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Biocontrôle : Les sucres en renfort

Le fructose et le saccharose améliorent les défenses des cultures contre certains ravageurs et maladies. Le projet de recherche Sweet, qui étudie l’intérêt des sucres dans des stratégies de protection, s’achève cette année.

L’homologation du saccharose et du fructose comme substances de base, en 2014 et 2015, a ouvert la voie à des stratégies de protection incluant l’utilisation de sucres. Avant cela, le projet Usage (2012-2014) avait montré que des applications foliaires d’infra doses de sucres (principalement saccharose et fructose) pouvaient renforcer la préparation à la défense des végétaux contre certains ravageurs et maladies, pour des pressions faibles à modérées. Mais l’effet protecteur n’est que partiel et pose souvent des problèmes de répétabilité dans le temps et d’une parcelle à l’autre. Sur la base de ces résultats, les partenaires du projet Sweet* ont poursuivi les essais entre 2015 et 2019, essentiellement contre des lépidoptères, sur des cultures de tomate, vigne, maïs et pommier. Différentes stratégies à base de sucres seuls ou en association avec d’autres produits ont été testées. « La question centrale du projet est de savoir si les applications de sucres peuvent permettre de diminuer la couverture phytosanitaire », présente Ingrid Arnault, chef de projet et responsable du CETU Innophyt, organisme chef de file du projet Sweet, lors des journées techniques sur les substances naturelles de l’Itab en avril. Les premières conclusions du projet Sweet permettent d’envisager l’utilisation des sucres dans certaines filières, pour lesquelles les tendances d’efficacité sont stables dans le temps.

Contre le carpocapse, la stratégie d’association du fructose et du saccharose à 100 ppm tous les 21 jours s’est montrée la plus adaptée.

Sur pommier, l’effet des sucres a été testé par le Grab contre le carpocapse, dans un verger de production bio en confusion sexuelle, dans les Bouches-du-Rhône. Quinze stratégies ont été évaluées, à base de fructose ou saccharose, seuls ou en association, en complément ou non d’une protection à base de virus de la granulose. « Le carpocapse est le problème majeur en arboriculture biologique, rappelle Sophie-Joy Ondet, du Grab. En 2016, la pression carpocapse était beaucoup trop forte : 65 % des fruits étaient piqués sur le témoin. Aucune modalité n’a fonctionné. En 2017, à une pression carpocapse moyenne, 12 % de fruits piqués sur le témoin, le mélange fructose saccharose a donné les meilleurs résultats. Enfin, en 2018, toujours à une pression moyenne, il n’y a pas eu de différences significatives entre les modalités. » Malgré la variabilité dans les résultats, la stratégie d’association du fructose et du saccharose à 100 ppm, soit 0,1 g/l, tous les 21 jours s’est montrée la plus adaptée quelle que soit la variété ou la pression. Le constat est similaire en PFI pour Lionel Romet, de la coopérative CAPL dans le Vaucluse. « Les micro-doses de sucres pulvérisées tous les 21 jours amènent un plus dans la quantité de dégâts », souligne-t-il. Sur l’ensemble des essais réalisés depuis 2013, le gain d’efficacité de l’ajout de sucres au traitement chimique de référence est d’environ 23 %. Les sucres compensent donc en partie la diminution par deux des doses de produits, mais cette stratégie reste moins efficace que le traitement chimique à la dose pleine sans les sucres. La stratégie consistant à diminuer la cadence de traitement plutôt que les doses et à compenser avec l’apport de sucres s’est montrée moins performante.

Des résultats variables selon la pression du ravageur

Dans des essais réalisés au Sileban, en Normandie, entre 2016 et 2018, l’intérêt des sucres contre les lépidoptères ravageurs du chou-fleur et de la salade n’a pas été mis en évidence. « Les résultats ont été variables selon les années et les conditions de pression du ravageur », explique Noémie Desmouceaux, du Sileban. Sur tomate, l’action des sucres a été évaluée contre l’oïdium et la pourriture grise (Botrytis cinerea), à l’Inra d’Avignon, et contre Tuta absoluta, au Grab. « Au cours du projet Usage, on n’avait identifié aucun effet des sucres sur l’oïdium et le botrytis en pulvérisation foliaire, indique Marc Bardin, de l’Inra d’Avignon. Dans Sweet, on a en plus testé s’il y avait un effet en traitement racinaire. » Quelles que soient les conditions testées, aucun effet protecteur des sucres n’a été mis en évidence contre Botrytis. Contre l’oïdium, un effet protecteur partiel a été observé, modulé par le génotype de la plante. L’efficacité protectrice des sucres a ensuite été évaluée sous deux abris tunnels en conditions de production de la tomate, sur trois variétés. Le traitement au niveau racinaire, en pépinière, n’a apporté aucune protection vis-à-vis de l’oïdium. Les traitements par pulvérisation foliaire, en production, ont généré des effets contrastés selon les tunnels avec un effet protecteur vis-à-vis de l’oïdium dans un tunnel (environ 35 % de protection) et une absence d’effet des sucres dans l’autre tunnel. Au Grab, les sucres ont été testés contre Tuta absoluta sur tomate entre 2016 et 2018. « On partait de zéro sur les éventuels effets des sucres sur la mineuse de la tomate, témoigne Jérôme Lambion, ingénieur d’expérimentation au Grab. On s’appuyait sur les résultats obtenus sur pommier. »

