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Sardaigne, une île discrète

La Sardaigne n’est pas la sœur jumelle de la Sicile. Relief, climat, agriculture et traditions culinaires diffèrent. Rencontre avec de nouveaux maraîchers aux variétés anciennes.

Le territoire montagneux de la Sardaigne est situé à 11 km de la Corse. L’île italienne est le plus secret de nos voisins. Sa superficie vaut celle de la Sicile, pour une population trois fois moindre : 1,6 million d’habitants. De 5 à 15 heures de bateau sont nécessaires pour rejoindre le continent tandis que la Sicile n’en est séparée que d’un détroit de 3,6 km. « Il faut tout produire sur place » fut longtemps la logique sarde. Et ce principe des produits locaux redevient d’actualité.

Cultiver sans apport d’eau

La Sicile est l’île des fruits, la Sardaigne celle des moutons – trois millions de têtes, deux fois plus que d’humains – et du raisin de cuve dont la production dépassait 300 000 t par an jusqu’en 1980 ; la crise du vin de table l’a réduite de trois quarts. Aujourd’hui, les vignerons s’intéressent aux anciens cépages locaux mieux valorisés grâce aux touristes et plus résistants aux variations de la météo. Ces deux dernières années ont en effet connu « un climat devenu fou » selon Assoenologi : en 2017, une sécheresse et des températures jusqu’à 48°C ; en 2018, des pluies diluviennes retardant les maturités et provoquant des attaques fongiques inhabituelles, des orages quotidiens lessivant les traitements et interdisant d’entrer dans les parcelles détrempées. Toutes les productions végétales furent bien sûr impactées. Le climat et la maîtrise de l’eau sont pourtant des préoccupations constantes en Sardaigne. Depuis les années 1930, ce véritable « far west » italien entreprend de vastes travaux d’irrigation et de bonification des terres, en particulier l’assèchement de marécages, suivi de pulvérisations de DDT contre les moustiques vecteurs du paludisme ; c’est pourquoi le bio y est philosophiquement moins ancré qu’en Sicile. Entre Cagliari et Oristano, la plaine du Campidano cultive artichauts, pommes de terre et divers légumes, le plus souvent irrigués. Des figuiers de barbarie délimitent les parcelles où prospèrent agrumes, oliviers et amandiers. Les baies de myrte sauvage deviennent une liqueur appréciée et les artisans glaciers valorisent des productions de niche, telles la pistache. Les haies d’eucalyptus coupent le vent et des feuilles d’aloe vera hérissent le paysage. Mais les vignerons ne sont pas les seuls à s’intéresser aux variétés anciennes. Marianna Virdis et Francesco Mascia, jeune couple de maraîchers installé à Villanovaforru, ont tenté l'aventure. Francesco a vécu en France, dans l’Hérault. Leur formation est originale : conservation et restauration des biens culturels en architecture pour Marianna, sciences naturelles pour Francesco. Et ils se sont rencontrés durant des stages de danse locale. Aujourd’hui, ils développent un projet « d’agriculture historique, afin de retrouver à la fois des variétés et des méthodes de culture anciennes, sans irrigation. On produit des légumes en aridocoltura (culture en milieu aride ou dry farming, voir encadré, ndlr) mais aussi des céréales et des herbes aromatiques. » En langue sarde, le nom de leur société Sa Laurera évoque à la fois la production de nourriture et le territoire. « Avant la bonification et l’irrigation, les paysans savaient cultiver tomate, melon, pastèque et blé sans apport d’eau. Les plantes sont autosuffisantes. » Leur recherche a donc débuté « dans les stocks des graineteries abandonnées, même si, sur 1 000 graines, seules deux ou trois seulement germent ». Ils ont obtenu des semences « chez des retraités, des jardiniers amateurs et dans des instituts de recherche internationaux. On n’a acheté aucune variété, c’est seulement de la récupération ». De même, ils exploitent des terrains abandonnés – car non irrigués – qui leur sont prêtés, « et où il n’y a pas eu de produits chimiques depuis longtemps ». Marianna et Francesco cultivent courgettes, tomates, melons, pastèques mais aussi arachide, pois d’Angole, pois chiche, pois carré ou gesse et la fève sarde.

