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Le Chili devra gérer son eau

Après le Nord, le Centre du Chili connaît lui aussi un déficit hydrique croissant. Le dégel de la Cordillère des Andes met encore à l’abri la plupart des irrigants de vergers. Jusqu’à quand ?

« José Antonio est un type normal. Il est sympa et porte une chemise comme toi et moi », précise d’emblée, au volant de son pick-up, Mauricio Couble, l’agronome qui nous conduits vers la finca de José Antonio Orueta, qu’on ne verra pas. L’homme possède plus de mille hectares d’arbres fruitiers dans les vallées du centre du Chili. Il cultive aussi des parcelles en Patagonie et fait du vin avec sa fratrie. Il exporte lui-même ses fruits par le biais de la société Los Lirios (2,2 millions de caisses exportées en 2018).

La finca est située à Rancagua, lointaine banlieue de la capitale, Santiago du Chili. C’est un vignoble de 37 hectares qui fournit exclusivement du raisin de table pour l’export. Un système intensif typique. Ce grand vignoble est planté « à l’espagnole », c’est-à-dire en pergola avec un système d’irrigation au goutte-à-goutte. « 95 % des cultivateurs de nos vallées produisent le raisin de table de cette façon », assène l’agronome (voir encadré).

On est seulement à une heure de voiture de Santiago, mais déjà dans ce grand jardin multicolore que forment les vergers du Chili parsemés de maisonnettes en bois et découpés au gré des flancs montagneux, tels des oasis mises bout à bout entre les Andes et l’océan Pacifique sur 5 000 km de long. Grâce à sa géographie exceptionnelle et un cadre institutionnel porteur, dès les années 1980, le Chili est devenu le premier exportateur de fruits de l’hémisphère sud.

Les producteurs se lancent dans l'export

Mauricio explique leur situation, des plus communes : « Nous faisons du raisin de table, des pommes, cerises, pêches et abricots, entre autres ». Lui, à 63 ans dont 37 passés dans le secteur, d’abord chez Unifrutti, puis chargé d’exploitation et aujourd’hui chef de production de la société Los Lirios, remarque un changement depuis vingt ans. « Auparavant, cinq entreprises se taillaient la part du lion de l’exportation de fruits en écoulant chacune entre 12 et 20 millions de caisses par an. A partir de l’an 2000, plusieurs producteurs de fruits ont décidé d’exporter leur récolte eux-mêmes. Ils sont une cinquantaine. Le négoce s’est atomisé », assure-t-il.

« La pomme et le raisin restent nos deux fers de lance à l’export, à l’image de la filière », glisse Mauricio. Et à l’instar de ce qui se passe dans le verger chilien, dans les vergers de la société Los Lirios, ce sont des cerisiers qu’on plante le plus. La raison est simple, « les Chinois paient la caisse de cerises 40 euros. Ils les offrent en cadeau. Or, notre récolte coïncide avec le nouvel an chinois, raconte Mauricio. Nous leur en avons vendu 100 000 caisses cette année. Dans cinq ans, nous devrions pouvoir en exporter 500 000 ».

Rappelons que les exportateurs de fruits chiliens jouissent d’accords commerciaux bilatéraux passés entre leur pays et la quasi-totalité des pays du globe, qui leur sont favorables. Car le Chili exporte surtout du cuivre… et des fruits.

L'eau encore suffisante, mais...

En écoutant Mauricio parler de ce verger chilien qu’il connaît si bien, il ressort qu’en général, l’eau n’y manque pas. La Cordillère des Andes abreuve de ses glaces les rivières qui serpentent entre les vergers. « Nous sommes gâtés par la nature, mais nous devrions être préoccupés, admet Mauricio. Les chutes de neige diminuent d’année en année », dit-il. Elles ont baissé en dix ans grosso modo de moitié, selon la Direction nationale de l’eau.

S’ils ont déjà échangé des coups de fusil, comme en 1991, les irrigants chiliens ne se tuent plus entre eux. « Le nombre de situations déficitaires a augmenté, mais les gens sont mieux informés et mieux organisés. Quand le débit d’un cours baisse fortement, ils alternent les arrosages », raconte Mauricio. La pression des ONG environnementales au Chili est faible, selon lui, à part les attaques sporadiques d’un médecin militant dans le voisinage. Sa crainte vient du ciel où les nuages se raréfient au-dessus des Andes.

