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De la difficulté d'engraisser tous les mâles bio

Le nombre de cheptels et la demande en viande bio sont en progression. Mais en allaitant, le potentiel est sous-utilisé. Il existe un réservoir de production conséquent dans la mesure où une forte proportion des mâles bio sont commercialisés maigres en circuit conventionnel.

boeufs bio limousins
F.Alteroche

Le bio est dans l’air du temps. C’est vrai pour les consommateurs. Cela l’est aussi par voie de conséquence pour les producteurs. Dans une note réalisée par la commission bio d’Interbev pour l’année 2017, il est même fait état d’un « avenir radieux pour l’avenir de la filière viande bio » ! Tout semblerait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Même si les surfaces et volumes de production concernés demeurent modestes comparativement à l’agriculture conventionnelle, l’agriculture biologique est en plein développement. Qu’elle soit issue des cheptels laitiers ou allaitants, la production de viande bovine est largement concernée par ces évolutions.

 

En viande bio, les circuits de la vente directe sont des débouchés particulièrement importants. Ils concernent environ 10 % des tonnages produits, toutes espèces (bovins, ovins, porcins) confondues. Ce marché en développement suscite forcément des convoitises. Les différentes enseignes de la grande distribution souhaitent tirer parti de ce créneau rémunérateur, car porteur, et développer leurs parts de marché. « En 2017, toutes espèces confondues, la majorité des ventes en volume (52 %) ont été réalisées au sein de la grande distribution (19 712 tonnes). Le second distributeur de viande bio reste les magasins spécialisés (17 % de parts de marché) qui progressent de 12 % », précise la commission bio d’Interbev. Le troisième débouché est celui de la boucherie artisanale (14 % des volumes). Il a subi en 2017 un léger ralentissement, au profit des rayons traditionnels des GMS et des magasins spécialisés. La restauration hors domicile (4 % des volumes) affiche une progression plus modeste (+ 4 %).

Un peu à l’image de la viande bovine conventionnelle, la demande en viande bio s’oriente de façon croissante vers le haché. Cette catégorie en plein essor est en phase avec la progression de l’offre. « Les volumes de steak haché frais de viande de bœuf issu de l’Agriculture biologique progressent de 17 % en 2017, avec un quatrième trimestre particulièrement porteur (+17,4 %) », précise Interbev. Cette évolution positive se poursuit au premier trimestre 2018 par + 14,9 % en volume, soit un total de 967,8 tonnes (+17,6 % par rapport à la même période de 2017).

 

 

 

133 784 vaches allaitantes bio en 2017

Côté production, les tendances sont similaires. D’après les chiffres de l’Agence bio, il y avait en France en 2017 un total de 133 784 vaches allaitantes dans des élevages en agriculture biologique. Cet effectif s’est encore conforté l’an dernier dans la mesure où il y avait, en 2017, quelque 54 000 vaches dans des troupeaux en conversion. A cette progression du potentiel de production venue du cheptel allaitant se cumule – toujours pour 2017 – 128 000 vaches laitières dont 65 900 dans des élevages en conversion.
Côté volumes, d’après les statistiques de la Commission bio d’Interbev, les tonnages abattus pour les animaux allaitants (lire graphique) ont plus que doublé en dix ans et cette tendance haussière va se poursuivre. « Le défi du bio est de faire correspondre la production avec cette hausse des besoins, tout en préservant l’équilibre entre l’offre et la demande », résumait Jean-François Deglorie, animateur technique à la commission bio d’Interbev, dans un récent article paru dans Viande Magazine.

Pour les éleveurs bovins qui ont choisi ce mode de production, l’enjeu est aussi de répondre au mieux de leurs intérêts à cette progression de la demande. Le potentiel de production des cheptels allaitants bio est cependant loin d’être utilisé dans sa globalité.

Broutards bio vendus aux tarifs du conventionnel

Bon nombre d’éleveurs allaitants bio ne valorisent dans ce créneau qu’un nombre limité d’animaux. Il se cantonne souvent aux femelles (voir graphique). Les mâles sont souvent écoulés comme broutards dans le circuit conventionnel donc sans plus-value particulière.

Ce débouché n’est pas forcément inintéressant quand le contexte pour le maigre est porteur, mais comparativement à ce qui est pratiqué en conventionnel, le prix à la tête des broutards « bio » est souvent nettement pénalisé dans la mesure où les animaux sont la plupart du temps vendus légers car pas ou peu complémentés.