Des clients particuliers et à des restaurants

« Avec toutes ces productions ensemble, on réussit à vivre et notre entreprise se développe piano piano », se réjouissent Marianna et Francesco. Ils ont un stagiaire mais pas d’employé. Bien sûr, pas de certification bio, ce serait compliqué avec les nombreuses variétés qu’ils cultivent sur une cinquantaine de mini-parcelles dispersées, totalisant 10 ha. « Si cela se passe mal dans un endroit, ce sera mieux ailleurs ». Chaque année, ils cultivent 3 ha de légumineuses et 2 ha de potager, tandis que l’autre moitié des terres se repose. Ils ensemencent également 10 ha de blé dur, des variétés antiques à faible rendement dont du blé rouge : « en 2018, on a récolté 6 t de blé dur, soit 6 q/ha, alors que les clones modernes atteignent 25 à 40 q/ha. En blé tendre, nos rendements atteignent seulement 15 à 25 q/ha. » Le blé est fauché la nuit – certaines parcelles à la main – tant que la plante est humide et retient ses grains. Il est acheminé vers la batteuse et le grain est moulu au moulin de pierre. La farine vendue 5 €/kg valorise ces rendements minuscules. Les légumineuses sont toujours récoltées à la main et subissent un traitement thermique à 90°C durant deux secondes pour détruire les œufs de coléoptères. Sa Laurea livre deux fois par semaine à des clients particuliers et à des restaurants. Leurs tarifs : citrouille à 1,50 €/kg, pastèque à 0,7 €/kg, pommes de terre à 1,60 €/kg, melon tardif à longue conservation 2 €/kg, melon dans son filet traditionnel à 5 € pièce, fève sarde à 5 €/kg. En 2018, Sa Laurera a vendu 1 t de melons, 300 kg de pastèque et seulement 200 kg de tomates, victimes d’un papillon. Le safran a été la nouvelle production de 2018. Sa Laurera expédie aussi ses produits à l’étranger, en particulier vers Paris, par simple colis postal. En projet, un petit moulin, un laboratoire de transformation et d’ensachage, des stages et cours dans le cadre des fattorie didatiche (fermes pédagogiques) et des activités agritouristiques avec une agence française, Sardaigne en liberté. Après les semences anciennes et les techniques de maraîchage d’antan, la troisième étude de Marianna et Francesco concerne ainsi, selon leur expression, la « cuisine anthropologique ».

Pierrick Bourgault

L’aridocoltura en pratique

Comment cultiver sans eau un potager en été, en Sardaigne ? En retrouvant les méthodes du maraîchage à l’ancienne, remises au goût du jour avec l’expression dry farming. Est-ce de la permaculture ? « Nous la connaissons, mais nous avons choisi la culture traditionnelle sarde, qui est assez proche. Nous choisissons les pratiques les plus durables, l’agriculture synergique, l’association avec des plantes sauvages… On commence par observer et organiser le terrain, que l’on quadrille », explique Francesco Mascia. En effet, les parties basses détiennent davantage d’eau composant ainsi un paysage rural en mosaïque, un bocage où il n’y avait pas de grandes exploitations. L’entourage d’arbres protège du vent et condense l’humidité de la nuit. « En partie basse, on plante courgette et melon, au milieu la tomate, en haut la pastèque qui a peu besoin d’eau, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Nos plantes non irriguées ont des racines très longues et résistantes au stress hydrique. On redoutait que les pastèques ne craquent avec les fortes pluies, mais elles ont tenu. Elles pèsent jusqu’à 10 ou 15 kg et leurs saveurs sont intenses. Les courgettes se récoltent énormes – les paysans d’ici les laissent grandir et les consomment en cubes que l’on passe à la poêle ou que l’on met dans la soupe. » En Sardaigne, pas de mini-légumes : les paysans se réjouissaient de la taille de leur production – il y a davantage à manger. « Notre melon d’hiver se conserve jusqu’à 6 mois à température ambiante, sa chair est très sucrée. » Ils cultivent aussi l’arachide, le pois d’Angole (Cajanus cajan) africain, le pois chiche, le pois carré ou gesse (Lativum sativus), la fève sarde « qui cuit en 20 minutes, bien qu’elle soit de grande taille ».

« kilometro zero »

La vente directe est facilitée par le faible développement de la grande distribution sur l’île. Au bord des routes et sur les parkings, les habitants ouvrent le coffre de leur voiture et étalent la production de leur jardin, les cerises et les fraises cueillies le matin. Dans les villages de Sardaigne, d’innombrables épiceries vendent de tout, dont des fruits et légumes et les jardiniers amateurs profitent d’un magasin appartenant à un proche pour écouler leurs récoltes. Ainsi, à Mamoiada, dans le centre montagneux de l’île, la boutique « kilometro zero » de Badu Orgolesu vend les fromages de brebis élaborés par Anna Manca et Mattia Moro, mais aussi ail, oignon, fèves, pommes de terre, courges-éponges luffa, herbes aromatiques du jardin et champignons sauvages, ainsi que les produits de beauté et les confitures élaborées par la mère de Mattia. Ils sont également hôtes pour l’agence Sardaigne en liberté. « Vivre et travailler au pays » leur semblent un rêve réalisable, en associant leurs productions traditionnelles et la vogue actuelle du local et du naturel.

A savoir

En chiffres

3 000 ha Orange et clémentine

2 200 ha Pêche et nectarine

1 400 ha Pomme de terre

960 ha Salade

800 ha Melon

780 ha Fenouil

600 ha Pastèque

588 ha Carotte

400 ha Tomate

(source istat.it 2018 et www.laore.it)

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