« Notre pays n’échappe pas au changement climatique, confirme Magdalena Fernández, de la Commission nationale de l’eau. Au nord du Chili, la sécheresse s’est installée. Elle gagne maintenant le centre où les précipitations, autour de 400 mm/an, sont encore suffisantes pour l’agriculture mais leur fréquence coïncide de moins en moins avec la période d’irrigation. L’utilisation d’appareils de télémétrie et l’automatisation des ouvertures des canaux, ainsi que le recours aux coupe-vent pour limiter l’évapotranspiration, ou encore la pratique de l’irrigation déficitaire contrôlée, sont à la portée de tous », énumère-t-elle.

« Un arrosage de 18h au démarrage »

Le vignoble « El Reposo » fournit du raisin de table pour l’export. Son système est semblable à la grande majorité de ceux qu’on trouve au Chili, en pergola et ferti-irrigué au goutte-à-goutte. Le jeune chargé de culture, Saúl Pereira, l’explique : « On démarre le cycle d’irrigation à la mi-octobre par un arrosage long de 18 h qui vise à humidifier le bulbe de la plante. Ensuite, un jour sur trois, on irrigue 8 h/jour, ceci jusqu’à la pré-récolte en mars ou avril, en diminuant la fréquence pour que le fruit mûrisse plus vite. On applique un mélange d’urée (20 kg/ha) en trois fois d’octobre à décembre et ensuite du potassium (30 kg/ha) en deux fois, à une semaine d’intervalle, au mois d’octobre ». « Pour la conduite des autres arbres fruitiers, le système d’irrigation et les pratiques sont plus ou moins les mêmes que celles-ci », commente Mauricio Couble.

« Un droit de propriété comme un bien immobilier »

José Miguel Goycoolea, directeur régional de l'eau dans la Sixième région.

Comment est encadrée l’irrigation au Chili ?

José Miguel Goycoolea : Notre Code de l’eau date de 1981. Adopté sous l’ère de Pinochet, il a vision ultralibérale et proagricole de l’activité d’irrigation. Celle-ci est reconnue comme un droit de propriété privée commercialisable. Attribué à vie, on en hérite. Les banques en tiennent compte pour accorder un prêt, par exemple. Considéré comme n’importe quel bien immobilier, le droit d’extraction de l’eau à tel ou tel canal, ou puits, est ainsi devenu un bien marchand. Au Chili, les courtiers spécialisés en eau vendent des « actions » qui sont des droits d’extraction exprimés en litre par seconde et dont la valeur varie entre 3 900 euros et 7 800 euros l/s. Un litre par seconde permet d’irriguer plus ou moins un hectare de vigne.

De quelles ressources hydriques disposez-vous actuellement ?

Il n’y a plus aucune nouvelle disponibilité d’eau de surface. L’extraction d’eau souterraine à de nouveaux endroits peut encore être accordée mais ceci après une étude de cas complète. Auparavant, construire un puits était chose facile dans nos vallées. Maintenant, le permis s’obtient difficilement.

Quel rôle joue l’Etat dans la gestion de l’eau ?

Mon service, qui est la direction régionale de l’eau, planifie l’utilisation des ressources hydriques à partir de relevés de terrain. Nous fiscalisons l’activité en examinant les demandes d’extraction et nous pouvons aussi infliger des amendes aux irrigants sans droit. Mais la gestion quotidienne de chaque canal est assurée par des communautés d’usagers. Il y en a plus de 500 dans notre seule région.

Les situations de sécheresse au centre du Chili limitent-elles le potentiel de la filière des fruits ?

Pour l’heure, je constate plutôt une hausse de la demande qui aggrave le déficit hydrique. Les flancs de nos montagnes se recouvrent de vigne toujours plus près du sommet.

Quelle est la solution ?

Mieux gérer l’eau. Nous en « jetons » à la mer un paquet ! Cela passe par la construction de retenues d’eau, même si c’est cher. Un projet de travaux publics, qui est en cours, permettra d’irriguer 10 000 hectares supplémentaires en zone aride, à Marchigüe, quand celle-ci sera reliée par un aqueduc à la retenue du Convento Viejo.

A savoir

CHIFFRES

La surface du verger chilien

Raisin de table : 48 000 hectares

Pommiers : 36 000 hectares

Noyers : 31 000 hectares

Avocatiers : 30 000 hectares

Cerisiers : 25 000 hectares

Myrtilliers : 16 000 hectares

Noisetiers : 18 000 hectares

Valeur des exportations chiliennes de fruits en 2017

4,64 milliards d’euros avec 2,84 millions de tonnes, deux indicateurs en hausse de 5 % par rapport au cycle précédent.

Source : Fedefruta

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