Et surtout ce débouché ne correspond pas à la logique de ce circuit. Si on convertit son exploitation en bio, c’est en principe pour valoriser la quasi-totalité de sa production dans ce créneau. Engager une conversion pour valoriser aux tarifs bio seulement quelques vaches et génisses finies pose question.

Pour y remédier, viser les différents créneaux du « veau » est une voie fréquemment choisie. Veau de lait sous la mère, veau rosé type « broutard grassouillet » ou veau gras type veau d’Aveyron sont trois possibilités. L’avantage du veau est la rotation rapide du capital, l’absence de capitalisation sur pied et pas ou peu de besoins supplémentaires pour les bâtiments d’élevage. En bio, plus encore qu’en conventionnel, la problématique des veaux de lait mais également des veaux rosés n’est pas l’excès mais plutôt le manque de finition. Les veaux suifards sont rares. Les trop maigres le sont bien davantage et le problème est encore plus aigu lorsqu’il s’agit des mâles.

Pour la viande de veau, les abatteurs ont engagé une démarche collective en 2016 pour constituer une offre nationale sur un veau bio rosé. Un produit certes éloigné du véritable veau sous la mère mais qui semble avoir trouvé un créneau dans la restauration collective.

Même si elle a été tentée voici quelques années, la finition des broutards bio en taurillons est compliquée à réaliser dans de bonnes conditions compte tenu des exigences du cahier des charges de l’agriculture biologique et du prix attractif des céréales bio qui incite les polyculteurs-éleveurs à les commercialiser plus qu’à les distribuer généreusement à des mâles entiers en finition. En dehors des différentes catégories de veaux, la production de bœufs est donc dans ces conditions la principale alternative qui s’offre aux éleveurs.

Tout comme en conventionnel, leur problématique est liée à leur longue immobilisation sur pied avec toutes les conséquences que cela implique côté stocks de fourrages, utilisation des pâtures et mobilisation de trésorerie avec, qui plus est, un mode d’attribution des aides compensatoires peu incitatif. Pour autant, la production de bœufs bio progresse. D’après les statistiques (lire graphique), elle a pratiquement triplé en dix ans mais en 2017 franchissait à peine le cap des 6 000 têtes abattues. Cette progression doit aussi être mise en parallèle avec la progression du nombre d’élevages et donc de vaches à même de faire naître des mâles qui seront par la suite castrés.

Mais veaux, taurillons ou bœufs, la difficulté en agriculture biologique est d’arriver à avoir des animaux suffisamment finis. Tous les essais l’ont montré et démontré, il est difficile de descendre avec les races françaises sous le seuil de 30 mois à l’abattage si on veut être en mesure de proposer des carcasses suffisamment finies. Pas question comme en conventionnel de finir des gros bovins pendant plus de six mois avec des rations où le concentré est distribué à raison d’un peu plus de 1 kilo par tranche de 100 kilos de poids vif. Le cahier des charges l’interdit et de toute façon cela ne passerait pas sur le plan économique. « Finir des bœufs en bio, c’est d’abord une bonne croissance sous la mère puis une bonne gestion du pâturage et accorder une grande importance à la qualité des fourrages récoltés en insistant sur la précocité des dates de fauches », soulignent les différents techniciens contactés pour la réalisation de ce dossier.

La question de la génétique utilisée gagnerait aussi à être analysée sans tabous. Les nombreux essais qui ont déjà eu lieu dans les fermes expérimentales françaises l’ont tous été avec des animaux des principales races à viande françaises. Ils ont montré qu’il était difficile pour ne pas dire impossible de descendre sous le seuil des 32 mois. Une étude actuellement conduite par l’Inra en Auvergne cherche à déterminer si le recours à des croisements avec des taureaux de race initialement britannique ne serait pas une solution si on veut produire des bœufs bio à la fois plus jeunes (22 à 26 mois) et correctement finis dans un créneau de poids de carcasse compris entre 380 et 420 kilos. Développer la finition des mâles bio passe peut-être par cette solution. Elle mérite au moins d’être expérimentée.

Un cahier des charges exigeant

Côté réglementation, le cahier des charges de l’agriculture biologique stipule que la part maximale de concentrés dans la ration journalière ne doit pas excéder 40 % de la matière sèche ingérée et que les bovins adultes destinés à la production de viande peuvent être engraissés à l’intérieur pendant une période qui ne peut excéder 1/5° de leur vie et au maximum trois mois. Ces conditions restrictives nécessitent de maximiser la part des fourrages grossiers et en particulier de l’herbe pâturée dans l’alimentation.