Prometteurs en ajout au Bt contre Tuta

Le fructose et le saccharose ont été testés seuls ou en mélange, éventuellement associés au Bacillus thuringiensis, à deux concentrations : 0,1 g/l et 1 g/l. Les produits étaient appliqués à la limite du ruissellement, en six à huit traitements tous les quinze jours en jet projeté. En 2016, les modalités à base de sucres appliqués seuls à 0,1 g/l ont apporté une protection faible dans le meilleur des cas. Le mélange des deux sucres a semblé un peu plus intéressant. L’année suivante, dans des conditions d’attaque tardive et modérée, l’ajout au Bt des deux sucres en mélange à 1 g/l a permis d’améliorer l’efficacité du traitement, de 52 à 60 %. Le mélange des deux sucres à 0,1 g/l n’a fourni aucune protection sur feuilles ou sur fruits. « En 2018, nous avons supprimé les modalités avec les sucres à 0,1 g/l, qui posaient plus de problèmes qu’autre chose à cette dose », précise Jérôme Lambion. Cette année-là, la pression Tuta a été forte, et les traitements au Bt seul ont apporté une protection insuffisante, de l’ordre de 40 %. Là aussi, l’ajout au Bt du fructose et du saccharose à 1 g/l a eu un effet positif sur le niveau de protection. Le trempage des mottes dans un mélange des deux sucres n’a eu aucun effet sur l’intensité d’attaque. Sur vigne, les essais ont notamment concerné la lutte contre le mildiou, en Aquitaine, en Savoie et en Isère, lors des projets Usage et Sweet. L’ajout de fructose à la dose de 0,1 g/l a permis d’améliorer l’efficacité d’une dose réduite de cuivre sous forme hydroxyde, d’environ 37 %. Cet effet, variable selon les essais, diminue en intensité quand la pression mildiou augmente. L’augmentation des doses de fructose diminue cet effet bénéfique. Le mélange des deux sucres, fructose et saccharose, n’apporte pas un intérêt supplémentaire. D’autres essais ont concerné la protection de la vigne contre le black rot et contre la cicadelle, vectrice de la flavescence dorée, mais pour l’instant avec une efficacité irrégulière.

* CETU Innophyt, Arvalis, Itab, IFV, Chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire, Inra Versailles, Inra Montfavet, Lycée agricole de Fondettes, ADABio, CAPL, Grab, Sileban

Des fiches techniques de synthèse sont en cours de rédaction et seront diffusées en 2020, sur le site internet du projet Sweet.

Trois sucres simples

Le fructose est un monosaccharide très répandu dans la nature, dans les fruits en particulier et dans beaucoup de légumes. Il est présent dans l’inuline de racines ou les tubercules de certaines plantes (artichaut, oignon, chicorée, topinambour).

Le glucose est un monosaccharide présent dans la plupart des produits végétaux au goût sucré (fruits, miel, certains légumes) mais aussi à l’état libre dans les fluides biologiques (notamment le sang).

Le saccharose est un disaccharide, formé d’une molécule de glucose associée à une molécule de fructose. C’est le « sucre de table », synthétisé par la canne à sucre, la betterave sucrière, le palmier à sucre…

Source : Anses

En pratique

Il est important que les sucres soient appliqués le matin avant 9h, afin d’agir avant le redémarrage de la photosynthèse. Avec une intervention plus tard dans la journée, les sucres présents dans la plante pourraient être trop nombreux pour que l’effet des sucres appliqués soit optimal.

Autorisés comme substances de base

Le fructose et le saccharose sont autorisés en protection des cultures comme substances de base, respectivement depuis 2015 et 2014. Cette catégorie définie par règlement européen CE n°1107/2009 regroupe des substances actives, ne disposant pas d’AMM, qui peuvent être utilisées pour la protection des végétaux alors que ce n’est pas leur vocation première. Les substances de base n’ont ni d’effets nocifs immédiats ou différés sur la santé humaine et animale, ni d’effets inacceptables sur l’environnement. Elles sont actuellement au nombre de 20. L’Itab propose un site internet dédié aux substances de base, avec des fiches pour les utiliser au mieux.

Une modification des COV

Il reste beaucoup de questions sur les mécanismes de défense mis en jeu par l’application de sucres. Les sucres simples sont reconnus comme des molécules de signalisation dans les plantes, capables d’activer les gènes de défense et ainsi d’augmenter leur niveau de résistance face aux bioagresseurs. Ce concept de défense lié au sucre est appelé « sweet immunity ». Il semble aussi que les sucres modifient les composés organiques volatils émis par la plante, sa « signature chimique » essentielle aux ravageurs pour qu’ils la reconnaissent. Brigitte Frérot, de l’Inra de Versailles, a étudié l’effet de l’application de sucres sur les COV émis par des pommiers au stade plantule. Ceux-ci ont été pulvérisés soit avec un mélange fructose saccharose à 0,1 g/l, soit avec un stimulateur des défenses naturelles (Bion), soit avec de l’eau. « Après identification des COV, on obtient une sorte d’empreinte digitale du produit », décrit Brigitte Frérot. Les plantes traitées avec les sucres émettent des COV différents de ceux émis par les plantes traitées au Bion, soit par leur nature, soit par leur quantité. Au total, 41 COV ont été identifiés, dont environ la moitié change significativement entre la modalité Bion et la modalité sucres. « Les mécanismes moléculaires sont donc complètement différents entre les modalités sucres et Bion », analyse la chercheuse.

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