs qui stimulent la ponte et les récepteurs associés avant de pouvoir concevoir une solution technique ».

Les routes d’invasion de D. suzukii

Venue d’Asie de l’est, Drosophila suzukii a d’abord été observée pour la première fois en 2008 sur la côte ouest des Etats-Unis. En 2010, elle avait atteint la côte est américaine. En Europe, dès 2009, les premiers individus ont été observés en Italie et en France. En 2013, elle continue son invasion au Brésil et à la Réunion. L’étude des variations génétiques entre groupes d’individus de différentes régions permet de retracer les routes d’invasion de ce ravageur. « Les populations du sud de l’Europe sont issues de la population de l’est des Etats-Unis alors que les populations du nord de la France et d’Allemagne sont un mélange entre les populations asiatiques et les populations américaines », analyse Arnaud Estoup, de l’Inra. Mais les flux d’entrée n’ont pas cessé. « Avec ces données, on peut prédire que si une résistance à un insecticide apparaît aux Etats Unis, l’Europe devra mettre en place des mesures pour éviter les importations de D. suzukii de ce pays », conclut-il.

Trois solutions pour le futur

  1. 1 Les lâchers de mâles non compatibles

    Certaines bactéries infectent le sperme des drosophiles mâles et créent une incompatibilité cytoplasmique entre ovule et spermatozoïde. Une souche d’une de ces bactéries a été identifiée et inoculée à des mâles de D. suzukii. Un lâcher régulier pendant deux mois de ces mâles dans une cage contenant des femelles permet de diminuer par près de cinq le taux d’oeufs pondus. Mais le développement de la technique nécessite la production et le sexage en masse de D. suzukii, étape qui requiert le passage à un mode industriel. « Pour que cette méthode ait un impact, il faut lâcher des millions de D. suzukii exclusivement mâles par semaine », insiste Laurence Mouton, du Centre national de recherche scientifique.

  1. 2 Les parasitoïdes

    Les parasitoïdes européens de D. suzukii ne sont pas assez efficaces pour envisager leur utilisation à large échelle. Mais en Asie, D. suzukii est contrôlée par un cortège de parasitoïdes dont les taux de parasitisme sont très variables selon les régions. Plusieurs d’entre eux sont en observation. Si certains se démarquent par leur taux de parasitisme proche de 40 %, il reste à déterminer leur spécificité à D. suzukii. L’équipe de chercheurs espère pouvoir trouver un parasitoïde adéquat dans les années à venir. Mais la réglementation européenne s’est durcie pour l’introduction d’organismes non endémiques.

  1. 3 Des champignons inhibiteurs de la reproduction

    La reproduction de Drosophila suzukii peut être fortement diminuée grâce à un isolat du champignon Metarhizium robertsii. Des chercheurs de Wageningen, aux Pays-Bas, ont enfermé pendant quatre semaines vingt mouches juste écloses (dix mâles et dix femelles) avec un mélange de myrtilles et de spores du champignon. Par rapport au témoin sans spores, la reproduction des mouches a chuté de 94 % : seulement cinq individus de deuxième génération sont apparus, contre plus de 80 chez le témoin. Une stratégie consistant à attirer Drosophila suzukii avec un appât et à l’infecter avec le champignon Metarhizium robertsii peut être envisagée, l’appât devant être très attractif pour concurrencer les fruits en culture.

AVIS DE PROFESSIONNEL

ALINE FONS, technicienne à la coopérative Sicoly

Drosophila suzukii nous a coûté 1,8 million d’euros !

« Sur notre potentiel de récolte de cerises de 1 600 tonnes, 550 tonnes ont été perdues à cause de ce ravageur. Sur petits fruits, les dégâts ont été moins conséquents suite aux méthodes de lutte complémentaires mises en place déjà depuis plusieurs années. La climatologie de 2016 a été particulièrement favorable à cet insecte dans les zones hautes des coteaux et des monts du Lyonnais. Le relevé hebdomadaire de pièges prouve une présence annuelle de D. suzukii depuis 2011. Les cent producteurs adhérents sont fortement impliqués dans la lutte contre ce ravageur. Les méthodes de prophylaxie sont systématiques : sols propres en serre et fruits broyés dès la récolte terminée en verger. L’hygrométrie est limitée à l’approche des récoltes. En petits fruits, les récoltes sont rapprochées de deux à trois jours sur fraise et framboise et quatre à cinq jours en mûre et myrtille.

L’hygrométrie est volontairement limitée à l’approche des récoltes et les enherbements tenus ras en verger. En petits fruits, la prophylaxie reste basée sur la régularité de la récolte échelonnée tous les deux à quatre jours en fonction des espèces. Quand cela est possible, des filets ont été installés en extrémité et sur les côtés des tunnels. Des dispositifs de piégeage massif sont installés avant et pendant la récolte. Dans l’environnement immédiat des vergers, les merisiers sauvages sont particulièrement surveillés. Toutes ces méthodes de lutte associées nécessitent un suivi régulier et représentent un coût non négligeable pour les producteurs. »

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