 

Bien définir la notion de précocité

On définit la précocité comme étant l’aptitude que possède un animal, ou plus généralement un type génétique, à réaliser rapidement l’état adulte et plus particulièrement à atteindre vite la composition corporelle de l’adulte », explique Roland Jussiau, professeur de zootechnie dans un article paru sur le site Viandes & produits carnés
On peut aussi adopter une définition plus restrictive, ne prenant en compte que les tissus : la précocité est alors l’aptitude d’un animal, ou d’un type génétique, à déposer rapidement des tissus adipeux.
Pour l’éleveur, l’exploitation d’animaux précoces présente un intérêt économique indéniable surtout dans le contexte d’un système bio : « les animaux d’élevage peuvent être mis à la reproduction plus tôt, ce qui réduit la période de vie improductive. Les animaux de boucherie peuvent être abattus plus tôt, ce qui diminue le coût de production, en particulier le coût de l’alimentation. »

À lire

Engraisser et valoriser ses bovins mâles dans la filière viande bio

L’Institut de l’élevage a édité en 2014 un document relatif à ce sujet en partenariat avec différents partenaires. Il est téléchargeable en libre accès sur le site internet de l’Institut de l’élevage et très facile à trouver en tapant le titre sur n’importe quel moteur de recherche.

 

Trois questions à Pascale Pelletier, consultante formatrice au cabinet Prairie Conseil

« Le bœuf a pour inconvénient d’être une production à cycle long »

Quels sont pour vous les principaux freins à la finition des mâles en bio ?

 

Pascale Pelletier - "Si on envisage une production de taurillons c’est, d’après le cahier des charges de l’agriculture biologique, le fait de limiter la part des concentrés à 40 % de la matière sèche journalière dans la ration qui est la principale contrainte. Il n’est pas facile d’avoir, dans ces conditions, des animaux suffisamment finis si on a pour objectif un âge d’abattage de 14 à 18 mois, comme en conventionnel."

Et si on envisage de produire des bœufs ?

P. P. - "Le bœuf a pour inconvénient d’être une production à cycle long. Passer d’un système broutards à un système bœufs, même pour une partie seulement des mâles nés sur l’exploitation, signifie capitalisation sur pied, besoin de davantage de places en bâtiment et en pâture et stocks supplémentaires en fourrages et concentrés pour les finir. Cela implique d’avoir une trésorerie suffisante pour passer la période de transition avant les premières ventes de bœufs.

Malgré ces contraintes, le bœuf est un animal avant tout valorisateur d’herbe, ce qui est un atout pour ce type de production. Il faut évidemment leur faire prendre un maximum de poids avec l’herbe pâturée et savoir pour cela gérer au mieux le pâturage. Viser un âge d’abattage de 30 à 32 mois au lieu du classique 36 à 38 mois peut être un moyen de raccourcir le cycle de production. Mais c’est beaucoup plus difficile techniquement pour finir correctement les animaux, surtout avec des races à viande moyennement précoces.

Passer d’un système broutards à un système bœufs — même s’ils sont finis à 32 mois — remet aussi en question le système de production. À surface équivalente, l’éleveur est obligé de diminuer son nombre de vaches pour libérer des surfaces en herbe pour ses bœufs. Les modalités d’attribution des aides PAC ont également un impact important. L’aide à la vache allaitante n’incite pas à produire des bœufs, puisque ces derniers sont des animaux sans prime, alors que la vache suitée bénéficie, elle, d’une aide couplée. Produire des bœufs à surface et chargement équivalents, c’est diminuer le nombre de vaches et donc perdre des aides couplées. Donc pour maintenir le revenu, c’est compliqué. Sauf si des aides ciblées incitent les éleveurs à franchir le pas, ce qui se développe dans certaines régions."

Une des problématiques de cette production ne vient-elle pas aussi du manque de précocité des trois principales races allaitantes françaises qui ne permettent pas de produire, surtout en bio, des carcasses suffisamment finies avec des bœufs de 24 à 26 mois ?

P . P. - "Il est certain que si on gagne en précocité, on pourra aller vers des animaux pouvant être finis plus jeunes. L’actuel développement en France des races d’origine britannique type Angus ou Hereford est très lié à cette problématique. Se pose aussi forcément la question du prix auquel ces bœufs, à la fois plus jeunes et plus légers, seraient valorisés.

Mais si on veut finir en bio davantage de mâles, le bœuf est un passage obligé. Le recours à des races plus précoces gagnerait à être analysé de plus près. Surtout si cette volonté de finir davantage de mâles s’accompagne du maintien du nombre de vêlages. Une meilleure gestion du pâturage et de la rotation des lots dans les parcelles permettrait aussi d’avoir des marges de progrès."

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